Il y a trois ans, je me joignais moi-même en tant que deuxième employé à une radio communautaire se relevant d’une crise similaire. Pour éponger ses déficits, CKIA avait mis son personnel à la porte, le temps de penser à une stratégie de survie et de se rebâtir. Après d’impressionnants efforts de bénévoles dévoué-e-s, la station a pu réengager une première personne. Puis la station est venue me chercher. Nous sommes aujourd’hui cinq employé-es.
J’aimerais dire que cette petite histoire est unique, mais non. C’est malheureusement fréquent.
Une réalité récurrente
Chaque année, les radios communautaires du Québec se réunissent pour un congrès. Une occasion de participer à des panels, des conférences, mais aussi de se rencontrer, de se parler. Les réalités des radios communautaires sont multiples. Certaines, en région, sont les seules de leur coin et ont des budgets qui pourraient rendre jalouses certaines radios privées. D’autres doivent plutôt se battre avec ces dernières, en ville ou en région, pour obtenir des revenus publicitaires.
Chaque année, lors de ce congrès, on prend des nouvelles. On demande à telle station où elle en est rendue dans sa crise. On s’assure que la reconstruction de telle autre se passe bien. On apprend qu’une autre se bat pour sa survie. On se donne des trucs, on s’encourage, on se soutient. Les crises sont malheureusement régulières dans le milieu.
CIBL reçoit beaucoup de visibilité pour sa crise. Il faut dire que CIBL a vu passer beaucoup de gens, dont plusieurs sont maintenant des journalistes professionnel-les, des animatrices ou animateurs, des recherchistes et autres travailleurs et travailleuses médiatiques. Moi-même, de Québec, j’y ai fait mes débuts. Je sais que les journalistes aiment bien se prétendre neutres et objectifs, mais la vérité, c’est que si CIBL a cette belle couverture médiatique, c’est parce que plusieurs artisan-es des médias ont un attachement à la station.
On n’entend pas parler des autres stations qui vivent les mêmes crises. Et ce n’est pas seulement parce qu’elles sont en région. Radio Centre-Ville, à Montréal, ne reçoit pas d’échos malgré sa crise importante et même la dénonciation, par des dizaines d’artisan-es, d’un putsch au conseil d’administration de la station.
Les géants publicitaires
Il y a un an, l’Association des radios communautaires du Québec (ARCQ) et l’Association des radios régionales francophones (ARRF) dénonçaient le désengagement du gouvernement dans l’achat de publicités sur les ondes des radios communautaires, préférant les réseaux comme Google et Facebook (le fameux GAFA).
Le président de CIBL mentionnait lui-même que les revenus publicitaires de la station avaient fondu pour passer, en à peine quatre ans, de 400 000 $ à 100 000 $. Toutes les publicités ne venaient probablement pas que du gouvernement, mais ce n’est sans aucun doute pas étranger à cette baisse.
Les campagnes électorales sont souvent une bonne période pour les ventes publicitaires. Mais c’est la première fois, cette année, que je n’entends aucune publicité du Directeur général des élections du Québec (DGEQ) sur les ondes de ma station. Pourtant, le DGEQ s’est vanté de créer une campagne visant à rejoindre les jeunes, pour faire sortir le vote. Cette campagne était partout à la télévision et sur les publicités de Google et de Facebook… mais dans aucune radio communautaire.
Le gouvernement, habituellement, passe aussi par les radios communautaires pour passer ses avis publics, ses programmes et autres annonces. Contrairement à une entreprise privée, le gouvernement, par ses publicités, ne cherche pas à vendre un produit, mais à s’assurer que la population ait l’information,et qu’elle que la population soit au courant de ses actions et décisions. Mais présentement, non seulement ce dernier n’encourage-t-il pas les médias locaux en achetant de la publicité via le GAFA plutôt que des radios communautaires, mais il ne rejoint pas tout le monde. Les stations communautaires ne rejoignent probablement pas 500 000 personnes, mais atteignent souvent un public précis qui parfois ne veut ou ne peut pas être en contact avec les publicités venant des géants du Web ou des grands réseaux.
Ce problème ne touche pas que les radios communautaires, mais également les médias communautaires écrits. L’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ) me disait il y a quelques mois que les revenus publicitaires du gouvernement pour l’ensemble de ses membres ont déjà frôlé le demi-million. On parle aujourd’hui d’une somme d’à peine 39 000 $, mettant en danger plusieurs publications pourtant essentielles, comme CIBL.
On apprenait cette semaine dans La Presse, que le fédéral a dépensé, en 2015-2016, 10,3 millions de dollars en publicité sur Internet, probablement via Facebook et Google principalement. Dix millions dans des entreprises qui vampirisent nos médias, qui ne créent presque pas d’emplois ici et qui, en plus, ne prélèvent ni taxes et ne paient pas d’impôts.
Il suffirait que le gouvernement respecte l’engagement d’acheter 4% de ses publicités dans les médias communautaires et, déjà, cela permettrait à plusieurs de survivre. Et cela créerait des emplois, en plus de stimuler des économies locales.
Les médias comme CIBL vivent avec des budgets qui, parfois, ne suffiraient pas à payer une seule des équipes des grands médias, mais réussissent à mettre en place une programmation complète, à parler d’enjeux délaissés, à promouvoir des artistes boudés, à être à l’écoute des citoyen.ne.s et à être à l’affût des changements sociaux et de l’actualité.
La soude oreille gouvernementale
On parle beaucoup du fait que CIBL est une grande école pour de plusieurs travailleurs et travailleuses des médias. C’est important et bien pratique pour faire parler de soi pendant une crise, mais ce n’est pour ça que CIBL doit survivre, mais bien pour la santé même de l’écosystème médiatique, qui doit être constitué à la fois des grands médias et des médias indépendants. C’est un contrepoids essentiel pour la démocratie. Une complémentarité nécessaire.
Avec la couverture médiatique et l’élan d’amour que connait CIBL dans sa crise, on voit que ce n’est pas parce que la radio est méconnue ou pas écoutée. Si ses revenus publicitaires ont plongé, ce n’est sûrement pas parce qu’elle n’a rien à offrir. Au contraire. Sa crise témoigne plutôt d’un problème plus profond. Un autre signe que les médias ont de la difficulté à s’adapter devant les géants du GAFA. Mais surtout, cette crise dénonce l’immobilité des gouvernements qui, non seulement ne tendent pas la main à trouver des solutions, mais encouragent ceux qui font couler le navire.