En ce sens, dans une vidéo du 7 juin, l’animateur de vlog-poubelle André Pitre (alias Stu Pitt) a fait une déclaration stupéfiante: «La Meute […] ont fait la sécurité d’une rencontre avec Mathieu Bock-Côté et Djemila Benhabib. Ils ont été demandés par ces gens-là pour faire la sécurité. Ils l’ont super bien fait et n’ont eu que des félicitations.»
Bien que Stu Pitt nous ait habitués à nombre d’approximations factuelles lors de ses performances «live», il est légitime de se demander : «Coudonc, c’est-tu vrai cette affaire-là? Bock-Côté et Benhabib feraient affaire avec la Meute?»
Exposition des faits
Après vérification des faits, il s’agirait d’une table ronde sur la liberté de la presse qui a eu lieu à Montréal, le 9 mai dernier. Mme Benhabib en était à la fois l’animatrice et l’organisatrice en cheffe.
Quant à Bock-Côté, réagissant à la déclaration incendiaire de Stu Pitt, il a nié toute implication avec vigueur: «Je n’ai jamais demandé quelque protection à qui que ce soit (commentaire recueilli sur Facebook, 21 juin).» Cette affirmation semble plausible puisqu’il n’avait que le titre de conférencier, parmi d’autres. Stu Pitt a dû l’évoquer à la hâte, simplement parce que son public de droite et lui en sont des «fans».
Sur les photos de l’événement, on peut observer que des gardiens de sécurité bénévoles avaient été postés tout autour de la salle. Puis, parmi les quelque 250 spectateurs se trouvaient bel et bien les plus importants dirigeants de La Meute, ainsi que des chefs de clan (dirigeants régionaux).
Est-ce à dire qu’ils étaient impliqués dans la surveillance des lieux?
Sur une autre photo, on peut observer Mme Benhabib, tout sourire, recevoir l’accolade de deux de ces agents de sécurité volontaires: tous les deux sont des membres de la page publique de La Meute, l’un d’eux est Farid Salem. Les membres de ce groupe islamophobe étaient toutefois habillés en civil (c’est-à-dire sans les logos distinctifs de La Meute). Les participants du colloque n’ont donc peut-être pas remarqué leur présence.
Que sait Djemila Benhabib?
En première analyse, je ne peux ni confirmer ni infirmer que Mme Benhabib ait délibérément fait appel à La Meute pour protéger les conférenciers. Il se peut que ces loups – admirateurs de Benhabib et de Bock-Côté – se soient portés volontaires.
Si Mme Benhabib est consciente que son service de sécurité a été exercé par un regroupement proche de l’extrême-droite, elle ne semble pas s’en formaliser outre mesure. Nulle part peut-on trouver une quelconque mise au point de cette dernière sur le sujet. Les vidéos de Stu Pitt soutenant que La Meute se chargeait de la sécurité ont pourtant été visionnées plus de 10 000 fois.
La situation est d’autant plus préoccupante qu’on a instrumentalisé l’événement Benhabib pour mieux légitimer La Meute en tant que force normale de sécurité: si Benhabib a apprécié leurs services, alors pourquoi ne pas les enrôler à nouveau en vue du colloque du Mouvement républicain? Continuant sur leur belle lancée, ils projettent un autre colloque du genre le 23 septembre prochain, à Montréal, toujours avec le concours de La Meute.
Stu Pitt joue un rôle de premier plan dans ces divers événements, puisque que celui-ci est de mèche avec les plus hauts dirigeants de La Meute. Ainsi, il était présent au garden-party de Sainte-Sophie, le 27 mai dernier, qui scellait l’alliance entre le Mouvement républicain et les loups. Il tient également le rôle de narrateur dans une vidéo de propagande du même groupe.
Qui a mandaté La Meute?
Sous la pression de Bock-Côté qui s’est vivement insurgé contre le fait qu’on puisse associer son nom à La Meute, André Pitre a décidé de changer sa version des choses: «Farid Salem est celui qui a demandé à La Meute d’assurer la sécurité de l’événement […]. MBC n’a jamais été mis au courant de la participation de La Meute, mais Djemila oui, après l’événement (commentaire recueilli sur Facebook, 25 juin).»
M. Pitre (Stu Pitt) a publié une vidéo le soir même pour consolider cette version des faits, avec l’approbation – en commentaires – des chefs de La Meute: «Mme Benhabib fait partie du collectif Citoyens pour l’égalité et la laïcité, ainsi que M. Farid Salem. Et pour cet événement-là, c’est M. Farid Salem qui a demandé à La Meute de faire la sécurité.»
Il y a néanmoins un hic: sur les affiches publicitaires du colloque, on y dit que la seule organisatrice se trouve être Djemila Benhabib. Elle abonde en ce sens dans un autre message d’invitation: «Pour la table ronde que j’organise, n’oubliez pas de prendre vos billets sur Eventbride (commentaire recueilli sur Facebook, 25 avril).»
Pour ce qui est des Citoyens pour l’égalité et la laïcité, ce sont en réalité Benhabib et son conjoint qui sont derrière le collectif. Le Registraire des entreprises du Québec ne fait aucune mention d’un Farid Salem parmi les responsables.
Ce M. Salem est peut-être proche bénévole de Mme Benhabib, mais il est aussi un membre en règle de La Meute. Selon son témoignage, il aurait été mandaté par la direction du colloque afin de mettre sur pied une équipe de sécurité amatrice: «À la demande d’agents de sécurité par l’une des organisatrices, j’ai fait appel à des ami(es) qui sont venus le faire bénévolement (commentaire recueilli sur Facebook, 25 juin).»
Du même souffle, André Pitre a ajouté que des fouilles au détecteur de métal ont été perpétrées à l’entrée de la salle, découvrant «deux couteaux et un tournevis aiguisé». Les membres de La Meute avaient-ils le permis légal pour imposer ces fouilles? Ont-ils alerté les policiers lorsqu’ils ont saisi ces armes potentielles?
Si tout cela est véridique, l’organisatrice en chef, Mme Benhabib, devait forcément être consciente que des fouilles au détecteur de métal avaient lieu sur place…
Enfin, pourquoi Mme Benhabib aurait-elle senti le besoin de recourir à des agents de sécurité non professionnels? L’une de ses confidences en marge de l’événement semble témoigner d’une certaine paranoïa: «Le débat n’a pas été filmé et à vrai dire je n’ai pas souhaité qu’il le soit pour des raisons évidentes, ça vous donne une idée sur les risques que l’on prend (commentaire recueilli sur Facebook, 10 mai).»
Cette petite histoire du colloque Benhabib illustre bien quelques-uns des travers de notre époque marquée par les guerres au terrorisme: paranoïa sécuritaire, démagogie post-factuelle (Stu Pitt), puis essor et normalisation de l’extrême-droite…