De mon côté, si je milite, c’est pour améliorer la vie concrète des gens. La mienne, mais aussi celle des autres : les autres femmes, les travailleurs et les travailleuses, les Noir.e.s, les Arabes, les musulman.e.s, les autochtones, les gays, les lesbiennes, les sans-abris (c.c. à l’Académie française, je me suis assurée de féminiser juste pour vous). Tous ceux et celles qui n’ont pas gagné au gros lot des privilèges, non par malchance, mais bien à cause d’un système organisé consciemment par des gens pour donner à certain.e.s plus que leur juste part du gâteau.
C’est aussi la raison pour laquelle je dédie le plus clair de mon temps à des études graduées en sociologie : pour mieux comprendre la logique de ces systèmes sociaux et pouvoir les attaquer de façon plus efficace. Toujours dans le but d’améliorer le sort concret des gens.
L’oppression coloniale canadienne
Dans mon quotidien, aujourd’hui, en 2017, je ne me sens pas opprimée par les Canadien.ne.s anglais.es ni même par l’État canadien en tant que Québécoise. Je ne suis pas ciblée négativement par Ottawa parce que l’endroit où j’ai émigré se trouve quelque part entre la rivière Gatineau et le golfe du St-Laurent.
Peut-être mon cas est-il particulier. Peut-être que, pour une raison que je m’explique mal, je m’attire l’amour ou du moins le respect des Canadien.e.s anglais que je côtoie et, par un pur hasard, je me trouve traitée par les institutions canadiennes de la même façon que les gens du ROC. J’ai demandé à maintes reprises aux militant.e.s indépendantistes allochtones (donc pas les Autochtones, dont la subordination n’est plus à prouver) comment ils se sentaient concrètement, dans leur quotidien, opprimé.e.s par le colonialisme canadien. Ils n’ont pu, jusqu’à ce jour, m’apporter de réponse claire. Certes, l’État canadien fait plein de choses pas belles dans ce pays et aussi ailleurs dans le monde. Mais nous n’en souffrons pas spécifiquement en tant que Québécois.es. Nous en souffrons en tant que travailleurs et travailleuses, en tant qu’usagers et usagères des services publics, en tant qu’écologistes, etc. Tout comme beaucoup d’autres Canadien.ne.s.
Il y a tout de même l’enjeu linguistique qui n’est partagé par l’ensemble des citoyen.ne.s. Cependant, il y a des francophones en dehors du Québec, les avez-vous oublié.e.s? Si nous pensons que nous constituons une minorité linguistique, imaginez ceux et celles qui resteront une fois que nous serons parti.e.s. Ceux-là et celles-là n’auront aucune chance de faire valoir leurs droits.
L’autodétermination des peuples
Certain.e.s reconnaissent parfois que les Québécois.es ne sont pas à proprement parler dominé.e.s (sur le plan culturel ou politique) ou exploité.e.s (sur le plan économique) par les Canadien.ne.s anglais.es, mais que cela ne les empêche pas d’exercer leur droit de s’autodéterminer comme peuple (un des buzzwords indépendantistes). Cependant, qu’est-ce qu’un peuple? Cette question aussi, les militant.e.s ont beaucoup de mal à y répondre.
Dans un billet de blogue publié dernièrement dans le cadre du débat entourant la fusion de QS et ON, on évoque un «processus social, historique, culturel et politique inachevé». Voilà qui est bien flou! Mais laissons la chance au coureur, qui a fait une deuxième tentative sur les réseaux sociaux :
«Un peuple se définit par des caractéristiques sociales, culturelles, et institutionnelles, une histoire commune, et par un processus d’identification (les gens qui se reconnaissent dans une même communauté d’appartenance). À ce titre, cela me semble un peu fallacieux de nier que le peuple québécois existe. Ose-t-on affirmer que les peuples autochtones sont des peuples, que le peuple français existe, que les peuples espagnol, catalan, kurde, allemand ou italien existent? Les peuples sont des entités complexes, aux contours parfois flous et évolutifs, mais ce ne sont pas moins des faits sociaux pour autant.
Ensuite, avec un peu de recul historique, on voit que le Québec (contrairement aux autres provinces canadiennes) n’a jamais signé la constitution de 1982, que la tentative de réforme du cadre constitutionnel canadien pour reconnaître l’existence d’une société distincte et amener différents accommodements institutionnels (sur le plan politique, fiscal et culturel) a été rejetée par le reste du Canada, de sorte que le Québec ne se trouve pas exactement dans la même situation que les autres provinces. Il y a donc eu un déni de reconnaissance du peuple québécois au début des années 1990, ce qui explique la remontée fulgurante du mouvement souverainiste et le référendum de 1995.»
