Cette découverte, bien qu’elle soit terriblement préoccupante, ne fait que confirmer ce que nous savions déjà, soit que notre mode de vie et nos modèles de production et de consommation actuels ne sont pas viables à long terme. Ce qui nous intéresse le plus ici est plutôt le sentiment d’impuissance qui accompagne de telles nouvelles. L’impression de faire face à une catastrophe imminente dont nous ne contrôlons pas les paramètres et les causes semble prévaloir dans la sphère publique depuis quelques années, à chaque fois qu’une nouvelle étude vient confirmer nos pires craintes.

Rien ne nous oblige pourtant à un tel fatalisme : le sentiment d’impuissance qui règne présentement doit plutôt être lu comme un enjeu politique à part entière. Une étude récente de la Carbon Majors Database souligne en effet qu’une centaine de compagnies sont responsables de 71 % des émissions globales de carbone depuis 1988. Les décisions d’investissement prises par ces cents entreprises ont donc eu plus d’impact sur la viabilité de notre planète que le reste de l’humanité réunie au cours des trente dernières années.

Les décisions d’investissement prises par ces cents entreprises ont donc eu plus d’impact sur la viabilité de notre planète que le reste de l’humanité réunie au cours des trente dernières années.

Cette concentration vers le haut du pouvoir décisionnel dans des instances sans redevabilité démocratique — d’où découle notre sentiment d’impuissance collective — n’est pas un phénomène récent ou isolé en contexte capitaliste. L’augmentation des inégalités économiques qui a accompagné l’offensive néolibérale à travers le monde a aussi signifié une augmentation des inégalités politiques. Les taux d’abstention électorale records et la crise de l’alternance bipartisane dans les économies capitalistes avancées correspondent bien à une réduction des options politiques conventionnelles, sous la pression des marchés financiers et des interminables sermons des secteurs patronaux et banquiers.

Défendre la démocratie…

Face à cette perte de contrôle démocratique, qui coïncide avec la montée d’un bloc oligarchique néolibéral, il nous faut lutter pour reprendre en main nos milieux de vie. Une telle lutte peut s’articuler autour d’un ensemble de revendications et de projets politiques : la décentralisation du pouvoir vers les villes et municipalités, le conseillisme et la démocratie au travail, l’instauration des communs et l’extension des droits sociaux, etc.

Le municipalisme, qui voit dans les municipalités le tremplin d’une transformation démocratique de la vie sociale, économique et politique, est un mouvement qui prend forme dans différentes régions du monde. Le premier Sommet international municipaliste Fearless Cities, qui s’est déroulé du 9 au 11 juin à Barcelone, a permis de rassembler des acteurs et actrices de plus de 150 villes afin d’accélérer le partage de connaissances sur les nouvelles formes de démocratie radicale, la consolidation de l’économie sociale et solidaire à l’échelle locale, la cogestion des communs, la défense des droits sociaux et des personnes réfugiées, etc.

Par ailleurs, une nouvelle conception du socialisme comme «démocratie économique» est en train de voir le jour. Une série d’expérimentations encourageant la démocratisation des milieux de travail (autogestion, transformation des petites entreprises familiales en coopératives, contrôle des employé-es sur la direction et la propriété des entreprises) permettent d’envisager une transition vers une économie post-capitaliste. La dictature des élites économiques, qui gouvernent les grandes corporations privées et les sociétés d’État, pourrait donc faire place à l’entrée de la démocratie au sein des entreprises, puis à la réappropriation citoyenne des institutions et des services publics. Nous ne pourrons pas faire une transition écologique sans changer un système qui fait passer le profit avant les personnes et la planète.

Nous ne pourrons pas faire une transition écologique sans changer un système qui fait passer le profit avant les personnes et la planète.

…Promouvoir les alternatives

L’émergence des «communs» comme forme originale de propriété collective, droit d’usage et gestion participative de ressources partagées, représente le fer-de-lance des initiatives de transition qui rompent avec la logique marchande de la propriété privée exclusive. Logiciels libres, fiducies foncières communautaires, entreprises collectives, savoir-faire traditionnels, plateformes numériques coopératives, forêts, eaux, etc., une pléthore de ressources naturelles et immatérielles peuvent dès maintenant être mises en commun par des groupes d’usagers et usagères pour définir ensemble les règles d’usage d’un bien partagé.

Enfin, les droits sociaux, qui touchent autant la sécurité alimentaire, le logement, l’éducation, la liberté de réunion, l’égalité des sexes, la justice sociale et environnementale, sont au cœur de mobilisations citoyennes, de luttes populaires et de nouvelles formes de revendications qui trouvent parfois leur inscription concrète dans les institutions. Soutien massif à l’agriculture urbaine et de proximité, politiques publiques pour appuyer le logement social et coopératif, abolition des règlements anti-manifestation, règles de parité dans toutes les hautes sphères de décision, enquêtes publiques et mécanismes pour contrer le racisme systémique, urbanisme participatif et aménagement intelligent du territoire, voilà autant de solutions pratiques et innovantes qui sont d’ores et déjà appliquées aux quatre coins du globe.

L’écosocialisme contre la barbarie

La gauche doit offrir une réponse politique aux crises environnementales — à partir notamment des tactiques et stratégies présentées ici — pour barrer la route au traitement autoritaire de ces mêmes crises. Le sociologue Razmig Keucheyan a bien démontré que les deux secteurs qui se préparent actuellement avec le plus de sérieux à affronter la catastrophe écologique sont les élites financières et les forces militaires, ce qui n’augure rien de bon pour les partisan-es de la démocratie.

Les forces progressistes doivent également résister à toutes lectures des crises environnementales qui réduisent ces dernières à une question démographique, en stipulant par exemple que la fécondité du Tiers-Monde est le problème principal à l’heure actuelle. On peut noter à cet égard qu’un des auteurs de l’étude publiée par Proceedings of the National Academy of Sciences, Paul R. Ehrlich, s’est d’abord fait connaître pour sa vision néomalthusienne élaborée dans son livre de 1968 The Population Bomb. Dans cet ouvrage et ses textes ultérieurs, Ehrlich préconise des mesures coercitives de régulation des naissances — et ce particulièrement dans les pays moins développés — comme grande solution aux problèmes environnementaux.

Les forces progressistes doivent également résister à toutes lectures des crises environnementales qui réduisent ces dernières à une question démographique, en stipulant par exemple que la fécondité du Tiers-Monde est le problème principal à l’heure actuelle.

En définitive, le problème n’est pas qu’il y a pas trop de personnes sur notre planète, mais plutôt que le système en place permet à une minorité de prendre des décisions sans considérer les problèmes écologiques et sociaux qui sont d’abord subis par les plus démuni-es parmi nous. Une transition à large échelle vers un autre mode de production et la démocratisation des décisions économiques sont à prévoir pour que la viabilité de nos écosystèmes ne passe pas par des cycles de violence contre les populations les plus vulnérables. Rosa Luxembourg proposait en 1915 la formule «socialisme ou barbarie» pour décrire la situation politique en Allemagne à l’aube du premier conflit mondial. La formule «transition écosocialiste ou barbarie» nous semble appropriée pour désigner la configuration historique à laquelle nous faisons présentement face.