Le slogan a beau être qualifié d’ironie, il nous semble important de dénoncer le référent masculin qui s’y trouve.
Des maires et des pas mûrs
Si Valérie Plante et son équipe désirent incarner un changement réel des pratiques à l’échelle municipale, elles et ils n’y parviendront pas en calquant l’esthétique macho qui caractérise la politique en général, mais plutôt en établissant une réelle communication entre les résident-e-s de Montréal et leurs élu-e-s. Les Montréalaises et les Montréalais, en somme, sont sans doute moins à la recherche d’un « homme de la situation » que d’un programme qui prenne pleinement en compte leurs préoccupations et de mécanismes plus étroits de redevabilité des élu-e-s à l’endroit de la population.
Montréal a une longue histoire de maires qui poussent leurs différentes initiatives sans consulter véritablement la population et sans promouvoir un dialogue avec les personnes concernées par les projets de la Ville. L’exemple le plus frappant est sans doute Jean Drapeau, avec son mépris légendaire de la critique et de l’opposition citoyenne à ses projets, mais on peut en mentionner bien d’autres. Qu’on pense par exemple à l’abolition du pouvoir des conseils de quartier à l’intérieur du Rassemblement des Citoyens de Montréal par Jean Doré, qui en était alors le chef et qui a remporté les élections municipales quelques mois plus tard. Ou encore à l’attitude bonapartiste couramment critiquée de Denis Coderre, qui ne fait confiance qu’à lui-même et fonctionne sur un mode autocratique presque entièrement assumé.
Outre Montréal, dans l’ensemble du Québec, on ne compte que 17% de mairesses, et les femmes composent à peine 32% des conseils municipaux. Et cela, c’est sans compter qu’au niveau provincial, les femmes ne composent que 27% des élues de l’Assemblée nationale. C’est donc dire que les rôles politiques sont encore à très forte prédominance masculine. Il nous apparaît donc étrange pour une candidate à la mairie ouvertement féministe de contribuer, par l’utilisation de l’expression « L’homme de la situation » au boys’ club de la politique. Joindre un boys’ club en arborant des couleurs progressistes n’est pas un geste féministe; contribuer à l’abolition des logiques qui le maintiennent en place en est un. Si Projet Montréal prend son intention de « faire de la politique autrement » au sérieux, qu’il s’assume en tant que tel. Si Valérie Plante et Projet Montréal réussissent à atteindre la mairie de la ville de Montréal le 5 novembre prochain, peut-être leur faudra-t-il tabler sur ce qui les distingue de leurs adversaires plutôt que de jouer sur le même tableau?
Montréal, ville masculine
Il faut également noter à quel point Montréal a été bâtie et continue d’être bâtie pour la population masculine de l’île.
Si des initiatives qui assurent la sécurité des femmes commencent peu à peu à être mises en place – récemment, le Conseil des Montréalaises, une instance de consultation auprès de la Ville de Montréal, a émis un avis sur l’importance d’encadrer les événements et les festivals de la métropole afin d’assurer la sécurité des femmes – beaucoup reste à faire pour assurer que Montréal soit inclusive à toutes.
Nous pensons notamment aux problématiques qui touchent particulièrement les conditions de vie des femmes dans la métropole. Par exemple, le harcèlement de rue, la violence vécue par les femmes locataires et la situation des femmes itinérantes, qui, globalement, sont plus jeunes que leur équivalent masculin. Toutes ces problématiques sont d’autant plus importantes qu’elles n’ont que rarement été abordées par ces « hommes de la situation » qui ont été choisis à chaque élection municipale de Montréal.
Nous sommes d’avis qu’une femme à la mairie de Montréal serait sans doute plus sensible à ces enjeux. Du même coup, nous espérons que ceux-ci deviennent des questions d’importance dans le cadre des stratégies futures d’urbanisation de la ville, et qui sait, cela aura sans doute un impact dans d’autres villes au Québec, puisqu’après tout, la mairesse ou le maire de Montréal est une personnalité politique incontournable et très influente au Québec: il ou elle a l’attention du gouvernement provincial et fédéral et a un rôle considérable à jouer dans l’Union des Municipalités du Québec.
La femme de la situation
Il nous semble primordial, afin d’incarner le changement, de l’incarner pour de vrai. Si Valérie Plante et son équipe souhaitent mettre de l’avant l’importance d’avoir une femme se disant féministe à la mairie, il est important d’inviter les femmes de la métropole à prendre la place qui leur revient de droit, et de dénoncer une manière de faire la politique qui exclut d’emblée les femmes. S’il s’agit de plaire à ces électeurs et électrices qui ne souhaitent pas d’une femme à la mairie, il est tout de même largement déplacé de faire référence à ce slogan désuet et arriéré. Il est temps d’avoir une mairesse de Montréal, mais une mairesse qui s’assume comme telle, comme une alternative aux machos de l’élite municipale, qui eux ne sont décidément plus les hommes de la situation.
Une mairesse, qui, sans référent à ces prédécesseurs masculins, se présente comme la femme de la situation.
Cette lettre ouverte se veut une réflexion plus large sur la place que nous laissons aux Montréalaises dans la politique municipale, et ailleurs.
Signatrices
Élisabeth Béfort-Doucet
José-Frédérique Biron
Julie Boivin
Dominique Caron
Florence Clermont
Chloé Fortin Côté
Samiha Hossain
Céline Métivier
Alice Paquet
Féadaë Neveu-Douville