Les trois questions importantes que soulève ce débat sont, à mon avis: quelle est l’utilité de l’indépendance pour la réalisation d’un programme de gauche? Quels sont les problèmes rarement abordés de la constituante sans mandat? Enfin, a-t-on eu la possibilité de convaincre des fédéralistes à partir d’une constituante avec mandat indépendantiste?
Transformer la société
Commençons par la première question; est-il toujours souhaitable que notre parti soit en faveur de l’indépendance du Québec? Québec solidaire propose une transformation majeure de la société québécoise, un élément que les différents commentateurs médiatiques n’ont cessé de ramener (par exemple ici) tant notre perspective leur déplaît. Dans un texte récent à propos de la fusion – et, au demeurant fort intéressant – Céline Hequet soulevait la question de la pertinence pour Québec solidaire d’être souverainiste en lançant, entre autres, cette question : «Même si les souverainistes de QS nous ont déjà resservi ad nauseum l’argument du pipeline d’Énergie-est comme motif irréfutable de vouloir l’entière souveraineté sur notre territoire afin de réaliser un projet de société écologiste, qu’en est-il depuis que le projet est mort? Quels sont les autres arguments?» Et d’ajouter – je reformule – que la révolution étant bonne pour tout le monde, pourquoi ne pas l’offrir plus largement? Au Canada, aux États-Unis, au monde entier.
Si on retient une approche purement instrumentale de l’indépendance (on la fait pour réaliser un projet de société), alors il faut savoir si on a besoin de sortir du Canada pour réaliser ce projet. À mon avis, à cette question, la réponse est claire. Nos aspirations ne pourront être pleinement réalisées au sein du carcan fédéral, même si certains progrès importants peuvent être accomplis dès maintenant. Cependant, nous serons rapidement confrontés à deux problèmes, l’un constitutionnel et l’autre fiscal.
Constitutionnel, parce que certains domaines resteront hors de notre portée tant que nous sommes dans le giron canadien. Pensons seulement à quelques propositions mises de l’avant par Québec solidaire. Un lien ferroviaire haute-vitesse entre les villes pour réduire l’usage des voitures : compétence fédérale. Octroyer la citoyenneté aux personnes immigrantes après un an de résidence : compétence fédérale. Quant à l’établissement d’ententes plus respectueuses avec les peuples autochtones, même si on pourrait déjà faire quelques pas décisifs, une loi inique et coloniale maintient un «rapport de fiduciaire» entre le gouvernement fédéral et les autochtones. Bref, au bout du compte, le fédéral devra s’en mêler. Dans tous ces cas – et plusieurs autres – le gouvernement fédéral aurait un rôle prépondérant à jouer et pourrait bloquer les aspirations d’un Québec toujours minoritaire dans le système fédéral. Ainsi, le peuple du Québec ne prendrait pas de décision sur ces questions, il ne ferait pas usage de son autonomie politique, il serait placé en situation de demander au fédéral d’agir selon ce qu’il souhaite… et d’attendre le résultat d’une décision prise ailleurs.
Rapidement aussi, des problèmes fiscaux apparaîtront, parce que la façon dont le gouvernement fédéral dépense son argent (qui est en partie le nôtre) nuit à la réalisation des projets que Québec solidaire veut réaliser. On le voit avec le système des CPE mis à mal par les crédits d’impôts fédéraux qui favorisent les garderies commerciales. On le constate aussi avec le financement des universités où le fédéral a grandement encouragé le virage vers la commercialisation de la recherche. On pourrait aussi longuement élaborer sur les effets de la politique industrielle canadienne qui a structuré le développement pétrolier et polluant plutôt que l’usage raisonné et écologique de nos ressources. Rester dans le Canada c’est se battre constamment contre ces choix politiques qui ne sont pas les nôtres et qui ont des effets directs sur nos vies.
Les engagements qui nous permettent de réaliser notre déclaration de principe – qui comprend, cela dit, l’indépendance – exige la réalisation pleine et entière de notre souveraineté. Si la pleine autonomie d’une communauté politique est déjà une raison suffisante d’être en faveur de l’indépendance, la réalisation de nos aspirations en offre une deuxième tout aussi cruciale.
Néolibéralisme bien de chez nous
Un mot seulement sur l’argument que soulève Céline Hequet – que j’entends aussi d’autres personnes – voulant que le Canada n’ait le monopole ni du néolibéralisme, ni de la bêtise et qu’on est bien capable de faire des conneries par nous-mêmes au Québec. C’est bien vrai, des tonnes d’exemples le prouvent, mais c’est une drôle d’affirmation quand on se propose justement de remplacer le gouvernement en place. Comme si soudainement on oubliait que le processus de constituante que nous proposons se ferait précisément dans le cadre d’une prise de pouvoir par Québec solidaire. Il participerait et résulterait donc d’une transformation sociale qui s’organiserait en opposition à ces politiques néolibérales. Si on postule que d’un gouvernement émanant de notre organisation émergera le néolibéralisme, ce n’est pas d’indépendance dont il nous faut parler, mais d’un problème d’un tout autre ordre lié soit à notre programme, soit à notre confiance en nos député-e-s.
Très bien, dira-t-on, allons vers l’indépendance, mais pourquoi offrir un mandat ouvert où on laisse la constituante proposer différentes options de rapport au Canada ne serait-il pas préférable? C’est l’objet de mon prochain texte.