Je me demandais quel premier livre je pouvais bien emprunter du futur. Inspiré par l’actualité et le Sommet du G20 à Hambourg, j’ai sollicité l’aide du bibliothécaire virtuel Olivier Spacial, à qui l’on s’adresse pour les emprunts (référez-vous au guide : si j’y suis arrivé, aucun doute que vous y arriviez aussi). Il m’a recommandé Retour sur les années altermondialistes : actes du colloque de la Station-orbitale-421-B. Paru en 2317, l’ouvrage m’a été livré dans ma bibliothèque. Je vous en recommande la lecture, mais voici quelques extraits, pour qui n’a pas encore sa Billy-Framtid.
Extrait de l’introduction
L’altermondialisme représentait un phénomène tout à fait particulier dans l’histoire de la modernité occidentale, à savoir que des dizaines de milliers de protestataires descendaient dans les rues chaque fois que les politiciennes et politiciens des pays les plus puissants de la planète se réunissaient. La colère était si grande qu’il y avait souvent des manifestations pendant plusieurs jours, si bien que l’élite mondiale mobilisait des effectifs policiers toujours plus nombreux et que les villes se transformaient en zones d’affrontement. Ce phénomène, loin d’être limité à quelques événements, s’est prolongé pendant plusieurs générations.
Les spécialistes de cette période de l’histoire débattent à savoir si l’altermondialisme a débuté en 1994 avec le soulèvement des zapatistes au Mexique, en 1995 avec la Marche mondiale des femmes, à Seattle en 1999 ou à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) en 2012. Au-delà de ce débat entre spécialistes, il existe un consensus pour dire qu’il s’agissait là d’une conséquence et d’une expression d’une crise de légitimité des élites politiques tout à fait exceptionnelle. On ne trouve trace dans l’histoire occidentale d’aucune autre période où chaque réunion des plus puissants leaders politiques a provoqué la mobilisation régulière de dizaines de milliers de contestataires.
Les «nouveaux anarchistes» étaient particulièrement dynamiques dans ces mobilisations, fonctionnant sans chef et sans porte-parole, s’organisant en réseaux et en groupes d’affinité, et pratiquant souvent l’émeute.
Extrait du chapitre : «Les émeutes altermondialistes : exercice d’interprétation herméneutique»
Martin Luther King était un célèbre leader du mouvement des droits civiques aux États-Unis, généralement associé à sa tendance pacifique. Il disait pourtant, au sujet des dizaines d’émeutes de quartiers afro-américains dans les années 1960, que «[l]orsque nous condamnons la violence il serait irresponsable de ne pas condamner aussi fermement les conditions sociales qui provoquent chez les gens une si forte colère qu’ils n’ont pas d’autre choix que de recourir à l’émeute. Nous devons prendre conscience que l’émeute est le langage des sans-voix.» Ce commentaire semble correspondre parfaitement à la situation des «nouveaux anarchistes» du début du deuxième millénaire qui se mobilisaient contre les grands Sommets, lieux où 7, 8 ou 20 leaders prenaient ou entérinaient les pires décisions pour l’avenir de la planète. Sans même consulter le reste de l’humanité. Dehors, la foule – forcément sans influence sur les décisions qui allaient mener à la destruction de la planète – n’avait pas «d’autre choix que l’émeute», pour reprendre les propos de King.
Extrait du chapitre : «Ce qui se disait dans les médias»
Il est étonnant de constater à quel point les discours exprimés dans les médias se ressemblaient d’un sommet à l’autre. Parmi les constantes, notons cette tendance dans les pages éditoriales, les lettres ouvertes et les commentaires des forums à présenter les «anarchistes» qui pratiquaient l’émeute comme une sorte de matière brute et irrationnelle, «sans cervelle», des barbares. On y opposait la civilisation, celle des manifestations pacifiques.
Mais nous avons retrouvé dans les fonds d’archives sur les «nouveaux anarchistes» les propos de cette militante de Toronto (Canada), après le Sommet du G20 en juin 2010, qui s’adressait en ces termes aux détracteurs des anarchistes pratiquant l’émeute : «plutôt que de s’en désolidariser et de prétendre que les émeutes ne règlent rien, il serait temps que les adeptes de la non-violence se demandent ce qui a été réellement accompli grâce à toutes leurs manifestations légales, quel impact réel ont-elles eu sur la mondialisation du capitalisme, l’augmentation de la pollution, la misère en Afrique et la guerre perpétuelle au “terrorisme”? L’émeute n’est peut-être pas plus efficace qu’une paisible manifestation, alors il n’est pas pertinent de discréditer l’une au profit de l’autre. Pour ma part, je préfère le respect de la diversité des tactiques.»
Extrait de la conclusion
Le colloque a montré qu’aujourd’hui encore, les spécialistes s’échinent à expliquer pourquoi tant de gens méprisaient à ce point les «anarchistes» et les qualifiaient de barbares. Considérant la gravité de la situation politique, économique et surtout écologique au début du deuxième millénaire, l’important pour la discipline historique d’aujourd’hui n’est pas tant d’expliquer pourquoi il y a eu des émeutes contre les grands Sommets internationaux, mais pourquoi il n’y a pas eu plus d’émeutes, de plus grande ampleur, et bien plus violentes. Ou des insurrections? Ou des révolutions? Et pourquoi, à l’image d’autres moments révolutionnaires, les forces policières ne se sont pas mutinées pour passer du côté des rebelles ?
Nous n’aurions alors peut-être pas eu à tenir ce colloque sur une station orbitale, d’où nous ne pouvons que contempler la planète Terre. Autrefois qualifiée de «planète bleue», elle est maintenant sans eau, sans vie. Seuls des ordirobots peuvent continuer à y extraire les ressources naturelles dont l’humanité a besoin pour maintenir son existence en exil, sur des stations orbitales. Enfin, nous avons tout de même fait le choix de ne plus avoir de chef, et de prendre les décisions ensemble, pour le temps qu’il nous reste à vivre.