La guerre c’est la paix? L’ignorance c’est le bonheur? La Loi 62 du Parti libéral le représente trop bien. C’est aujourd’hui au nom de l’égalité entre les hommes et les femmes qu’une partie de ces dernières sont exclues de l’espace public. «La» femme musulmane absorbe toutes les contradictions de la propagande. Privilégiée par l’ère du temps, elle devient à la fois la victime et la menace.

Depuis plus de 15 ans, des chroniqueurs vedettes se crampent chaque jour la langue pour dénoncer ces «voiles qui représentent une négation de notre culture occidentale».

Le lundi, on dénonce les musulman-es visitant une cabane à sucre «sans porc». Le lendemain, on trouve un tract «radical» dans une mosquée. Le surlendemain, un reportage parle de ces jeunes allant se battre en Irak. Jeudi, c’est un imam jusqu’ici inconnu de la population qui tient des propos «outrageux» envers les femmes. Vendredi, on parle d’une femme musulmane refusant d’être traitée par un médecin québécois. Le samedi, c’est relaxe, on parle donc de toute cette nourriture hallal qu’on retrouve dans nos restaurants et supermarchés pour «plaire aux musulmans». Dimanche, ce n’est pas le jour du Seigneur, bien entendu. On en profite donc pour discuter de cette pratique «ridicule» et «archaïque» obligeant les musulmans à jeuner pendant le ramadan.

Et c’est comme ça, chaque semaine.

Tous dans le même panier

La violence terroriste des radicaux est également au rendez-vous. Chacun des attentats mène à une déferlante mondiale de solidarité. Je suis Charlie. Tu es Charlie. Il est Charlie. Vous n’êtes pas Charlie? Vous n’êtes pas Paris, Bruxelles, Londres? C’est un outrage! Contester la source de cette violence fait de vous un «idiot utile». Exit le colonialisme. Dehors la guerre en Irak. Exit l’histoire, la sociologie et la politique. Si les extrémistes agissent ainsi, c’est à cause d’un livre écrit il y a quelques milliers d’années. Tout ce qui est arrivé ensuite est sans importance. Impossible de parler des centaines de millions investis par la CIA pour mettre en circulation de faux vidéos djihadistes. Impossible de parler du soutien américain à Al-Qaïda et à ISIS. Impossible d’analyser. Expliquer, c’est justifier. Et le complot islamogauchiste est tout aussi efficace que l’était son grand frère judéobolchévique.

Exit l’histoire, la sociologie et la politique. Si les extrémistes agissent ainsi, c’est à cause d’un livre écrit il y a quelques milliers d’années.

La rhétorique est victimaire. Elle sonne comme une flute de pan joué au synthétiseur. Elle n’accuse pas «tous les musulmans» (oh jamais! sauf une fois à Radio X) mais seulement ceux qui s’affichent ouvertement comme tel. Seulement ceux qui charrient leur culture plus ou moins barbare et qui refusent de condamner la violence des extrémistes. Ceux qui sont invisibles, on les aime bien. Et leur bouffe est bonne.

Plus ça change…

Après 10 ans de cette soupe aux clous, les crimes racistes augmentent à grande vitesse. Des mosquées sont vandalisées. On brule la voiture du président du Centre culturel islamique du Québec. Des femmes se font arracher leur voile en pleine rue. Un attentat terroriste antimusulman fait même six morts et plusieurs blessés graves. Je suis Québec? Tu es Québec? Il est Québec? Pas du tout. À peine quelques bougies éclairent le silence de la capitale. Et aucune relation ne peut être établie avec les propos réactionnaires des politiciens et des chroniqueurs de droite. Chacune de ces critiques glisse sur leurs cervelets en téflon pour se retourner contre celui qui les émet.

Sans grande surprise, les poubelles laissées au soleil produisent de petits vers blancs. Des groupes d’extrême droite pullulent partout dans la province. Mais comme ils aiment énormément la police, la loi et les institutions «démocratiques», ils inspirent le respect d’une part importante des faiseurs d’opinions. La presse réactionnaire profite plutôt de l’occasion pour casser du sucre sur le dos de l’extrême gauche. C’est elle qui est «fasciste». C’est elle qui «domine» nos parlements et nos universités.

Des groupes d’extrême droite pullulent partout dans la province. Mais comme ils aiment énormément la police, la loi et les institutions «démocratiques», ils inspirent le respect d’une part importante des faiseurs d’opinions.

En toute logique, le gouvernement, pourtant dirigé par un gouvernement tellement rouge qu’il ferait pâlir tous les petits chaperons du monde, a décidé, à l’aide de la Loi 62, d’«interdire le port du voile intégral» dans les transports publics.

Hier, par opportunisme électoral, il était antiraciste.

Aujourd’hui, toujours par opportunisme, il baigne dans la sauce brune du nationalisme réactionnaire et renonce à tenir une commission sur le racisme systémique au Québec.

Diviser pour régner. La ligne de partage s’abat sur les femmes voilées. Et les coupe symboliquement en deux.

Nous sommes vendredi.

Demain, on recommence…