Dans un local du bureau de la communauté haïtienne sur la rue Marquette, les gens défilent, les bras chargés de paquets. «On peut vous aider à trier?», demande un jeune couple, tout en déposant une boîte de couches pour bébés sur la table. Initié par le mouvement citoyen En marche pour Haïti, l’opération Grands Cœurs Anonymes a récolté durant la fin de semaine des articles d’hygiène corporelle pour les réfugié-es.
Son objectif : faire 500 trousses d’hygiène destinées à la Croix-Rouge, objectif largement dépassé. «On a vu un grand élan de solidarité, beaucoup d’enthousiasme, de désirs d’aider. Ça nous fait chaud au cœur», s’exclame Pierre Gérald Jean, président du mouvement En marche pour Haïti. «Ce que nous visons, c’est aider la communauté haïtienne de Montréal à apporter son support aux demandeurs d’asile. Beaucoup de gens se demandent comment aider, pas que des Haïtien-es d’ailleurs», constate-t-il.
Même son de cloche du côté de la Maison d’Haïti, qui a reçu quantité d’appels et de courriels. «Ça commence à ressembler à ce qu’on a vu suite au tremblement de terre [en 2010]», compare Émilie Pacciarella, agente de développement à la Maison Haïti. «Des gens nous écrivent pour des dons alimentaires, des dons de meubles et d’articles de maison, mais aussi pour faire du bénévolat». Toute la semaine, des collectes de dons étaient organisées par des bénévoles un peu partout à Montréal via les médias sociaux.
Une situation inédite
Dans les dernières semaines, le nombre de migrant-es traversant la frontière canado-américaine a triplé. La très grande majorité d’entre eux sont des Haïtien-nes dont le statut de protection accordé par le gouvernement Obama sera abrogé à la fin de l’année par la nouvelle administration. Outre le tremblement de terre, plusieurs ont connu des persécutions et des menaces de mort. Un «État défaillant», qui ne peut plus assurer la sécurité à ses citoyen-nes, résume M. Jean.
Devant le stade olympique de Montréal, les nouveaux arrivant-es passent le temps comme ils peuvent, discutent politique américaine, se méfiant des journalistes. Le président Trump est l’objet de toutes les conversations. «C’est une situation d’une ampleur inédite. Trump a déjà commencé à déporter des gens, alors on est très anxieux», nous explique Wilner Cayot, un pasteur haïtien qui rend visite aux demandeurs d’asile. «La communauté haïtienne se sent très interpellée. Nous connaissons très bien ce qu’un Haïtien peut vivre intérieurement. Nous connaissons les rouages de la société d’ici, nous pouvons les aider.»
Sa plus grande crainte pour les nouveaux arrivant-es? Outre l’expulsion, que les moins éduqués se retrouvent face à un mur dans leur insertion à l’emploi. «Le Québec est une société tolérante, mais il ne faut pas oublier que le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les personnes racisées. Maintenant, nous avons une population qui arrive et qui n’est pas aussi académiquement forte que les précédentes», résume-t-il.
Cuisiner pour les réfugié-es
Le pasteur s’est joint aux centaines de personnes qui se sont rassemblées devant le stade dimanche, pour souhaiter la bienvenue aux migrant-es qui y sont temporairement logés. «Bienvenue chez vous» et «Nous avons tous immigré», pouvaient-on lire sur les pancartes.
Sabrina Ambroise et sa mère Marie-Ange, d’origine haïtienne, ont vu l’appel sur Facebook et s’y sont rendues dans l’objectif de rencontrer des volontaires pour participer à leur projet : cuisiner pour les réfugié-es. «Comme notre drapeau le dit, l’union fait la force. Je veux supporter mon peuple», résume Sabrina, qui a perdu des cousins dans le tremblement de Terre de 2010. La jeune femme a commencé sa propre collecte de fonds lui permettant d’acheter la nourriture nécessaire, et mobilise les fours de l’église Outremont. «L’idée est de leur apporter un repas haïtien. Pour qu’ils et elles oublient qu’ils et elles sont des réfugié-es, ne serait-ce que pour une heure».
Elle n’est pas la seule à avoir eu cette idée. Une centaine de mètres plus loin, Jackson Philippe, sa femme et leurs voisines, distribuaient des plats à une trentaine de migrant-es, attiré-es par la bonne odeur des gratinés et des griots. «J’ai entendu ce qui se passait à la télé, alors j’ai voulu apporter ma contribution aujourd’hui. Je suis là en tant qu’Haïtien», explique-t-il.
Lui-même est arrivé en 2008, et a parcouru tout le processus pour s’insérer dans la société, depuis son hébergement au YMCA jusqu’à la fondation de sa propre entreprise. Aujourd’hui marié et père de famille, il sait comment les débuts peuvent être difficiles… et qu’un bon repas peut faire toute la différence. «Ça m’a pris environ un mois à m’habituer à la nourriture québécoise. C’est vraiment différent chez nous», se souvient-il. «C’est de la bonne nourriture qu’ils servent [dans les centres d’hébergement], mais malheureusement elle n’est pas adaptée. Il y en a qui n’ont pas mangé depuis trois jours.»
Héberger et accompagner
Plusieurs personnes ont également contacté la Maison Haïti pour manifester leur souhait d’héberger des réfugié-es. Noelsa Brunelus, Québécoise d’origine haïtienne de 26 ans, accueille déjà un jeune homme et sa mère depuis qu’ils ont traversé la frontière en février. «Mon propriétaire est très compréhensif, il est aussi Haïtien», explique-t-elle. Mme Brunelus accompagne ses chambreurs dans toutes leurs démarches : rencontre avec les avocats d’immigration, rendez-vous médicaux, recherche d’emploi. «Les démarches sont très longues, ils n’ont pas encore l’assurance maladie par exemple».
Mme Brunelus dit être prête à héberger six autres personnes et à les aider dans leur processus d’insertion. «Actuellement, je suis en congé de maladie. Alors au lieu de rester à la maison à rien faire, je préfère aider le monde. Moi quand je commence quelque chose, je dois y aller jusqu’au bout», affirme-t-elle fièrement.
Mais tous n’ont pas la chance de bénéficier de cet accompagnement personnalisé. Un long processus parsemé d’embûches attend les nouveaux arrivant-es : délais de traitement pour la demande d’asile, aide sociale, recherche d’appartement, permis de travail, assurance maladie … Les demandeurs d’asile connaissent des mois de très grandes précarités avant de se sentir bien installé-es. Sans oublier que la crainte d’expulsion plane toujours tant que le statut de réfugié n’est pas accordé.
Au moins 40 % d’entre eux verront leur demande d’asile refusée au tribunal et seront obligés de quitter le pays. Le taux d’acceptation des demandes d’asile au cours des dernières années varie en moyenne entre 50 % et 60 %, selon les statistiques de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.
En attendant, les nouveaux arrivant-es hébergé-es au stade olympique profitent du soleil de l’été, des bons repas cuisinés pour eux, découvrant avec stupéfaction les gens venus manifester leur solidarité. Un homme assez âgé s’approche pour nous faire la discussion, ne cachant pas son émotion. «Au début on ne comprenait pas ce qui se passait, tous ces gens qui arrivaient avec des pancartes. Puis on a entendu « Welcome refugees welcome! » Nous avons aimé ça de tout notre cœur».