Bien que ce soit la posture managériale, je ne suis pas une pédagogue spécialiste en vulgarisation «des» connaissances. Je sais que c’est le postulat de mes patrons qui souhaitent me voir boucher tous les trous possibles. Je transmets plutôt des connaissances que j’ai étudiées et maîtrisées.

J’enseigne l’histoire au secondaire. Lundi, nouveau chapitre, «La Renaissance européenne : Une nouvelle vision de l’Homme».

Je demande aux élèves de trouver l’erreur dans la phrase, ils et elles sortent leur dictionnaire. Le mystère persiste. Je romps le suspense, leur demande de corriger l’erreur et d’écrire «de l’humain» à la place de «l’Homme» pour inclure toute la classe. Les élèves sourient. Une image évoquant la théorie de l’évolution accompagne le texte. Un de mes élèves est choqué, d’ordinaire souriant, il n’a pas l’air content. J’ai heurté ses convictions religieuses. Je désamorce en expliquant qu’il a le droit de croire, mais qu’il s’agit là de science et non de croyance. Il argumente, ne lâche pas le morceau. Je passe à un autre thème et reviendrai avec l’élève sur son comportement après la classe.

Quelle admiration j’ai pour mes collègues qui enseignent le cours d’éthique et cultures religieuses! Ce n’est pas une posture que j’ai choisie. Tout comme je n’ai pas fait le choix d’enseigner la sexualité à mes élèves.

Pour une importante partie de mes élèves, la sexualité n’existe pas en dehors du cadre marital. Il n’est pas question que j’aborde seule le consentement, les enjeux LGBTQ ou la contraception de front dans ma classe. Ce n’est pas une formation d’un jour ou deux ou un guide pédagogique qui m’y rendra soudainement compétente.

Il n’est pas question que j’aborde seule le consentement, les enjeux LGBTQ ou la contraception de front dans ma classe. Ce n’est pas une formation d’un jour ou deux ou un guide pédagogique qui m’y rendra soudainement compétente.

Je suis bien consciente de l’influence que nous avons auprès des élèves et de mon rôle d’éducatrice. En tant qu’actrice du milieu, il est de mon devoir d’être à l’affût, d’observer les comportements, de reprendre l’inacceptable. J’agis systématiquement face à l’homophobie, au racisme, au sexisme. Pas toujours avec la rhétorique éloquente que j’aimerais avoir, tout se passe généralement très vite, à un moment où j’en ai déjà plein les bras. Des fois, je trouve mon intervention convenue, ma conséquence peu significative. Mais je ne ferme jamais les yeux.

Face à l’éducation sexuelle, pas de déresponsabilisation possible pour les enseignantes suggère-t-on, c’est aussi notre responsabilité, nous serions les plus aptes à cette tâche. Serait-ce possible de cesser d’en ajouter dans notre cour? On croule sous les responsabilités et les redditions de compte envers tou.te.s : Patrons, parents, élèves. J’en ai 166 qui comptent sur moi pour réussir, je pense à avoir du matériel d’extra pour eux, je leur rappelle leurs responsabilités, les échéances, je leur rappelle de déjeuner. Je communique avec leurs parents en sortant mon anglais du dimanche, je m’implique dans leur réussite bien au-delà des heures payées.

Remettre aux femmes le fardeau de reprogrammer la société

L’enseignante comme modèle nous renvoie à une définition révolue de notre profession, celle du modèle moral. Je n’ai pas envie d’avoir le fardeau d’une Émilie Bordeleau. Autrefois, c’était «mesdames ne fumez pas et portez deux jupons» et désormais ce serait « soyez un exemple de déconstruction des genres pour vos élèves, soyez à l’aise de parler de sexualité, vos élèves le sont, souvent c’est vous qui êtes trop prudes.»

Autrefois, c’était «mesdames ne fumez pas et portez deux jupons» et désormais ce serait « soyez un exemple de déconstruction des genres pour vos élèves, soyez à l’aise de parler de sexualité, vos élèves le sont, souvent c’est vous qui êtes trop prudes.»

