Un an d’égo-vidéos à pester contre l’immigration, les musulmans-es et le voile islamique. Un an à s’immiscer à tort et à travers dans toutes sortes d’événements publics – notamment en s’insinuant maintes fois à la frontière de Saint-Bernard-de-Lacolle, pour écornifler les demandeurs d’asile – toujours en se fondant sur les préjugés les plus grossiers, pour mieux les communiquer à ses partisans admiratifs.
Treggett s’est retiré dans le déshonneur, suite à des allégations d’inconduite sexuelle de la part de l’une des plus illustres militantes de la fachosphère, Chantal Duchesneau. Une campagne est en cours chez les Stormers pour le rapatrier juste à temps pour leur party d’anniversaire et de multiples signaux laissent croire que son retour est imminent.
Expliquons tout d’abord en quoi le départ de «Treg» avait provoqué une onde de choc dans le paysage de l’extrême-droite québécoise.
La fondation de la Storm Alliance
La «S.A.» est née d’une scission au sein des Soldiers of Odin du Canada. Ce dernier groupe fut créé en Finlande en octobre 2015, puis a prestement essaimé un peu partout en Occident, comme aux États-Unis quelques mois plus tard, et au Canada à la mi-2016.
Les Soldats d’Odin sont des adeptes du «vigilantisme», c’est-à-dire qu’on forme des patrouilles de rue visant à traquer des «migrants» qui sèmeraient supposément le trouble dans leurs pays d’accueil. En fait, ces milices de justiciers auto-proclamés comptent de nombreux boneheads néonazis dans leurs rangs, des réactionnaires qui ont envie d’en découdre avec des personnes racisées, gauchistes ou LGBTQ+.
En mai 2016, le grand fondateur suprémaciste blanc des Soldiers of Odin, Mika Ranta, a lui-même écopé de 18 mois de prison après avoir tabassé arbitrairement un homme et une femme, qui a eu la mâchoire fracturée. Ça n’a pas empêché la formation à continuer de s’étendre au Canada, du Yukon jusqu’à Terre-Neuve-et-Labrador.
Du côté de la province de Québec, c’est Dave Treggett qui a été le premier représentant officiel du groupe extrémiste, grâce à ses talents de communicateur, passant aisément du français à l’anglais. Il a toutefois claqué la porte en décembre 2016, sous prétexte qu’il en avait marre que le groupe se voit constamment étiqueté de «raciste». Il a donc démarré la Storm Alliance un mois plus tard, en s’appuyant sur une équipe de lieutenants tout aussi xénophobes, issus des mêmes Soldiers of Odin.
Treggett a ainsi emporté avec lui, entre autres, son fidèle bras droit québécois Éric Trudel, en plus des chefs de chapitre de l’Alberta et du Nouveau-Brunswick, William Crotty et Colin Oleary. La S.A. était donc, dès l’origine, pancanadienne.
Ironie du sort, cette nouvelle formation islamophobe a rapidement éclipsé les Soldiers of Odin, au point de même chauffer La Meute au sommet des plus populaires groupes d’extrême-droite au Québec. Si La Meute se targue d’avoir davantage de sympathisants.es sur les réseaux sociaux – Facebook est le lieu où les Meutons ont le plus d’impact –, les Stormers ont désormais l’appui d’autant de partisans lorsque vient le temps de se mobiliser sur le terrain.
Dave Treggett a donc su mettre sur pied un groupe cohérent, par le biais d’une idée rassembleuse pour les racistes – faire barrage à l’immigration – et d’une propagande simpliste reposant sur la symbolique des tempêtes, des éclairs et d’une salutation consistant à se montrer virilement les jointures : «Salut Stormers, Dave Treg!».
La chute de Treggett
La Storm Alliance a toujours été une sorte de «one-man-show» axé autour de la personne de Dave Treggett, qui multiplie les égo-vidéos dans lesquels on peut le voir rouspéter seul en conduisant une voiture ou en buvant une bonne bière fraiche.
Il s’agit de SON groupe, SA créature. À tel point que son mur personnel «Dave Treg» a paru être le principal média d’information du groupe pendant longtemps. Contrôle-t-il aussi la vente de produits dérivés du groupe : casquettes, tuques, gilets, élégants cache-cou?
