Pour une deuxième année de suite, le New York Times affirme que l’année qui vient de s’écouler est plus pacifique que les dernières. Le NYT se base sur le livre de Steven Pinker La part d’ange en nous (2011) qui prouve que la violence et les guerres sont en déclin depuis les derniers siècles. C’est notre subjectivité et les médias de masse qui nous donnent l’impression que notre époque est particulièrement violente.

C’est notre subjectivité et les médias de masse qui nous donnent l’impression que notre époque est particulièrement violente.

Pinker fait une revue méthodique du déclin de la violence et des guerres depuis les derniers siècles. Statistiquement, il y a un tiers moins de guerres qu’il y a 20 ans, et moins de victimes lors de celles-ci. Les grandes démocraties ne se sont pas combattues depuis la fin de la 2e Guerre mondiale puisque, selon Pinker, la démocratie et la modernité nous auraient rendus plus pacifiques. Les chiffres nous disent d’être optimistes: soixante-sept ans de paix globale! Mais tout le monde sait que les chiffres, c’est subjectif.

Entre autres, les guerres par proxy, lorsque des grandes puissances se battent indirectement par l’entremise d’autres acteurs, ne font qu’augmenter : les guerres de Corée, l’invasion de la Chine au Tibet, la présence britannique au Kenya, la guerre d’Angola, les multiples invasions de la Russie dans d’anciens États membres de l’URSS, l’invasion de l’Irak par les États-Unis, le conflit en Syrie et j’en passe.

Clamer que nous vivons dans la meilleure époque que l’humanité ait vécu est moralement inacceptable.

Clamer que nous vivons dans la meilleure époque que l’humanité ait vécu est moralement inacceptable. S’il s’agit de l’époque la plus pacifique, c’est seulement pour les citoyens et citoyennes des pays occidentaux. Et évaluer la violence de notre époque en se basant sur les conflits organisés entre deux factions définies est même ridicule. Les guerres interétatiques sont en déclins, certes, mais nous sommes témoins d’une multiplication des guerres civiles désorganisées dans des contextes géopolitiques fracturés.

Les chiffres, c’est subjectif

Aujourd’hui, ce sont plus souvent les civils qui meurent des conflits, pas des combattants à proprement parler. Durant la Première Guerre mondiale, 10 % des pertes humaines étaient des civils, 50 % durant la 2e guerre mondiale, et cette proportion ne cesse d’augmenter. L’exemple le plus frappant est sans doute le conflit en République démocratique du Congo, durant lequel 90 % des pertes humaines étaient des citoyen-nes non combattants. Le Rwanda, la Syrie et la multiplication des attaques terroristes témoignent tristement du fait qu’il est impossible de calculer le coût humain des conflits modernes.

Nicholas Kristof, chroniqueur au New York Times, accuse les médias de pessimisme. Il assure que cette année, moins de personnes souffrent de la faim, et qu’il y a moins d’analphabètes et moins d’épidémies dévastatrices comme la lèpre ou le trachome. Il a raison. Mais le choix de ces statistiques n’est pas innocent.

A-t-il regardé l’augmentation des incarcérations de jeunes hommes noirs dans les prisons américaines? Le nombre de femmes victimes de violences sexuelles comme arme de guerre dans plusieurs pays africains? Le nombre croissant d’enfants nés difformes en raison de leur exposition à l’agent orange de Monsanto? Les conditions de travail de plus en plus déplorables en Chine et en Corée du Nord? L’explosion du nombre de réfugiés qui doivent se battre pour leur survie?

De plus, au-delà des morts en combat, la crainte de la violence fait aujourd’hui partie intégrante de la vie de la majorité des citoyen-nes du monde. Peut-être pas en banlieue de Montréal ou dans la campagne du Vermont, mais dans ces pays où les attaques terroristes font partie de la vie de tous les jours, où les risques de viols collectifs sont omniprésents, où tu peux te faire lancer de l’acide parce que tu as refusé une demande en mariage ou te faire battre parce que tu es homosexuel. La crainte d’une attaque nucléaire est également bien présente dans plusieurs pays.

Optimisme ou malhonnêteté?

Je pense être plus optimiste que la moyenne en général. Mais il y a de bonnes raisons de croire que le monde ne va pas dans la bonne direction. Et bien qu’il faille éviter de faire du pessimisme une prophétie autoréalisatrice, l’époque dans laquelle nous vivons n’est pas la meilleure. Du moins, pas pour tout le monde.

Il est malhonnête de dire que notre situation s’améliore seulement pour démontrer de l’optimisme. On peut être optimiste tout en étant conscient que notre système est brisé et injuste.

Il est malhonnête de dire que notre situation s’améliore seulement pour démontrer de l’optimisme.

De telles affirmations veulent nous conforter de vivre dans un système néolibéral dans lequel les inégalités ne font qu’augmenter. Ah mais j’oubliais, les riches occidentaux ne meurent plus sur-le-champ de bataille comme il y a 200 ans et Oprah va peut-être devenir présidente. Tout va mieux dans le meilleur des mondes!