Pour les Nahuas, les Totonaques et les Otomis, les ethnies majoritaires de la région, la culture du maïs et du café est l’activité économique dominante : la pollution et le manque d’accès à l’eau qu’entraîneraient ces projets affaibliraient les possibilités économiques de l’agriculture, en plus d’avoir des impacts significatifs sur la santé. Pouvant compter sur des organisations fortes et ancrées dans la réalité de la région, les Autochtones de la Sierra Norte organisent la résistance.

Des projets hydroélectriques pour alimenter l’industrie extractive

Lors de sa dernière visite au Canada en 2016, le premier ministre mexicain Enrique Peña Nieto annonçait avec Philippe Couillard la mise en œuvre de plusieurs projets de barrages hydroélectriques, dont l’un, Puebla 1, qui serait réalisé en collaboration avec l’entreprise québécoise Innergex et l’entreprise mexicaine Comexhidro dans la Sierra Norte de Puebla. L’annonce du projet a été l’occasion pour les deux chefs d’État de se positionner en leaders de la lutte aux changements climatiques et de vanter les collaborations commerciales entre le Québec et le Mexique. Mais le projet d’Innergex dans la Sierra Norte de Puebla servirait principalement à fournir l’énergie aux projets de mines et de fracturation hydraulique en haute montagne, dont la technologie « à ciel ouvert » est particulièrement gourmande en énergie. En tout, ce sont 14 projets de barrages qui ont été autorisés dans la Sierra.

Peu après cette visite, les communautés autochtones de la Sierra Norte écrivaient une lettre publique à Innergex dans laquelle elles sommaient l’entreprise de se retirer du projet : «Nous exigeons du gouvernement mexicain qu’il respecte son obligation de protéger et de garantir nos droits, et qu’il annule le projet hydroélectrique Puebla 1 et les autres mégaprojets dans la Sierra Norte de Puebla, que nous qualifions de « projets de mort » car ils signifient la fin de nos peuples» écrivent-ils dans leur lettre.

«Nous exigeons du gouvernement mexicain qu’il respecte son obligation de protéger et de garantir nos droits, et qu’il annule le projet hydroélectrique Puebla 1 et les autres mégaprojets dans la Sierra Norte de Puebla, que nous qualifions de « projets de mort »

«Déclarons notre territoire libre d’activités minières ! Goldcorp me rend malade ! Parce qu’elle tue nos gens, notre culture et notre peuple !»
Émile Duchesne
minière sans consultation
Du côté minier, c’est la compagnie canadienne Almadén Minerals qui mène les travaux d’exploration dans la Sierra Norte de Puebla. En 2010, cette compagnie junior a «découvert» le gisement Ixtacamaxtitlan qui contient de l’or et de l’argent. Dans l’univers minier, les compagnies juniors sont celles qui préparent le terrain pour les compagnies d’exploitation : ces compagnies cherchent les gisements, s’assurent que la ressource soit suffisante et «mettent la table» auprès des autorités locales avant de vendre le claim à une plus grosse compagnie.

Un rapport cosigné par quatre organisations de la société civile de l’État de Puebla évalue plusieurs niveaux de risques environnementaux et de santé publique en rapport au projet du gisement de Ixtacamaxtitlan.

La ruée vers le pétrole extrême

Le pétrole obtenu par fracturation hydraulique fait partie de l’une des dernières réserves de pétrole du Mexique. Les pressions pour que son exploitation aille de l’avant sont énormes. Dans les basses terres au nord de la Sierra Norte de Puebla, le projet de Poza Rica-Altamira exploite déjà depuis 2013 du pétrole par fracturation hydraulique. Un autre projet – Tampico-Misantla – est également en phase d’exploration. L’entreprise mexicaine Pemex, société d’État, est la principale instigatrice de ces projets.