Le 25 janvier, coup de tonnerre chez les Stormers : Treggett démissionne avec fracas. La militante Chantal Duchesneau l’accuse d’avoir exigé des faveurs sexuelles en échange de bons services. Quelques jours plus tôt, elle avait effectivement mis en ligne des captures d’écran «démontrant» que Treg se montrait très insistant afin d’obtenir une fellation de sa part, en termes très crus.
Curieusement, c’est un responsable de La Meute – le «Garde» Sébastien Chabot – qui a insisté auprès des médias afin que la nouvelle compromettante soit largement diffusée. L’on pourrait croire à une campagne de salissage orchestrée par Chabot et La Meute, d’autant plus qu’il semblerait que les comptes de Dave Treggett aient été piratés, selon un communiqué de Colin Oleary :
«Salut Stormers, je suis votre ambassadeur national et co-bâtisseur des S.A. Le compte de Dave a été manipulé. Si vous recevez des messages de lui à propos de n’importe quoi, ils ne sont pas de lui.»
Pour faire face aux intempéries, Treggett a ainsi quitté son poste de grand manitou, a délégué les pouvoirs à ses loyaux lieutenants, puis ces derniers ont converti leurs pages Facebook en «groupes privés». Ce repli stratégique freinera sûrement la croissance de la S.A. à court terme.
Nombre de partisans de Dave Treg luttent pour son retour, n’ayant aucune considération pour la victime alléguée :
Du côté de Chantal Duchesneau, elle subit un effet de ressac d’une force inouïe pour avoir osé s’en prendre au grand chef. On la traite de tous les noms, des appels à l’ostracisation s’accumulent : «fauteuse de trouble antifa infiltrée! », « sortez-moi ça de vos contacts crisse de folle », pouvait-on lire à droite et à gauche.
Selon la version de Mme Duchesneau, les propos indécents de Treggett auraient été proférés bien avant l’affaire du piratage de ses comptes. Elle est donc persuadée qu’il a tort, «qu’il se câlisse du peuple bin raide» et qu’il est indigne de se trouver à la tête d’un groupe raciste aussi prestigieux que la S.A.
Après un passage remarqué dans La Meute lors duquel elle s’est fait tatouer une immense «patte de loup» dans le cou, Mme Duchesneau s’est rapprochée de la S.A., puis a entamé des démarches pour joindre la Northern Guard, un groupe rival d’extrême-droite qui ne compte que des hommes… Elle aura ainsi la chance de faire partie d’une faction ségréguée pour femmes seulement, les Northern Maidens.
L’avenir de la Storm Alliance
L’année 2017 avait apporté son lot de circonstances favorables à l’éclosion de groupes anti-immigration tels la S.A. : l’effet Donald Trump, la montée de l’islamophobie, la «crise» des demandeurs d’asile – surtout d’origine haïtienne –, la Commission sur le racisme systémique – qui n’a jamais eu lieu – les fake news de TVA Nouvelles…
C’est d’ailleurs à la mi-décembre, à l’occasion du «Chantiergate», que Treggett avait produit son plus gros «hit» à vie, soit une vidéo partagée plus de 10 000 fois où il expliquait (en donnant des coups de pied dans la neige) que les musulmans ne respectent pas leurs femmes :
Tandis qu’ «au Canada, au Québec, surtout au Québec, les femmes, sont pas égales à l’homme, sont mis sur un piédestal, nos femmes sont des reines, ceux qui comprennent pas ça : décolissez, prenez l’avion, prenez le bateau, rampez à travers la frontière, vous êtes bons pour ça, décrissez! Y’est pas question qu’on tolère ça».
Que serait la Storm Alliance sans ce preux chevalier machiste qu’est Dave Treggett? Même une fois qu’il a été prouvé sous tous les angles que l’histoire des mosquées de Côte-des-Neiges était fausse, il a persisté dans ses préjugés en invoquant les théories conspirationnistes les plus farfelues.
Il y a fort à parier que Treg sera bientôt de retour, car ses fidèles sectateurs lui pardonneraient n’importe quoi. À moins que ses comptes piratés ne contiennent d’autres informations explosives? À suivre.