À première vue, l’idéal qui les animait depuis 2012 – sous l’impulsion de Roméo Bouchard – semble être le même : le parti n’a jamais cherché à prendre pouvoir, mais à le redonner au peuple. On rêvait jadis de démocratie directe, dans une optique progressiste. C’est-à-dire qu’advenant une victoire électorale, on abolirait la notion de «parti politique» par le biais d’une Assemblée constituante (non partisane, citoyenne et tirée au sort).
Cette révolte anti-élitiste pouvait séduire la gauche, jusqu’à ce qu’elle prenne une tournure franchement trumpienne…
Un changement de cap
La déroute ne cesse de s’accélérer depuis l’arrivée au pouvoir d’Yvon Simard, un militant anti-establishment proche de La Meute, qui s’entoure d’une équipe de plus en plus ouvertement xénophobe. En principe, CAP se veut de structure «horizontale», c’est-à-dire que chaque membre ne devrait compter que pour une voix. Hélas, depuis leur refondation en décembre 2016, M. Simard parle plus fort que les autres, s’étant octroyé le titre de «président fondateur» et s’avérant être un manitou plutôt autoritaire.
D’après un ex-dirigeant du parti que nous avons interviewé, le point tournant s’est opéré suite à l’intégration de Bernard «Rambo» Gauthier comme chef du parti. M. Simard s’est alors octroyé l’accès exclusif au chef ainsi que le pouvoir de bâillonner toute dissension face à ses propos au sein de l’organisation.
Après avoir intégré une nouvelle garde rapprochée autour de lui, il s’est opposé à toute nouvelle nomination au parti, y compris pour la formation de groupes de travail, dont un devait produire une plateforme concernant l’immigration. Son obstination et son attitude belliqueuse a poussé les membres les plus critiques face à son approche jusqu’à la démission.
Ajoutons qu’Yvon Simard tenait son ascendance du fait qu’il avait lui-même approché Rambo Gauthier pour en faire le chef de CAP, tout en cooptant sa propre fille, Marie-Ève Simard, à la fonction de «représentante officielle du parti».
Et ce n’est pas Rambo Gauthier qui freinera les ardeurs de M. Simard sur les questions identitaires. Non seulement est-il un fan de Marine Le Pen, mais il affirma en entrevue que les «nouveaux arrivants» et les «accommodements religieux» le terrifient: «ce qui se passe en ville, ça nous fait peur, c’est effrayant!».
Des rapprochements avec La Meute
Yvon Simard, chef de CAP, tisse des liens toujours plus étroits avec le groupe d’extrême-droite La Meute, réputée pour sa militance anti-islam et anti-immigration. Notons tout d’abord que trois des plus influents officiels de CAP sont abonnés à la page publique de La Meute, soit Yvon Simard, son bras droit Mario Roy, ainsi que la responsable de l’exécutif du parti.
En vertu de règles internes, ces officiels ne pourraient adhérer formellement à une organisation comme La Meute, mais leur proximité avec celle-ci n’est qu’un secret de polichinelle. Dans une lettre ouverte publiée sur le site de CAP, M. Simard y exprime toute son admiration pour l’«élocution» (sic) du porte-parole de La Meute, Sylvain «Maikan» Brouillette: «Après avoir écouté l’élocution de monsieur Sylvain Maikan, je me suis levé, je me suis dirigé vers lui pour lui demander son texte qu’il venait de prononcer car je trouvais bon de vous le partagez».
Yvon Simard a effectivement reproduit le texte entier de Maikan sur le site de CAP, tout en prenant soin d’afficher en gros plan leur logo, en plus d’y apposer un hyperlien vers leur page web. En fait, dans sa lettre adressée aux sympathisants du parti, M. Simard vante les mérites de La Meute à tous égards : «Je m’en voudrais de passer sous silence le travail de sécurité sur place, vraiment professionnel et courtois. BRAVO! Aux gens de la Meute […]. Des gens que je ne connaissais que par les réseaux sociaux. Pour avoir discuter avec plusieurs personnes du groupe La Meute, j’ai été agréablement surpris […] même que nous partageons plusieurs points vue, de part et d’autre, pour le mieux vivre-ensemble et la démocratie».