Il faudrait d’abord définir quelles sont les caractéristiques sociales et culturelles spécifiques au Québec. La poutine? Les cretons? Être vaguement social-démocrate ou parler de la météo quotidiennement? S’agirait-il de ce qu’on appelle communément «l’identité québécoise» (ou la «personnalité québécoise») et que l’on reproche au PQ de mobiliser, en raison de son caractère non inclusif? Il en va de même pour l’histoire commune, qui n’est commune qu’à certaines personnes bien spécifiques : les Québécois.es de souche. En quoi une telle définition prend ses distances du nationalisme conservateur, à part les prétentions de ceux qui la portent? Si le projet ne repose pas sur des fondements conservateurs, il faut pouvoir le prouver, pas seulement le dire.
Affirmer qu’il y a historiquement eu un déni de l’existence du peuple québécois n’en prouve pas plus l’existence. Cependant, je reconnais sans problème que, jusque dans les années 70 environ, les Canadien.ne.s de langue française étaient subordonnés aux Canadien.ne.s de langue anglaise. C’est à travers cette relation de domination qu’ils et elles se constituaient comme groupe distinct, tout comme les Autochtones aujourd’hui.
Sans cette organisation verticale, cependant, il est très difficile de définir les contours de groupes qui se mélangent dans un même espace géographique. Je suis d’avis que cette hiérarchie n’existe plus aujourd’hui et c’est probablement l’argument central de mon texte. C’est pourquoi il n’y a plus de sens profond à vouloir libérer le «peuple québécois». On ne sait ni exactement de qui on parle (peut-être simplement les gens qui se trouvent à l’intérieur des frontières du Québec et qui donc, par définition, partagent des institutions communes) ni de quoi au juste on veut les libérer. Cela explique aussi, selon moi, l’essoufflement du projet de souveraineté, qui s’alimentait encore de blessures à peine cicatrisées en 1995, mais qui ne réfère plus aujourd’hui qu’aux vieux souvenirs de ceux et celles qui étaient là à l’époque.
C’est aussi à cause de cette définition de peuple comme groupe qui existe à travers une relation hiérarchique que je suis d’avis que la comparaison entre les Autochtones ou les Kurdes d’un côté et les Français, les Italiens ou les Allemands de l’autre ne tient pas. On pourrait très bien dire que ces derniers n’existent que parce qu’ils font partie d’un même État-Nation. Sans parler du fait que je connais probablement des Breton.ne.s qui ne seraient pas très content.e.s d’entendre parler du peuple français…
Une communauté de situation
En dernier lieu, pour ce qui est du processus d’identification («les gens qui se reconnaissent dans une même communauté d’appartenance»), je me sens moi aussi plus proche des autres Québécois.es que des Canadien.ne.s du ROC. Par contre, j’ai remarqué, en étudiant avec des gens venus des quatre coins du globe, que je me sens plus proches des Canadien.ne.s anglais que, par exemple, des Américains. Nous partageons notre actualité fédérale, ils sont un peu au courant de notre actualité provinciale, ils parlent un peu ou du moins comprennent un peu le français, etc.
Pour cette même raison, je me sens plus proche d’un.e autre Montréalais.e que de quelqu’un de Québec ou de la Beauce. Je me sens aussi plus proche des femmes, des personnes anxieuses, des amoureux des chats et des yogis. C’est normal au fond, plus les gens ont un vécu semblable au nôtre, plus c’est facile de se comprendre. Peut-être devrais-je penser à fonder une commune de femmes anxieuses folles aux chats qui font du yoga…
Plus sérieusement, je pense qu’on peut très bien s’identifier à un groupe sans sentir le besoin de se séparer. L’un ne découle pas logiquement de l’autre. Si l’on croit à la vertue de «l’autodétermination des peuples», il faut alors déterminer ce qui constituent les habitant.e.s du territoire québécois en peuple (des caractéristiques qui sont toujours vraies pour ces personnes mais ne sont pas vraies pour les autres Canadien.ne.s). Ensuite, il faut démontrer en quoi est-ce plus vertueux, pour ce peuple d’avoir des institutions juste à lui plutôt qu’aux côtés d’autres peuples. Et c’est à ce moment que surgit habituellement la question autochtone…