De vagues et flous bénéfices
«Premièrement il y a les retombées économiques : c’est sûr qu’il y a des gens qui vont venir parce que c’est une course électrique, et puis ça remplit les hôtels», avait annoncé Denis Coderre en avril pour vanter les mérites de sa Formule E. L’investissement de 24 millions
sera-t-il justifié par les généreuses tombées qu’on a fait miroiter?
«Retombées économiques» est un terme quelque peu élastique en politique. C’est un peu un fourre-tout qui est malheureusement utilisé pour justifier des dépenses colossales de la ville de Montréal», déclare la conseillère municipale, Valérie Plante. Elle explique que la métropole manque cruellement d’indicateurs de performance dans les organisations d’événements. Ces indicateurs permettraient de chiffrer et de documenter pour mieux éclairer les prises de décisions financières.
Mais à sa troisième année d’existence, la Formule Électrique est encore au stade embryonnaire. Les estimations de son impact économique demeurent inexistantes pour le moment. Et bien que ce soit un pilier dans l’argumentaire du maire, c’est un concept quelque peu éthéré. «Ce sont des estimations très difficiles à calculer et c’est toujours approximatif», précise Betrand Schepper, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS). Il estime que les chiffres qui seront éventuellement présentés doivent être pris avec un grain de sel. «Il faudra tenir compte de la méthodologie que la ville utilisera pour estimer les dépenses et les revenus des événements», nous prévient-il.
Ce calcul inclut les occupations d’hôtel, le trafic dans les restaurants ainsi que les emplois créés dans le contexte de la Formule Électrique. «Mais la majorité de ces emplois demeurent des emplois à court terme dans l’événementiel et les salaires demeurent assez bas», nuance M. Schepper. Les recettes fiscales découlant de ces emplois ne sont donc pas considérables.
Bien que nous n’ayons pas d’estimations des retombées de la Formule E, il est possible de faire une comparaison avec son grand frère, la Formule 1. En 2015, selon la firme Ad Hoc, le Grand Prix aurait généré 8,1 millions de dollars pour la province et pour le Canada, soit la moitié des subventions qui avaient été octroyées pour l’événement. «Et la Formule E aurait environ le vingtième de l’audimat du Grand Prix, il faut donc s’attendre à un revenu beaucoup
moindre», prévoit le chercheur.
«Sans oublier cette fameuse histoire de murets estampillés de logos géants de la ville, achetés à 7 millions alors qu’on aurait pu les louer pour 400,000 $ par année. Il faudrait une dizaine de Formule électriques pour rentabiliser et justifier cette dépense, souligne M. Schepper. À mon sens, c’est un exemple de mauvaise gestion publique qui me pousse à interroger l’utilisation du terme ‘’développement durable’’ dans ce contexte» ajoute-t-il.
Une longue route vers le développement durable?
«Deuxièmement, il y a une mission rattachée à ça. […] Montréal devient une plaque tournante en matière d’électrification», a ajouté le maire en avril dernier, insistant sur la dimension de développement durable du projet. La visibilité de l’usage des autos électriques peut-elle tendre vers le développement durable, tel que déclaré par le maire? Selon tous les spécialistes interrogés, la Formule E est problématique en termes de développement durable sur plusieurs niveaux.
L’image de l’événement promue auprès du public frise le «greenwashing» à plusieurs égards. S’il est question de promotion et d’éducation du public pour les voitures électriques dans les communications, Jean-François Harvey du Centre d’écologie urbaine de Montréal estime que l’événement semble plutôt adressé aux férus de course automobile. «On parle surtout des performances dans les pages sportives, on le traite comme un événement
spectacle plutôt qu’une initiative de sensibilisation» critique-t-il. Valérie Plante est assez franche quand elle aborde le sujet. Elle ne voit pas en quoi la capacité d’acheter une voiture électrique est liée à la présence des bolides de course : «Ce n’est pas en criant dans la rue électrique! électrique! électrique! que ça va se passer. Il faut prendre des actions concrètes pour le développement du transport électrique.»
La course à l’image
Ensuite, Montréal a aussi voulu soigner une image plus écologique en accueillant la course de voitures électriques dans son centre-ville. Cependant, pour le responsable des campagnes transport, GES et aménagement du territoire du Conseil régional environnement Montréal, Félix Gravel, le message porte à confusion «On est un peu mal à l’aise avec l’emplacement de la course, précise-t-il. On donne l’apparence que la vitesse en ville c’est tendance alors qu’on tente de baisser le nombre de victimes sur les routes, surtout dans les villes.» En 2016, le nombre de piétons décédés a doublé à Montréal.
Enfin, peut-être que l’image idéalisée que certains entretiennent de la voiture électrique relèverait autant du conte de fée que le carrosse de Cendrillon. La voiture électrique, du point du vue fondamentale, peut contribuer à la réduction d’émission de gaz à effet
de serre. «Mais ce n’est pas une baguette magique pour régler tous nos problèmes de transport. On joue surtout sur la symbolique, on est dans l’imaginaire d’une voiture qui est à la mode», explique Félix Gravel. Selon lui, une panoplie de problèmes demeurent avec l’auto
électrique, tels que la congestion, qui induit une perte de temps, une perte économique, un risque pour la santé ainsi que de la perte d’espace.
Le développement durable d’une électrification des transports doit aussi être fait dans un cadre équitable. Or, rien ne régule l’exploitation des compagnies de production du matériel de moteurs des voitures électriques. «Les compagnies qui extraient du lithium pour les batteries d’auto électrique se comportent comme les pétrolières, dénonce Bertrand Schepper. Ces entreprises n’ont pas de scrupules et en plus profitent d’une image qui est plutôt verte.»
Jean-François Harvey plussoie dans le même sens. «Même si tu remplaces toutes les autos de Montréal par des véhicules électriques, on retrouve les mêmes défis que présente l’auto individuelle». Une auto est conduite par 1,25 personne en moyenne au Québec, donc une grande partie des autos sont vides lors d’un déplacement. «Le transport en automobile demeure problématique car on veut encourager les gens à s’acheter un nouveau véhicule», ajoute M. Gravel.
Ultimement, les retombées vantées d’emblée par la ville sembleraient quelque peu insaisissables. Sans reconnaître que la Formule Électrique est un bon coup, Jean-François Harvey souligne que les prochaines années permettront d’améliorer l’événement. «Il faut une meilleure communication et encourager la participation citoyenne à cet événement afin que les prochaines formules ressemblent un peu plus aux citoyens.» Pour sa part, Valérie Plante croit qu’une électrification des transports peut être positive pour la ville, mais la réduction de gaz à effet de serre passe avant tout par les transports collectifs. Moins de blocage, moins d’embouteillage et plus de partage pour que la prochaine formule E ressemble un peu plus à Montréal aussi.