En guise de bâton, plusieurs échecs qui auraient de quoi faire sursauter les mules les plus têtues. Dans les États, quatre élections partielles tenues ce printemps dans le Kansas, le Montana, la Géorgie et la Caroline du Sud, qui se sont toutes soldées par des victoires républicaines sur le fil. Dans le débat public, un acharnement sur le «dossier russe», qui (pour le moment) ne mène nulle part.

En guise de carotte, un contexte politique pourtant prometteur, qui devrait l’énergiser le parti : une impopularité historique frappant le président (38 % d’opinions favorables), des activistes gonflés à bloc dans les rues, et quelque 2,86 millions de voix d’avance engrangées par Hillary Clinton en novembre 2016… prouvant que la coalition électorale démocrate conserve un solide avantage démographique.

De quoi générer à la foi hargne et espoir, donc. Qu’est-ce qui empêche dès lors l’âne démocrate d’aller de l’avant? Au moins trois facteurs, interconnectés, semblent déterminants.

Qu’est-ce qui empêche dès lors l’âne démocrate d’aller de l’avant?

Une déchirure persistante

En premier lieu, même s’il est parfois poussé jusqu’à la caricature, un fait incontournable demeure : plus d’un an après la primaire entre Hillary Clinton et Bernie Sanders, le parti démocrate reste déchiré entre son establishment et sa frange progressiste. Deux frères ennemis dont les désaccords concernent les fins aussi bien que les moyens.

D’un côté, un appareil de parti plutôt centriste, mu par une stratégie avant tout pragmatique : maintenir une ligne socialement libérale, mais économiquement modérée, afin de séduire l’électorat aisé des banlieues (que Donald Trump a éloigné des républicains, et qui se montre plus prompt à voter que les minorités et les milléniaux). Pour ce faire, recourir aux méthodes traditionnelles (gros donateurs, grosse publicité) en concentrant ces moyens sur les districts où les démocrates ont un potentiel clair.

Face à eux, une faction résolument progressiste, moins politicienne et plus militante. Leur stratégie est aussi ambitieuse que fastidieuse : autour d’une plateforme centrée sur les inégalités économiques, faire campagne dans chacun des 50 États, par le travail de terrain et la mise à contribution des activistes locaux. La méthode Bernie, donc : petites donations, petits circuits de coordination, afin de rejoindre les petites gens (mais à grande échelle).

Pour les «rebelles», la débâcle de 2016 constitue la preuve que seule leur recette peut payer. Les centristes, eux, appellent à la modestie : les régions perdues de longue date par les démocrates ne seront pas reconquises en quelques mois seulement, encore moins en dispersant les ressources du parti sur l’entièreté de l’échiquier électoral. Reste que, pour l’heure, cette indécision stratégique pèse lourd sur le dos de l’âne démocrate, comme en attestent les récentes défaites en Géorgie ou dans le Montana.

Cette absence de front unifié génère, en parallèle, une autre dynamique pernicieuse : faute d’un idéal commun, les démocrates ont fait de la critique de Donald Trump leur principal argument de campagne.

«Résistance» n’est pas synonyme de contre-attaque

Cette absence de front unifié génère, en parallèle, une autre dynamique pernicieuse : faute d’un idéal commun, les démocrates ont fait de la critique de Donald Trump leur principal argument de campagne. Or, si la munition en la matière ne risque aucune pénurie, ce credo de «résistance» ne vient pas pour autant remplacer un programme rassembleur : selon un sondage ABC/Washington Post réalisé en juillet, seuls 37 % des Américain(e)s considèrent que le parti «défend quelque chose».

«Le parti démocrate est bien plus qu’un parti anti-Trump… nous devons mettre de l’avant des enjeux qui suscitent davantage d’espoir et d’optimisme», déplorait ainsi dernièrement le représentant d’Ohio Tim Ryan. Pire encore, en surfant sur les défauts de Donald Trump, les démocrates semblent ne pas réaliser qu’ils ont eux-mêmes un blason à redorer : selon le sondage précité, 67 % des citoyen(ne)s voient le parti comme déconnecté des soucis de l’Américain(e) ordinaire.

Bien davantage que réclamer une destitution de Donald Trump, les démocrates doivent donc plutôt s’attacher à repenser non seulement leur message, mais aussi leur image. Les manœuvres ayant entaché leurs primaires 2016, en effet, sont encore dans toutes les mémoires. Leurs sympathisant(e)s attendent de toute évidence un effort de transparence et un changement de donne au sein de la machine partisane… qui pour l’heure ne se dessine que difficilement.

Un leadership vieillissant

Une des raisons de cet immobilisme, et c’est là le troisième facteur qu’il faut relever, c’est que le leadership démocrate peine à faire peau neuve. Nancy Pelosi, leader à la Chambre des représentants, a 77 ans. Son «minority whip», Steny Hoyer, en a 78. Jerry Brown, l’influent gouverneur de Californie, a 79 ans et Dianne Feinstein, doyenne démocrate du Sénat, 84 ans. Joe Biden, l’ancien vice-président demeuré rockstar du parti, en a quant à lui 74.

Une hégémonie des têtes blanches qui n’est pas sans frustrer la nouvelle garde démocrate. Seth Moulton, représentant du Massachusetts figurant parmi les espoirs du parti, a récemment exprimé publiquement son souhait d’un «renouvellement de leadership». L’ancienne garde rechignerait, selon lui, à faire place à la relève, privant ainsi le parti d’énergies nouvelles et d’idées fraîches.

L’enjeu, bien évidemment, est aussi de disposer de sang neuf en vue des prochaines présidentielles. Si Bernie Sanders (76 ans) et Elizabeth Warren (68 ans) semblent paradoxalement enthousiasmer la jeune génération, les démocrates doivent malgré tout se ménager quelques alternatives. Elles s’esquissent progressivement (Kamala Harris, Chris Murphy, Cory Booker, etc.), mais il faut néanmoins que ces figures puissent prendre suffisamment d’importance dans le parti pour être en mesure de le fédérer d’ici 2020.

L’enjeu, bien évidemment, est aussi de disposer de sang neuf en vue des prochaines présidentielles.

Un peu schizophrène, un peu suffisant et un peu poussiéreux, à un an des élections de mi-mandat, l’âne démocrate paraît donc en bien piteux état. Ironie du sort, c’est la caractéristique mythologiquement associée à la mule qui paraît lui faire le plus défaut : l’audace, la volonté de tenir tête. De peur de tomber encore plus bas, le parti paraît refuser de viser plus haut, et de penser plus grand. De toute évidence, si la défaite de 2016 a pu résonner chez les démocrates comme un équivalent de la Grande dépression, ils doivent désormais se remémorer les mots de Franklin Roosevelt en 1932 : «la seule chose dont nous devons avoir peur, c’est la peur elle-même».