À juste titre, on souligne que si l’on entend parler des femmes agressées, il est moins souvent question des agresseurs. On répète que les hommes doivent être tenus responsables pour leurs actions. Que la honte doit changer de camp.

Dans ce tumulte web, des hommes se sont lancés dans de longues publications de remords et d’aveux sur leurs erreurs commises, avec les hashtag #Iditit #Ihave ou #ItWasMe. Certains écrivent avoir participé à la culture du viol en ayant pris part à des blagues sexistes et misogynes, en minimisant des comportements inappropriés, ou en fermant les yeux. En blâmant les victimes, en «slutshamant». Il était à mon avis important d’adresser cette dimension de la culture du viol, soit celle des comportements complices.

D’autres avouent avoir carrément abusé : ils ont saoulé des filles dans l’unique objectif de coucher avec elles, ils ont fait pression sur leur copine pour un rapport sexuel alors qu’elle n’en avait aucune envie. Ces publications récoltent des «j’aime», cœurs, et commentaires admiratifs. Des femmes écrivent des «Merci!» à la pelletée.

Je suis ambivalente.

D’abord, ont-ils contacté leurs victimes pour s’excuser individuellement? Sont-ils dans une véritable démarche de réparation, ou profitent-ils d’un mouvement mondial pour s’absoudre de leurs péchés, et récolter en même temps du capital de sympathie? Pire, sont-ils en train de forcer un coming-out d’une survivante?

D’abord, ont-ils contacté leurs victimes pour s’excuser individuellement? Sont-ils dans une véritable démarche de réparation, ou profitent-ils d’un mouvement mondial pour s’absoudre de leurs péchés, et récolter en même temps du capital de sympathie? Pire, sont-ils en train de forcer un coming-out d’une survivante?

La dé-culpabilité

C’est une discussion infiniment délicate, que je me permet d’aborder sur la pointe des pieds. Ceux qui avouent leur part de responsabilité en se confessant ainsi sont peut-être courageux. En même temps ils écrivent que cela ne fait pas d’eux des monstres, mais des hommes socialisés à être hommes, justement.

On blâme à raison la masculinité toxique, cette boîte (la man box) dans lequel les garçons sont conditionnés dès leur plus jeune âge à adopter des comportements de virilité, de contrôle, de domination. Tandis que les valeurs associées à la féminité comme la tendresse, l’empathie et la docilité sont écartées.

On répète que le sexisme et la violence sont systémiques. La responsabilité reposerait donc sur le système et non les individus. Il s’agirait d’une violence sans coupable? Plutôt pratique.

Sur le compte Instagram Douconsideryourselfafeminist, les débats à ce sujet s’enflamment : «Dis le. Dis que tu es un violeur. Un agresseur. Un monstre. En tant que victime de viol, te rendre plus humain ne va pas m’aider à guérir.»

Pourquoi c’est difficile à entendre

Dans les publications #Iditit, des hommes avouent aussi avoir déjà été coupables d’abus émotionnels dans leurs relations intimes. Certains avouent avoir menti lorsque ça leur convenait, justifier leurs infidélités et ignorer la souffrance de l’autre par des arguments sur le polyamour. Ils confessent avoir cultivé un faux personnage pour séduire des femmes, d’avoir rabaissé leurs partenaires pour se remonter, ou encore abuser de leur travail émotionnel (emotional labor) dans le but de se valider.

Des femmes ont répondu que cela leur faisait un grand bien de lire ce genre de témoignages. Qu’elles n’auront jamais d’excuses de la part de ceux qui l’ont abusé, qu’elles avaient besoin de le lire quelque part. Pour d’autres, c’est l’inverse : cela rappelle beaucoup trop de mauvais souvenirs. On a envie de quitter les médias sociaux pour de bon.

Parce que même les plus féministes d’entre nous ont déjà été sous l’emprise d’un manipulateur, d’un narcissique, d’un abuseur. On nous a agressé. On nous a diminué. On nous a menti, trompé. On nous a gaslighté, fait douter de notre santé mentale. Parfois (souvent) par des hommes qui revendiquaient haut et fort leur badge féministe.

Ce qui agace aussi, c’est que des hommes puissent détourner la discussion pour être au centre de l’attention. Comme s’ils avaient, encore, besoin de s’exhiber. «On dirait une publication qui vise à se soulager d’une sorte de culpabilité. Ces publications ne sont pas pour vous les hommes. C’est pas le moment de montrer ton réveil et ton processus de transformation, ou pour te faire sentir mieux. Ceci n’est pas à propos de vous», commente une femme sur Instagram.

Ce qui agace aussi, c’est que des hommes puissent détourner la discussion pour être au centre de l’attention. Comme s’ils avaient, encore, besoin de s’exhiber.

Comment participer à la conversation?

Je suis consciente que certains milieux et boys clubs sont à des années lumières de pouvoir même imaginer qu’un homme puisse admettre sa part de responsabilité dans la culture du viol. Idéalement on voudrait bien que les hommes se mobilisent, qu’ils puissent en conscientiser d’autres, les presser à faire cet examen de conscience, nous allégeant un peu du fardeau de ce combat que nous avons trop longtemps porté seules.

D’où mon ambivalence. Je souhaite que les hommes participent à la conversation et se mobilisent, mais avec humilité.

Quand je vois ces confessions d’abus gagner autant de «j’aime», cœurs, et commentaires admiratifs, je me dis que certains l’ont vraiment facile. N’est-ce pas là une démonstration de plus que les hommes peuvent blesser les femmes sans trop de conséquence, pendant que les survivantes les observent récolter les applaudissements?

Rares sont ceux qui vont réellement s’engager dans une démarche de réparation auprès de leurs victimes. À noter que même après avoir présenter leurs plus sincères excuses aux femmes qu’ils ont blessées, elles ne sont absolument pas obligées de pardonner, ni de vouloir entendre.

Peut-être qu’une question encore plus difficile émerge de mon malaise : peut-on vraiment pardonner à son / ses agresseurs?

Peut-être qu’une question encore plus difficile émerge de mon malaise : peut-on vraiment pardonner à son / ses agresseurs?

Car ces confessions ne vont jamais changer le mal qui a été fait. Elles ne pourraient jamais effacer les traumas, guérir les blessures. Certaines d’entre nous sont encore en processus de guérison, lequel peut durer toute une vie.

Les hommes qui souhaitent participer devraient prendre des précautions supplémentaires avant de s’y engager. Ces jours ci ont été particulièrement pénibles pour nombreuses d’entre nous. Et, pour citer une amie, il va nous falloir plus que des confessions et des remords. Il nous faut des actions.

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Pour aller plus loin :

Nora Samaran, The opposite of rape culture is nurturance culture

bell hooks, The Will to Change : Men, Masculinity, and Love

Chris Crass, Against Patriarchy: Tools for Men to Further Feminist Revolution