En 1992, un festival néonazi à La Plaine avait attiré l’attention des médias et la Ligue antifasciste mondiale (LAM) avait loué un hélicoptère pour surveiller l’événement. Quelques mois avant mon arrivée dans le groupe, des skins néo-nazis avaient attaqué un centre communautaire d’Hochelaga-Maisonneuve où se déroulait une table ronde sur le racisme, sous la protection de Skinheads Against Racial Prejudice (SHARP). Une foule de résidentes et des résidents du quartier appuyait l’attaque, y compris de tous jeunes adolescents qui lançaient des roches. Incrédules, les antiracistes barricadés avaient appelé la police à l’aide, qui avait évacué la salle par autobus.

Le comité a aussi organisé un spectacle antiraciste aux Foufounes électriques, avec Banlieue rouge et la Famille botte, et a participé en 1993 à la Coalition contre la présence du Front national et la montée de l’extrême droite, mise sur pied pour protester contre un diner-causerie de trois élus municipaux du Front national français. Une certaine confusion régnait alors dans l’extrême droite à Montréal : les organisateurs s’étaient dissociés publiquement des skins néo-nazis qui avaient annoncé vouloir protéger le restaurant où devait avoir lieu la rencontre, rue Jean-Talon. Une trentaine de skins ont tout de même accueilli la manifestation avec des saluts nazis. Avant que les policiers se déploient pour empêcher le contact entre les deux groupes, la tête de la manifestation antiraciste a chargé les fachos qui ont détalé comme des lapins blancs. Le diner-causerie a été annulé.

Plusieurs personnalités médiatiques nous avaient fait la leçon, qualifiant par exemple les «manifestants qui s’agitent» d’«amateurs d’interculturalisme». Dans son éditorial «Le cirque antiraciste» (21 sept. 1993), Alain Dubuc de La Presse avait expliqué que «ces élus régionaux» en France, «soit dit en passant une démocratie», ne méritaient pas que l’on manifeste contre leur présence.

Ottawa restait l’ennemi principal des nationalistes, l’indépendance le but ultime et le nationalisme civique le principe fédérateur au Parti québécois (PQ). Indépendance rimait avec ouverture au monde, ici et ailleurs.

Avant la Guerre contre le terrorisme

Malgré ce passé militant, je considère que l’ambiance au Québec était alors bien moins saturée de racisme qu’aujourd’hui, si ma mémoire ne me trompe pas. Certains s’énervaient qu’un agent sikh de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Baltej Singh Dhillon, ait obtenu en 1990 l’autorisation de porter son turban en service ; d’autres parlaient encore des Tamouls arrivés au milieu des années 1980. À mon souvenir, cela dit, les nationalistes ne parlaient jamais ou presque de l’Islam ni de «femmes voilées», sinon en écho à quelques débats parisiens. Ottawa restait l’ennemi principal des nationalistes, l’indépendance le but ultime et le nationalisme civique le principe fédérateur au Parti québécois (PQ). Indépendance rimait avec ouverture au monde, ici et ailleurs.

Nos mères nous parlaient de la «vieille vendeuse anglaise de chez Eaton» qui exigeait qu’elles «speak white». On pouvait encore croire que le PQ était l’héritier de la lutte anticolonialiste du Front de libération du Québec (FLQ) qui avait été solidaire du Front de libération nationale (FLN) d’Algérie et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Les «Arabes» étaient alors des modèles d’héroïsme politique.

Après la défaite du référendum en 1995, outre le «vote ethnique» de Jacques Parizeau, les nationalistes restaient obsédés par le Parti libéral du Canada, accusé d’avoir «volé» le référendum : financement illégal du «love-in» à Montréal, scandale des commandites, Loi sur la clarté. Les ennemis du Québec ne fréquentaient aucune mosquée. L’un d’eux s’appelait même Chrétien (Jean), l’autre Dion (Stéphane). On ne les disait pas financés par l’Arabie saoudite, mais par la famille Desmarais et Power Corporation.

Dérive islamophobe

Les nationalistes d’aujourd’hui ont oublié Ottawa. La femme voilée a remplacé l’Anglaise d’Eaton. On ne se mobilise plus pour McGill français, mais contre un cimetière musulman. On n’enlève plus un ministre de Robert Bourassa, mais on assassine des Musulmans dans une mosquée.

On ne se mobilise plus pour McGill français, mais contre un cimetière musulman. On n’enlève plus un ministre de Robert Bourassa, mais on assassine des Musulmans dans une mosquée.

Assurément, les esprits sont marqués par la «guerre au terrorisme» et le départ des troupes de Valcartier pour l’Afghanistan en 2007. Cette même année, Hérouxville a adopté une charte interdisant lapidation et port du foulard, alors que l’Action démocratique du Québec (ADQ) de Mario Dumont s’emparait des «accommodements raisonnables» pour se faire du capital politique auprès des «petites familles» bien de chez nous.

En concurrence avec l’ADQ, le PQ s’est à son tour mobilisé contre la célèbre «femme voilée» au nom des «valeurs québécoises», le nationalisme ethnique du «nous» remplaçant le nationalisme civique et inclusif. Résultat : l’indépendance est à ce point secondaire au PQ que son slogan pourrait être : «Pour un Québec laïc dans un Canada multiculturel» (pour paraphraser Yvon Deschamps).

Certes, le fiel suintant des chroniques de Québécor, des radios-poubelles de Québec et des nouveaux médias sociaux agit comme de l’huile sur le feu. Mais les péquistes et autres nationalistes obsédés par l’Islam sont aussi responsables de cette montée du racisme et du fascisme.

Cette obsession de l’Islam au PQ, ainsi qu’à la Coalition avenir Québec (CAQ), ne peut que stimuler le néofascisme qui se répand comme jamais dans le Québec moderne. Les noms sont parfois ridicules — «Soldats d’Odin», ah! ah! — mais La Meute attire de plus en plus de loups enragés. Certes, le fiel suintant des chroniques de Québécor, des radios-poubelles de Québec et des nouveaux médias sociaux agit comme de l’huile sur le feu. Mais les péquistes et autres nationalistes obsédés par l’Islam sont aussi responsables de cette montée du racisme et du fascisme.

On annonce même la création d’un parti d’extrême droite, inspiré du Front national. Le Québec pourra enfin revendiquer l’ensemble de l’héritage de la France, y compris celui du régime fascisant de Vichy du Maréchal Pétain. Il s’agirait alors d’adopter son slogan à la nouvelle réalité québécoise : «Petit travail, petite famille, petite patrie».