En bonne féministe*, je ne m’épile pas. J’assume complètement ce choix dans ma vie privée, à l’épicerie et même au parc Jarry. Dans ma classe et mon milieu de travail, je n’affiche jamais l’ombre d’un bout de peau, même quand le mercure frôle les 35 Celsius. Je n’assume pas et ne suis pas prête de le faire. Beaucoup trop lourd à porter auprès d’un public adolescent, même s’il me respecte et m’accorde une grande crédibilité. Je sais que dans un scénario théorique idéal, je servirais de modèle à mes élèves, je ferais un discours mémorable avec en trame de fond une musique inspirante.

Je laisse ce choix à quelques héros et héroïnes prêt.e.s à être éprouvé.e.s.

J’ai déjà eu jusqu’à 385 élèves sous ma responsabilité. Des élèves qui m’apprécient et viennent facilement vers moi notamment à cause de mon âge, mais j’imagine aussi à cause de ma disponibilité et de l’ouverture que je démontre. Ça fait beaucoup, beaucoup de care ça. Parce que c’est aussi de cela dont il est question lorsqu’on parle d’éducation à la sexualité. Aborder ces enjeux, animer une discussion, c’est déjà de l’intervention. Les élèves réagissent, sont interpellé.e.s personnellement, émotivement aussi. Je refuse de gérer ça. Nous avons déjà à vivre notre propre rapport à la sexualité. Du care, j’en fais bien assez. C’est encore remettre aux femmes le fardeau de reprogrammer la société et de lutter contre la culture du viol.

C’est encore remettre aux femmes le fardeau de reprogrammer la société et de lutter contre la culture du viol.

Ce n’est parce qu’à chaque fois qu’il est question d’un mal social, on en revient systématiquement à parler d’éducation, qu’il faut toujours pelleter dans la cour d’école.

Parce que c’est trop important

Il faudrait d’abord commencer par sensibiliser l’ensemble des professionnelles de l’éducation à la problématique des stéréotypes de genre. Commentaires hétéronormatifs, attentes différenciées, a priori sur les comportements, cela affecte nos pratiques pédagogiques et didactiques. Ces stéréotypes sont omniprésents dès la formation des maîtres à l’intérieur même des facultés d’éducation. Voilà à mon sens notre principale responsabilité quant à l’éducation sexuelle. Ajoutons à cela se montrer ferme face à l’intolérance, face à toutes formes d’intimidation et de violence, transmettre le respect des limites de l’autre, l’empathie, l’écoute. Nous nous en faisons déjà un devoir au quotidien, dans des contextes autres que celui de l’éducation sexuelle.

Quant à l’éducation aux rapports amoureux, aux orientations sexuelles ou à la contraception, je veux bien jouer un rôle mais je ne veux pas en être responsable. Je ne souhaite pas «animer une discussion sur les rapports amoureux à la suite d’une lecture» pour faire rimer analyse littéraire, grammaire et éducation sexuelle comme le suggère le ministère. Nous dire que nous aurons du soutien externe lorsque notre enseignement se rapprochera trop de l’intervention est de l’ordre de la pensée magique. En pratique, cela peut survenir au-delà de notre intention d’enseignement.

Je ne souhaite pas «animer une discussion sur les rapports amoureux à la suite d’une lecture» pour faire rimer analyse littéraire, grammaire et éducation sexuelle comme le suggère le ministère.

Bien qu’elle repose sur de bonnes intentions, l’avenue qui nous est proposée par le ministère en matière d’éducation sexuelle nous sera imposée «à coût nul», voilà la seule obsession de notre gouvernement. Et ce sont les enseignantes qui en porteront le fardeau à bout de bras. Exigeons des spécialistes ou des prof libéré.e.s dans leur tâche, formé.e.s et réellement volontaire pour le faire.

Je ne souhaite pas être appuyée par des spécialistes pour enseigner l’éducation sexuelle. Je souhaite être ce soutien pour les spécialistes. Je connais mes élèves, elles connaissent leur sujet, en connaissent les obstacles et les angles morts. Je ne demande qu’à les accueillir dans ma classe. Plusieurs fois dans l’année, comme il le faudra. Parce que c’est trop important.

**C’est une image, il n’y a pas de «bonne féministe», chacune est libre de vivre son féminisme comme bon lui semble.