Le Bangladesh a récemment refusé de laisser le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) se charger de la gestion des quelque 600 000 Rohingyas qui ont trouvé refuge sur son territoire.
Le gouvernement bangladais a demandé à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) plutôt qu’au UNHCR de gérer le flux d’arrivants sur son territoire. Il s’agit d’un choix politique dangereux puisque le Bangladesh refuse de traiter les Rohingyas pour ce qu’ils sont : des demandeurs d’asile fuyant un génocide ethnique. Après avoir quitté un pays où ils se font même refuser le titre de communauté ethnique officielle, cette décision du Bangladesh est un nouveau bafouement de leurs droits et de leur identité.
En effet, la protection légale accordée aux réfugié-es diffère de l’appui qu’on offre à un migrant économique. Les pays signataires de la Convention de Genève relative au statut de réfugié de 1951 sont obligés d’offrir assistance aux demandeurs d’asile entrant leur territoire et de leur faciliter l’accès à un statut de réfugié. Ils ne sont pas attachés aux mêmes obligations si les nouveaux arrivants sont définis comme des migrants économiques.
Le fait que le Bangladesh n’ait jamais signé la Convention de Genève rend son choix d’autant plus dangereux pour les Rohingyas, qui risquent d’être l’objet de rapatriements forcés et d’atteintes à leurs droits les plus fondamentaux.
Pourquoi c’est important?
Le choix du Bangladesh de faire appel à l’OIM n’est pas innocent. Le mandat de l’UNHCR, fondé en 1950 sous l’égide de l’ONU, est intimement lié à la Convention de Genève. L’organisation possède une expertise juridique et logistique pour venir en aide spécifiquement aux réfugié-es fuyant la guerre et autres atrocités.
L’OIM, qui fait partie du système onusien depuis seulement 2016, a pour mandat la gestion de la migration internationale. Son financement se fait sur une base volontaire et sporadique de la part des pays membres. Des experts de la migration croient que cela a créé une projet-isation de l’aide, car les activités de l’OIM sont majoritairement déterminées au cas par cas, selon les besoins des pays qui accueillent des migrants.
Comme les pays financent volontairement l’OIM projet par projet, ils sont plus aptes à influencer les activités de l’OIM que du UNHCR, que ce soit au niveau du rapatriement forcé ou de l’installation des migrants dans le pays d’accueil, de la facilitation ou non de l’accès à un statut officiel de réfugié, des conditions des camps provisoires, de l’installation de cliniques et de programmes d’éducation transitoires. Par exemple, des politiques hautement controversées ont été mises en place dans le camp de la région de Cox’s Bazar, comme la stérilisation d’hommes et femmes Rohingyas, soit disant pour éviter un surpeuplement des camps.
Pas surprenant que le Bangladesh préfère travailler avec l’OIM puisqu’il peut davantage lui dicter ses actions.
Des responsables à l’ONU confient que ce refus de la part du Bangladesh de donner au UNHCR un rôle plus important pourrait mener à une réponse plus sécuritaire qu’humanitaire. Cela peut vouloir dire des camps clos et surveillés par des militaires plutôt que des camps de réfugié-es où les individus sont libres d’entrer et de sortir. Ces responsables, parlant sous le couvert de l’anonymat, craignent également que cette décision rende plus difficile l’accès à un statut de réfugié pour les Rohingyas.
L’OIM, si laissée à elle-même, n’a pas non plus les ressources logistiques ni la culture organisationnelle pour gérer la crise actuelle. Le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés Filippo Grandi demande plutôt que l’OIM et le UNHCR soient tous les deux présents et se coordonnent pour offrir une réponse plus appropriée à la crise.
Problème de langage
Le terme même de ‘réfugié’, que le gouvernement bangladais refuse d’utiliser, a des implications importantes quant à la réponse qu’on offre aux mouvements de populations comme celui des Rohingyas.
Le débat entre l’utilisation des termes migrant ou réfugié avait d’ailleurs fait rage en 2015 lorsque al Jazeera avait décidé d’utiliser le terme réfugié pour désigner les Syriens fuyant le gouvernement de Bachar al-Assad. Le média voulait mettre l’emphase sur les conditions de vie abominables de ces individus forcés de migrer à cause de la guerre.
Donc au-delà de la question juridique, il y a une connotation de plus en plus négative associée au fait d’être un migrant international. Le terme crée une distance entre les migrants et les citoyens d’un pays d’accueil. Nous n’avons qu’à penser aux Mexicains aux États-Unis, aux Africains de l’ouest en France ou aux Syriens en Allemagne. La plupart des gens sont aussi moins porté à donner de l’argent pour aider des ‘migrants économiques’ que pour des ‘réfugiés de guerre’. Ce choix sémantique est donc capital.
Dans ce cas-ci, n’importe quelle personne sensée aurait de la difficulté à ne pas associer la situation des Rohingyas à la définition d’un réfugié : quiconque «craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques». Les Rohingyas ne sont pas de simples migrants économiques, mais bien des demandeurs d’asile fuyant un potentiel génocide ethnique.
Le UNHCR a lui-même qualifié l’attitude du gouvernement du Myanmar par rapport aux Rohingyas de cas d’école de nettoyage ethnique.
Par ailleurs, le Myanmar refuse l’accès à presque toutes les agences internationales et a publié un rapport artificiel qui prétend qu’aucune violence systématique n’a été perpétrée contre les Rohingyas.
Des pressions se font grandement sentir sur la présidente du Myanmar, Aung San Suu Kyi, qui refuse elle-même d’utiliser le terme Rohingya et les appelle plutôt des Bengalis, ce qui donne l’impression qu’elle ne les considère pas comme des citoyens à part entière de son pays.
Certains observateurs demandent même qu’on lui retire le prix Nobel de la paix qui lui a été décerné en 1991 pour sa promotion de la démocratie au Myanmar. Une reconnaissance qui semble aujourd’hui plutôt ironique…