Selon la Loi sur le prélèvement des eaux et leur protection, votée en 2014, aucune plateforme de forage ne peut être construite à moins de 500 mètres d’une source d’eau. Les maires plaident pour un règlement qui exige une distance de deux kilomètres.

Plus de 300 municipalités ont déjà adopté un règlement à cet effet, mais elles ne peuvent pas le renforcer sans en faire la demande auprès du Ministère du Développement Durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC).

Les maires ont d’abord fait une demande collective pour pouvoir renforcer leurs propres règlements, explique Gérard Jean, maire de Lanoraie, près de Sorel-Tracy, et porte-parole du collectif des maires. «Or, on nous a dit, en mai 2016, qu’il fallait faire nos demandes individuellement. Alors, on est allés solliciter tout le monde de nouveau», se rappelle le maire. Toutes les villes se sont butées à un refus collectif.

Petites villes, grands débats

La lutte des maires s’insère dans un débat international sur la fracturation. Le pratique implique l’extraction de pétrole et de gaz souterrain via un forage profond, suivi du déploiement des charges explosives et de l’utilisation de l’eau pressurisée et de substances chimiques pour créer des fractures dans le roc. Le gaz ou pétrole migre à travers ces fractures vers le trou de forage, et peut ensuite être pompé vers la surface.

Une étude récente a lié la fracturation avec une série de tremblements de terre en Colombie-Britannique, et d’autres études ont fait le même lien dans Les Prairies et dans l’État d’Oklahoma. Le flou autour des conséquences environnementales de la fracturation a déjà mené à des moratoires sur la pratique dans les états de New York et Vermont, ainsi que dans des dizaines de villes et villages à travers les États-Unis. Au Canada, des moratoires sur la fracturation existent au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et à Terre-Neuve-et-Labrador; des député-es de l’opposition de l’Ontario ont tenté de faire passer un tel moratoire, qui a été rejeté par le gouvernement libéral.

Le flou autour des conséquences environnementales de la fracturation a déjà mené à des moratoires sur la pratique dans les états de New York et Vermont, ainsi que dans des dizaines de villes et villages à travers les États-Unis.

Cependant, l’administration de Donald Trump vise à démanteler des règlements qui encadrent la fracturation. Le secrétaire américain de l’Intérieur, Ryan Zinke, a même qualifié la règlementation environnementale d’«excès fédéral emploïcide».

«Les gens dans mon village veulent des emplois, mais ils veulent aussi protéger leur eau potable,» résume François Boulay, maire du village de Ristigouche Sud-Est, en Gaspésie. Où est l’équilibre entre l’environnement et l’économie? En Gaspésie, on se penche plus que jamais sur la question.

Où est l’équilibre entre l’environnement et l’économie? En Gaspésie, on se penche plus que jamais sur la question.

De nombreux scientifiques et militant-es écologistes s’inquiètent de l’impact potentiel du forage sur les sources d’eau. Richard Langelier est juriste spécialisé en environnement. Il a corédigé un rapport de 150 pages réclamant une règle de «deux kilomètres, rien de moins». «Le problème avec le gaz et le pétrole au Québec, c’est qu’ils sont enfouis dans le roc d’une telle manière qu’on a besoin de fracturation hydraulique pour les extraire,» dit M. Langelier. «Or, il y a des risques.»

«On n’a aucun moyen de déterminer si tout est étanche,» explique Rosa Galvez, sénatrice fédérale et spécialiste en assainissement des eaux. «Les sources d’eau communiquent entre elles, et une fois qu’on aura contaminé un point A, l’eau finira par contaminer un point B… les contaminants ne restent pas figés.»

Le cas de Ristigouche-Sud-Est

Le village de Ristigouche-Sud-Est a fait les manchettes à travers le Québec quand la pétrolière Gastem a réclamé $1,5 million aux 168 résident-es de la municipalité. Le conseil du village venait de passer un règlement sur le modèle «deux kilomètres, rien de moins,» contraignant la compagnie à abandonner des opérations exploratoires déjà entamées à proximité de la rivière Kempt. Le village a fait appel au sociofinancement pour amasser des centaines de milliers de dollars pour payer ses dépenses légales. Le procès commence cette semaine à New Carlisle.

Le village de Ristigouche-Sud-Est a fait les manchettes à travers le Québec quand la pétrolière Gastem a réclamé $1,5 million aux 168 résident-es de la municipalité.

Le maire Boulay veut que les municipalités aient davantage de contrôle sur d’éventuelles explorations pétrolières sur leur territoire. «À l’été 2012, le Ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a accordé un permis de forage à Gastem dans notre communauté,» rappelle-t-il. À l’époque, les explorations avaient lieu dans un quasi-vide réglementaire; l’actuel règlement sur le prélèvement des eaux date de 2014.

M. Boulay ajoute que le site choisi par Gastem aurait été illégal même sous la réglementation actuelle. «Le site était situé à 140 mètres de la rivière Kempt, proche d’au moins cinq puits de citoyen-nes.»

«Comme la permission accordée à Gastem était pour un site situé à moins de 500 mètres, et que le règlement actuel établit une limite de 500 mètres [la province] nous donne raison en quelque sorte,» dit M. Boulay. Mais la mise en place du règlement après les faits n’a pas empêché une bataille légale longue et couteuse. À plus long terme, M. Boulay espère que les municipalités seront plus outillées pour gérer leur propre eau. «Nous, les gens qui vivent ici et élèvent nos familles ici, on n’a pas notre mot à dire?» s’étonne le maire. Il souligne que beaucoup de petites municipalités québécoises n’ont pas d’usine de traitement d’eau sur leur territoire, et sont donc plus vulnérables à une éventuelle contamination. «[Pour] la plupart des gens au Québec rural… notre eau vient des montagnes et elle n’est pas traitée. Les gens de la ville ont tendance à oublier ça.»

«Les gens peuvent vivre sans le pétrole,» souligne Rosa Galvez. «Mais on ne peut pas vivre sans eau propre.»