Une autre compagnie canadienne est présente dans la région. En effet, TransCanada a obtenu le contrat de construction du gazoduc Tuxpan-Tula, qui traversera la partie nord de la Sierra Norte de Puebla, en territoire Otomi. Ce gazoduc permettra d’acheminer le gaz de schiste des États-Unis, sur la côte de Veracruz, puis vers le centre du pays en traversant les montagnes dans l’État d’Hidalgo. Malgré des menaces des autorités, les Otomis ont fait savoir leur opposition et ont affirmé ne pas avoir été consultés sur le projet. Ces derniers considèrent que le gazoduc menace l’environnement et plus particulièrement la biodiversité : le territoire Otomi, même s’il ne compte que pour 1 % du territoire mexicain, contient 10 % des espèces fauniques et florales du Mexique.

Malgré des menaces des autorités, les Otomis ont fait savoir leur opposition et ont affirmé ne pas avoir été consultés sur le projet.

La Tosepan Titaniske : acteur de la résistance

La Tosepan Titaniske – qui signifie «Ensemble nous vaincrons» en nahuas – est une coopérative de petits producteurs agricoles de la Sierra Norte de Puebla. La Tosepan est un acteur incontournable du mouvement autochtone mexicain. Fondée en 1980, la coopérative compte aujourd’hui environ 35 000 petits producteurs agricoles, artisans, et travailleurs. Bien implanté dans la Sierra, la Tosepan a travaillé à la mise en marché des produits agricoles des petits producteurs, mais aussi à rendre accessible des denrées de base en provenance de l’extérieur. Avec le temps, la Tosepan à mis sur pied sa propre caisse d’épargne ainsi qu’une école, un projet de construction de maisons salubres, etc.

La Tosepan est un acteur incontournable du mouvement autochtone mexicain. Fondée en 1980, la coopérative compte aujourd’hui environ 35 000 petits producteurs agricoles, artisans, et travailleurs.

Logo de la Tosepan
Émile Duchesne

Aujourd’hui, la Tosepan monte au front pour empêcher la mise en œuvre des projets extractifs qui menacent la Sierra Norte de Puebla : «À la Tosepan, on est au service des communautés : ça veut donc dire qu’on est là pour faire en sorte que ces mégaprojets n’aboutissent pas» lance d’emblée un porte-parole de la coopérative, qui souhaite rester anonyme pour des raisons de sécurité. «Les communautés sont en résistance : ils s’informent et se mobilisent» ajoute-t-il. En effet, des demandes d’injonctions ont été déposées contre Almadén Minerals et Comexhidro : la requête contre Almadén est toujours devant les tribunaux, mais une injonction a été obtenue sur cinq projets de barrages sur la rivière Apulco. Des blocages ont aussi eu lieu pour empêcher la machinerie d’Almadén de pénétrer sur les sites d’exploration. Plusieurs opposants ont été l’objet de poursuites judiciaires. Pour défendre leurs terres ancestrales menacées, les autochtones nahuas ont formé Altepe Tajpianij («les Gardiens du Territoire»). Leurs voisins totonaques et métis se sont aussi unis pour défendre les rivières contre les projets de barrages : tous sont maintenant regroupés dans l’organisation Tiyat Tlali, «notre terre».

Les autochtones de la Sierra souhaitent interpeler le public canadien : «Les Canadiens et les Canadiennes doivent savoir ce qui se passe ici. En ce moment, le Canada est la plus grande menace à la vie dans la Sierra Norte de Puebla. Par contre, les gens d’ici comprennent que les citoyens canadiens n’y sont pour rien : ils savent que ce sont les entreprises qui sont prédatrices. Avant tout, on cherche la solidarité des peuples du Canada» explique le porte-parole de la Tosepan. Des représentants de la Sierra seront présents cet automne à Montréal pour chercher des appuis auprès de la société civile canadienne, dans le cadre du Colloque international Mexique, Panama, Chili, Québec : luttes autochtones pour le territoire à l’UQAM les 12 et 13 octobre prochain.