À première vue, cet argument paraît aller de soi : si on propose aux gens de participer à un processus qui vise l’écriture de la constitution d’un pays, on les charmera moins que si on leur laisse l’opportunité d’écrire éventuellement celui d’une province canadienne. On pourrait espérer alors que dans ce processus, savourant les douceurs de l’autonomie politique, ces non convaincu-e-s y prennent goût et fassent le pas qui passe de l’autonomisme à l’indépendance. L’argument porte surtout quand il s’agit de convaincre, en période électorale, des gens de gauche moins tentés par l’indépendance : on peut en quelque sorte leur dire qu’ils ont leur place au sein de Québec solidaire.
S’il est intéressant, cet argument comporte plusieurs failles. D’abord, la principale, et je l’ai mentionnée dans mon texte précédent : c’est que tout le monde se fout de nos petits plaisirs programmatiques. La plupart des gens voient en gros ce que l’on défend — par exemple, sommes-nous séparatistes ou fédéralistes — et n’ont que faire des détails. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas important d’avoir un programme cohérent, mais il ne faut tout de même pas surestimer le caractère déterminant des nuances que nous apportons à notre programme dans l’appui populaire. Réaliser cela devrait au moins nous permettre de prendre ce débat interne avec calme et d’éviter les anathèmes et les emportements.
Une fois cela dit, débattons du fond de la question. Supposons que nous approchons une personne qui n’est pas convaincue par le projet souverainiste, mais qui aime bien nos idées. Pourrait-on réussir à la convaincre avec la proposition de constituante avec mandat? La première chose qu’il faut faire pour être sincères dans notre tentative de réponse est de ne pas mettre en opposition constituante ouverte ou fermée. La personne qu’on tente de convaincre ne connaît pas nos débats et tergiversations sur cette question. Elle ne connaît que la proposition que le militant ou la militante qui se présente à sa porte lui décrit.
La constituante nous permet d’emblée de dire à la personne : «vous avez votre place dans notre processus, tout le monde peut y participer. Ce n’est pas quelque chose qui se fait d’en haut et nous n’allons pas prendre une décision au-dessus de votre tête. Non seulement vous pourrez élire des gens qui ne sont pas de notre parti pour écrire la constituante, mais en plus vous pourrez vous présenter vous-même pour être élu pour le faire. Si vous n’êtes pas parmi les élu-e-s, vous pourrez néanmoins participer à ce vaste exercice de démocratie participative.»
Face à cette proposition, on s’attend à ce que la personne dise : «Oui, mais je suis fédéraliste, pourquoi je participerais à ça?» C’est là qu’on peut lui proposer de faire le pari de Pascal — ou de Richard Bergeron, pour prendre une métaphore plus récente — et de quand même participer à la démarche de constituante parce qu’elle a tout à y gagner, même si elle perd. Prenons un exemple. On pourrait très bien dire à une personne racisée et dubitative devant la proposition de faire un pays avec le Québec : «venez participer à la constituante, vous pourrez proposer et discuter, notamment à propos des droits des personnes racisées, et voyez si vous obtenez les garanties qui vous conviennent. Si vous les obtenez, peut-être serez-vous tentée d’être en faveur de l’indépendance. Sinon, vous ne signez pas un chèque en blanc en participant, vous avez toujours l’option de voter et de militer pour le NON dans le référendum d’adoption de la constitution». Bref, soit elle participe et elle adhère à un projet qui lui ressemble, soit elle aura au moins amélioré un projet auquel elle n’adhère pas, mais qui sera moins pire grâce à sa participation s’il passe.
Cette stratégie où la porte est ouverte à tout le monde, qui veut essayer de penser ce que pourrait être le pays du Québec, rend le travail de la constituante moins flou qu’avec un mandat ouvert. On prend un moment où tout le monde essaie — même des gens qui ne sont pas convaincus par l’idée d’indépendance — de penser à ce que pourraient être les éléments fondamentaux d’un pays où ils aimeraient vivre. Le débat sur si on veut y aller ou non n’est donc pas constamment rejoué dans les murs de l’assemblée. On évite ainsi de tourner en rond en revenant sans cesse sur les mêmes arguments.
Le vrai débat sur l’indépendance se fait après la rédaction de la constitution, devant le résultat de ce qu’on propose concrètement comme pays. Les débats de la campagne référendaire ne porteraient plus sur une idée abstraite, mais bien sûr une proposition précise à propos de laquelle on pourrait dire : je veux (ou je ne veux pas) de ce pays parce que tel élément est présent (ou absent) de sa constitution.
À mon avis, cette proposition est, in fine, plus efficace pour convaincre parce qu’elle est plus claire. Deux moments distincts s’y trouvent : le débat sur la nature de la constitution d’abord et ensuite celui sur l’indépendance. Avec le mandat ouvert, un flou subsiste sur le rôle de la constituante et d’une personne non souverainiste qui s’y rendrait. Irait-elle pour proposer des éléments de constitution? Irait-elle pour s’assurer qu’il ne s’agisse pas d’une constitution souverainiste? Irait-elle pour proposer des modifications à la constitution canadienne? Le mandat indépendantiste clarifie ces questions, tout en laissant l’entière liberté aux personnes en désaccord avec l’indépendance la possibilité de participer de bonne foi au processus constituant pour ensuite, si elles ne sont toujours pas convaincues, s’organiser pour militer et voter contre la constitution d’un nouveau pays.