Pour traverser la Méditerranée dans l’espoir de rejoindre l’Europe, un nombre croissant de migrant-e-s venu-e-s de la région subsaharienne – fuyant l’extrême pauvreté, la guerre ou des persécutions – passe par la Libye. Considéré-e-s comme des migrant-e-s «clandestin-e-s», la réticence des pays européens quant à leur accueil est maintenant bien connue. Certains États et gouvernements cherchent à canaliser, voire empêcher ce flux migratoire en fournissant un soutien militaire et en finançant les camps dans lesquels sont retenus les candidat.e.s à la traversée de la Méditerranée ainsi qu’en formant des gardes-côtiers libyens.
Déni international
Alors que les instances internationales commencent tout juste à dénoncer la situation, depuis plus de 24 mois, les groupes humanitaires ne cessent d’incriminer l’aide fournie par plusieurs pays de l’Union européenne, faisant de ces derniers des complices actifs de cette situation révoltante.
Déjà en 2015, dans un rapport intitulé Libya is full of Cruelty, Amnesty International faisait état de témoignages de réfugié-e-s et migrant-e-s victimes de violation de leurs droits fondamentaux. En dépit des informations connues, au sommet réunissant des chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne en février 2017 à Malte consacré en partie à la crise migratoire, les dirigeants formalisent leur intention de fermer la route migratoire en Méditerranée centrale. L’organisme Médecins Sans Frontières (MSF) affirme à cet effet «qu’il ne s’agissait pas de sauver des vies; il est évident que l’UE est prête à sacrifier des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants vulnérables afin de les empêcher d’atteindre les rivages européens».
En mai dernier, l’Organisation internationale des migrations (OIM) alertait également la communauté internationale concernant les marchés d’esclaves en Libye : «ils [les migrants] y deviennent des marchandises à acheter, vendre et jeter lorsqu’elles ne valent plus rien». Qui plus est, en septembre, la présidente de Médecins sans frontières Joanne Liu dénonce elle aussi l’implication des pays occidentaux : «dans leurs efforts pour endiguer le flux, les gouvernements européens seront-ils prêts à assumer le prix du viol, de la torture, et de l’esclavage? […] Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.»
L’adoption de ces mesures par l’Union Européenne, combinée à la situation politique instable en Libye, entraîne l’installation progressive d’un système d’esclavagisme en cette fin d’année 2017.
Conséquences désastreuses pour les migrant-e-s
Dans les centres de détention du Département libyen de lutte contre la migration illégale (DCIM), on compte plus de 19 900 êtres humains, contre 7 000 à la mi-septembre. Les observateurs de l’ONU rapportent à la fois les conditions «inhumaines» et «horribles» dans lesquelles ces femmes et ces hommes sont contraint-e-s de vivre et indiquent que «beaucoup de détenu-e-s ont déjà été victimes de la traite, d’enlèvements, de torture, de violences sexuelles, de travail forcé, d’exploitation, de violence physique ou exposés à la famine et à d’autres atrocités, très souvent aux mains des trafiquants ou contrebandiers».
Depuis la chute du régime Kadhafi en 2011, de nombreux territoires sont tenus par des milices se spécialisant dans le trafic de migrant-e-s. Cette industrie lucrative s’installe le long des itinéraires reliant le Sud du pays à la côte méditerranéenne afin de capturer les migrant-e-s et réfugié-e-s et de les vendre «au plus offrant». Lorsqu’ils sont vendus, ces derniers sont forcés de travailler dans des fermes et des champs sans salaire ou servent d’esclave domestique à leur «propriétaire». S’ajoutant à cela, les femmes et enfants subissent dans la majorité des cas des violences sexuelles et sont sujets à être vendus en tant qu’esclave sexuel. Outre les situations de traites, les migrant-e-s sont séquestré-e-s, privé-e-s de nourriture et d’eau, insulté-e-s, battu-e-s, électrocuté-e-s par les trafiquants afin d’obtenir des rançons de leur famille. S’ils sont relâchés, ces derniers se font généralement kidnapper par d’autres groupes et ré-emprisonnés dans les mêmes conditions.
Face à ce niveau de souffrance incommensurable; face à ce retour à l’esclavagisme, nous ne pouvons continuer de fermer les yeux. Il est fondamental de diffuser davantage d’information et de faire état des réalités endurées par les migrant-e-s en Libye. Il s’agit d’un crime contre l’humanité qui nous interpelle toutes et tous, où des milliers d’individus sont privés de leur liberté de vivre; de vivre dignement.
Souleymane Mahamadou Lawan, étudiant à la maîtrise en Administration de la santé, ENAP.
Léa Héroux-Mailhot, étudiante à la M.sc. en Gestion en contexte d’innovations sociales HEC Montréal.