La vérité, c’est que je crois qu’un féminisme qui vise à remettre en question les privilèges masculins ne peut être pris au sérieux par la majorité de ses détenteurs et ce, peu importe les efforts que les femmes feront pour bien présenter la chose. Je suis également convaincue que ces clichés sur les féministes-lesbiennes-poilues-qui-n’aiment-les-hommes existent pour de bonnes raisons. Non seulement il y a des bonnes raisons pour lesquelles les féministes en viennent à mépriser ceux qui tentent constamment de les dominer, mais il est également impératif pour ces derniers de tourner ce mépris en dérision.

Alors que nous avons été socialisées à placer le prince charmant au centre de notre existence dès le plus jeune âge, que nous avons fait des pieds et des mains pour lui plaire à travers les années – soignant notre apparence, acceptant une sexualité asymétrique, écoutant ses beaux discours savants sans jamais le contredire, pensant ses blessures égotiques, ramassant inlassablement derrière lui – nous avons agi, pour reprendre les mots de Roswitha Scholz, comme «le reposoir de l’homme». Que se passerait-il si ce reposoir venait à se dérober sous ses pieds? Que se passerait-il, dans le monde des hommes, si les femmes n’étaient plus là pour eux?

Il y a de quoi être terrifié par la «singeresse poilue» ou la lesbienne frustée (en fait davantage satisfaite sexuellement). Ces figures ne parlent pas tellement des femmes – ou du danger qui guette celles qui vont «trop loin» – mais de la peur au ventre qui prend ces hommes-enfants craignant d’être laissés à eux-mêmes. Écartés du centre de l’attention affective, romantique et sexuelle, ils se retrouvent désoeuvrés. C’est pourquoi les hommes détestent les femmes qui détestent les hommes: ce sont les femmes qui refusent de les servir, de transformer leur corps pour eux, de les faire jouir.

Plutôt que de se demander ce qu’ils ont bien pu faire pour les excéder, il leur semble plus simple de taper du pied et d’exiger que cela cesse immédiatement. Non, non, non, tu ne peux pas me retirer mon droit d’être apprécié ou désiré par défaut. Mon droit de te communiquer mon appréciation de ton physique à n’importe quel moment et dans n’importe quel endroit. Mon droit d’être rassuré sur le fait que non, quand même, ce ne sont pas «tous les hommes». Ces gens ont beaucoup de droits. Ce n’est pas pour rien qu’on a appelé ça «les droits de l’Homme».

Ces gens ont beaucoup de droits. Ce n’est pas pour rien qu’on a appelé ça «les droits de l’Homme».

1. Accepter de se remettre en question

L’homme qui dessert le système patriarcal – c’est-à-dire qui se sert lui-même – c’est donc l’homme qui croit être aimable par défaut. Qui l’exige même. Par opposition, l’homme allié du féminisme, c’est l’homme qui sait qu’il appartient à une catégorie d’humains qui épuisent les féministes depuis l’invention du féminisme lui-même, à force de taper du pied comme des enfants gâtés. L’allié n’exige pas qu’on l’adore avant même de le connaître; il fait ses preuves pour gagner la confiance des femmes qui l’entourent.

Il est pleinement conscient d’être né dans un monde conçu pour le servir, contrairement aux femmes. Enfant, on l’a laissé courir partout et bousculer tout le monde. Que voulez-vous, les petits garçons, ça a beaucoup d’énergie! On lui a permis de mettre des vêtements confortables et on l’a complimenté sur son intelligence. On lui a montré à manier les outils, à s’exprimer en public, à prendre des risques. On a normalisé sa sexualité, lui parlant de masturbation et d’éjaculation nocturne. On l’a encouragé à muscler son corps et à s’approprier plus que sa part de protéines.

Enfant, on l’a laissé courir partout et bousculer tout le monde. Que voulez-vous, les petits garçons, ça a beaucoup d’énergie! On lui a permis de mettre des vêtements confortables et on l’a complimenté sur son intelligence. On lui a montré à manier les outils, à s’exprimer en public, à prendre des risques.

Si l’on se dit féministe, reconnaître les privilèges de la socialisation masculine n’est pas négociable. Reconnaître que l’on peut agir en vertu de cette socialisation, consciemment ou non et en dépit de nos idéaux égalitaires, ce n’est pas négociable non plus. Reconnaître que nos actions ne sont pas isolées, mais qu’elles s’inscrivent dans un cadre où c’est peut-être la centième, la millième fois qu’une femme doit composer avec le même geste, la même remarque, le même malaise, c’est également essentiel.

2. Accepter de se remettre en question

Combien d’hommes sont foncièrement incapables de se remettre en question? Combien de justifications devrons-nous encore écouter patiemment en feignant la compassion: «Oui, je comprends, ce n’est pas de ta faute, ce doit être vraiment tellement difficile de ne pas me dominer ou m’emmerder. Moi-même, j’ai du mal à résister.»

Certains poussent l’audace jusqu’à remettre en question l’idée même qu’il faille se remettre en question. S’attaquer au comportement des individus serait inefficace politiquement, nous disent-ils. Ces docteurs en sociologie et experts des mouvements sociaux en seraient venus à ce consensus qui n’a bizarrement encore frappé personne d’autre: les structures sociales tombent du ciel! Elles ne sont la faute de personne! Rien ne sert, alors, de s’en prendre aux personnes; il suffit de changer les institutions! Demandez des congés de maternité, des sièges sur les CA et de la pornographie féministe, ajoutez un peu de sel et de poivre, et voilà!

Pourquoi me suis-je cassé la tête pendant toutes ces années, alors qu’il me suffisait de demander à un homme son avis? Pourquoi est-ce que les féministes s’en prennent aux mêmes institutions depuis les années 70 avec des résultats mitigés, ça ne vaut probablement pas la peine d’essayer de l’expliquer…

3. Accepter de se remettre en question

Derrière l’espoir que les hommes en viennent à remettre en question leur comportement, il y a bien sûr la croyance selon laquelle les structures sociales sont le résultat d’actions humaines guidées par l’intérêt. En d’autres mots, le patriarcat ne s’est pas abattu sur le monde au 7e jour de la création, mais a été mis en place par un groupe de personnes qui a décidé d’organiser un monde qui les servait bien, autrement appelé les hommes. Et si cela peut continuer aujourd’hui, c’est parce que leurs faits et gestes, au quotidien, participent à maintenir cet état des choses.

Lorsqu’ils coupent ou monopolisent la parole, lorsqu’ils font des avances non sollicitées, lorsqu’ils payent ou volent de la sexualité, lorsqu’ils se laissent servir à la maison, non seulement ils acceptent, mais ils maintiennent concrètement leurs privilèges. Et lorsqu’ils rechignent quand on leur fait remarquer, ils maintiennent encore leurs privilèges.

Lorsqu’ils coupent ou monopolisent la parole, lorsqu’ils font des avances non sollicitées, lorsqu’ils payent ou volent de la sexualité, lorsqu’ils se laissent servir à la maison, non seulement ils acceptent, mais ils maintiennent concrètement leurs privilèges.

Un homme qui se dit allié du féminisme doit non seulement vouloir renoncer à ses privilèges, mais également accepter qu’il n’en soit pas toujours capable ou qu’il ne le fasse pas toujours de la bonne façon. Il doit accepter de se remettre en question.