Sur les réseaux sociaux
M. Simard s’avère aussi être l’animateur de la page Facebook de CAP. On peut observer qu’y gravite nombre de «loups» et qu’il n’hésite pas à partager des articles anti-immigration, paranoïaques vis-à-vis l’islam ou même des statuts d’Alexandre Cormier-Denis – partisan de Marine Le Pen – ou de Dave Tregget, chef de la Storm Alliance.
De surcroît, remarquons qu’Yvon Simard a annoncé en grande pompe la venue récente d’une nouvelle recrue prometteuse, M. Jean François Dubois, surtout reconnue pour ses capsules vidéo enflammées sur Facebook, tout en affichant son logo de La Meute de manière ostentatoire. Il est toujours membre du clan 05 de La Meute (Estrie).
Des rapprochements avec Le Mouvement républicain du Québec
Le Mouvement républicain, ce regroupement citoyen «flirtant avec l’extrême-droite», avait défrayé la manchette en tentant d’organiser un colloque au Collège de Maisonneuve en juin dernier. Le Mouvement républicain, est essentiellement composé de Guy Boulianne – président-fondateur du groupe – sa conjointe Francine Minville, Stéphane Blais et l’animateur-vlogueur André Pitre (Stu Pitt). Tous les quatre sont abonnés à La Meute publique, MM. Boulianne et Pitre étant même membres en règle des clans régionaux 06 (Montréal) et 01 (Bas Saint-Laurent), respectivement.
Le parti Citoyens au pouvoir se cherche désespérément des appuis afin de gagner de la visibilité et du soutien financier. Tandis qu’auparavant on hésitait frileusement à s’impliquer dans le nouveau Mouvement républicain lancé par Guy Boulianne alias le Prince fou , on semble désormais plus ouvert que jamais à sceller des alliances.
Dans la lettre ouverte d’Yvon Simard – évoquée plus haut – on confie que quatre émissaires de CAP étaient présents à ce colloque, sans toutefois y avoir présenté de conférencier : «M. Guy Boulianne nous avait invité comme conférencier et nous avons décliné l’invitation avec regret».
Leur posture a ensuite évolué, puisqu’un officiel de CAP s’est porté volontaire pour faire un discours au prochain colloque du 23 septembre prochain à Montréal, aux côtés du très conservateur Adrien Pouliot, Philippe Dujardin, André Pitre (Stu Pitt), et même un ancien chef de l’Union nationale, Michel Lebrun.
Tristement pour eux, l’événement s’est vu annulé car les organisateurs ont eu beaucoup de peine à se trouver une salle qui tolérerait leur présence. Pourquoi CAP tient-il à courtiser un mouvement foncièrement noyauté par La Meute et faisant appel aux gros bras des loups pour la sécurité de leurs événements?
Populisme identitaire
En dernière analyse, on peut reconnaître des affinités idéologiques certaines entre ces diverses organisations, qui se lient d’amitié tout en maintenant leur autonomie. Leur ciment apparaît être un mépris unanime de l’establishment, en ce qu’il nous imposerait l’arrivée de migrants.es perçus comme une menace à l’identité nationale.
Leur lutte anti-système, contre l’élite, relègue ainsi la question des inégalités économiques au second plan, préférant faire une fixation sur une soi-disant invasion migratoire ou «islamiste». Par conséquent, leur indignation prend la forme d’une volonté réactionnaire de rejeter son prochain, plutôt que de solidairement bâtir des ponts entre nous.
Le populisme identitaire, pétri de xénophobie, nous divise et freine le progrès social. Le rêve égalitariste d’une authentique démocratie directe ne mériterait-il pas mieux que ça?
** M. Bernard Gauthier, porte-parole de CAP, a décliné notre demande d’entrevue.