Selon ces organisations, que l’on qualifie d’anti-choix, l’avortement pourrait provoquer le cancer du sein, la dépression, l’abus de substances psychotropes ainsi que le syndrome «post-abortif», une pathologie dont l’existence n’est reconnue par aucun corps médical. Il y aurait actuellement plus de 4 000 centres d’aide à la grossesse anti-choix aux États-Unis, qui visent spécifiquement les catégories de femmes les plus vulnérables, soit les jeunes femmes, les femmes vivant avec des moyens limités et celles issues des minorités ethnoculturelles. En comparaison, le pays compte seulement 800 cliniques offrant l’avortement.
Des pratiques trompeuses
L’ambiguïté que ces organisations laissent volontairement planer autour d’elles sert de stratégie — avouée — visant à élargir leur public cible : ne sachant pas que ces organisations sont anti-choix, plusieurs femmes s’y rendent en espérant y obtenir de l’information fiable sur les trois issues de grossesse possibles : la parentalité, l’avortement ou l’adoption. Depuis 1990, et de manière plus importante depuis le début des années 2000, plusieurs articles de journaux, rapports de recherche et rapports d’enquête produits par des groupes féministes et pro-choix relatent les pratiques non éthiques de ces organisations. Ces textes révèlent aussi comment certaines femmes ont été particulièrement affectées, voire traumatisées, par leur passage au sein d’une de ces organisations qui déploient des stratégies axées sur la peur et la culpabilisation à l’encontre de l’avortement. Le problème s’est aggravé à la fin des années 2000 lorsque des États, majoritairement républicains, ont commencé à adopter des législations visant à baliser et à restreindre le droit à l’avortement. Parmi la myriade de législations adoptées, l’une touche directement les centres d’aide à la grossesse anti-choix. Actuellement, au sein de 35 États, il est obligatoire de passer par le counseling avant de pouvoir accéder à l’avortement demandé. Dans 20 de ces États, les centres d’aide à la grossesse anti-choix font partie de la liste officielle de ressources recommandées.
La réplique des pro-choix
Pour la NARAL Pro-Choice, une organisation nationale de lutte pour le droit à l’avortement et la santé reproductive, l’action des centres d’aide à la grossesse anti-choix entrave une prise de décision éclairée par les femmes et compromet leur droit de choisir. Au Congrès américain, malgré la publication en 2006 de l’enquête «Politics and Science : Reproductive Health» du représentant démocrate Henry A. Waxman révélant les pratiques troublantes des centres anti-choix, les élu-e-s de la Chambre des représentants ont été incapables de s’entendre sur un projet de loi régulant et balisant les actions de celles-ci. C’est dans cette optique que les actions militantes ont changé d’échelle et sont passées au niveau étatique plutôt qu’au fédéral.
Le Maryland, qui compte presque autant de points de service offrant l’avortement (41 en 2014) que de centres anti-choix (46 en 2017), est reconnu comme État ayant des lois relativement progressistes à l’égard de l’avortement. Et la NARAL Pro-Choice Maryland a joué un rôle de précurseur dans la lutte contre les centres d’aide à la grossesse anti-choix. Déjà en 2002, l’organisation publiait une première enquête sur les pratiques de ces centres, portrait qu’elle complètera par une seconde enquête en 2008. En 2009 et 2010, l’organisation a également réussi à faire adopter les deux premières ordonnances à travers le pays obligeant les centres anti-choix de la ville de Baltimore et du comté de Montgomery à dévoiler leur véritable statut. En d’autres termes, les centres anti-choix étaient forcés d’admettre qu’ils n’étaient pas des établissements médicaux certifiés et qu’ils n’effectuaient aucune référence pour des services d’avortement ou de contraception. Ces mesures ont notamment eu pour effet de différencier plus facilement les véritables cliniques offrant l’avortement des «fausses cliniques» anti-choix. Depuis, le mouvement anti-choix s’est mobilisé et les deux ordonnances ont été annulées à des niveaux judiciaires supérieurs ; le premier amendement de la Constitution américaine, soit la liberté d’expression, a été invoqué pour obtenir gain de cause. Cependant, la ville de Baltimore, appuyée par la NARAL Pro-Choice Maryland, est toujours en procédures judiciaires afin de tenter de maintenir l’ordonnance contre les centres d’aide à la grossesse anti-choix.
Malgré le succès relatif des démarches entamées au Maryland, Diana Philip, directrice générale de la NARAL Pro-Choice Maryland nous a expliqué, dans le cadre d’une entrevue, que le travail effectué au sein de son organisation a contribué au déploiement de nombreuses autres initiatives par des groupes sœurs (la NARAL Pro-Choice California, la NARAL Pro-Choice New York, etc.). Ainsi, la multiplication lente mais constante de mesures législatives à New York (2011), en Californie (2015), à Hawaii (2017) et dans l’État de Washington (2017) a en partie été rendue possible grâce aux efforts concertés d’un conglomérat de groupes pro-choix au sein duquel la NARAL Pro-Choice Maryland occupe une place prépondérante. Par ailleurs, selon une note qui nous a été transmise par Mme Philip, il semblerait que l’organisation travaille actuellement à l’élaboration d’une loi-cadre qui pourrait ensuite être reprise par les autres États.
Et le Québec?
Le Québec est la province qui dénombre le moins de centres d’aide à la grossesse anti-choix au Canada. Il s’agit aussi de la seule province qui compte davantage de points de service offrant l’avortement que de centres anti-choix. Au cours des dernières années, nous avons interviewé certaines responsables de ces centres anti-choix qui sont beaucoup moins structurés et financés qu’aux États-Unis. S’il était difficile d’évaluer leurs pratiques à partir d’entrevues, des reporters et journalistes les ont infiltrés et ce qu’elles ont révélé dans leurs articles ressemble en tout point aux témoignages américains.
Au Québec, la lutte contre les centres d’aide à la grossesse est un dossier notamment mené par la Fédération du Québec pour le planning des naissances (FQPN). En partenariat avec le Service aux collectivités de l’UQAM, la FQPN a contribué à la réalisation d’un rapport de recherche portant sur les centres d’aide à la grossesse anti-choix au Québec publié en 2014. Malgré les nombreux articles de journaux portant sur cet enjeu, aucune loi québécoise n’est venue encadrer les pratiques et les discours de ces organisations anti-choix jusqu’à présent.
En conclusion, si la lutte est bien entamée aux États-Unis, il en est tout autrement au Québec. Or, le sujet est à prendre au sérieux compte tenu de la proximité de plusieurs de ces centres anti-choix québécois avec des établissements d’enseignement supérieur ainsi qu’avec certaines institutions de santé publique (référencement, publicité, stage, etc.). D’une part, la réalisation d’une campagne de sensibilisation, en partenariat avec le milieu communautaire pro-choix, permettrait à la population de mieux identifier ces centres. D’autre part, l’adoption d’une loi visant l’encadrement des pratiques des centres anti-choix inspirée des ordonnances et des législations étatiques aux États-Unis est impérative. En plus d’avoir un effet de protection pour la population, le Québec deviendrait un leader au Canada dans la lutte contre les centres d’aide à la grossesse anti-choix.
Véronique Pronovost, candidate au doctorat en science politique et chercheure en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.