Le projet sur trois ans du gouvernement ontarien de Kathleen Wynne, lancé dans les régions de Hamilton/Brantford, Thunder Bay et Lindsay, attribuera aléatoirement un montant annuel de 16 989$ par individu ou 24 027$ par couple, moins 50 sous par dollar gagné en salaire. Cette initiative fait suite à un engouement mondial pour le revenu de base garanti et les transferts monétaires non conditionnels. Cet engouement a notamment eu des répercussions au Portugal, en Finlande, aux Pays-Bas, en France, dans la Silicon Valley et au sein de nombreuses ONG dans des pays du Sud global comme au Nigeria, au Kenya et en Ouganda.
Voici trois mauvais arguments contre le RBG et un bon. En effet, il n’existe, selon moi, qu’une seule raison valable de questionner la pertinence d’une telle politique : la déresponsabilisation de l’État de bâtir une politique sociale consistante en individualisant la responsabilité.
Argument fallacieux no 1 : Incitation à travailler moins
L’argument le plus populaire, publié en lettre ouverte dans les pages du Devoir l’an dernier et repris par The Sudbury Star, soutient que le RBG incitera les récipiendaires à travailler moins. En gros, si on donne du poisson à un pauvre, il va arrêter de pêcher. Cet argument est aisément réfuté par une étude sur un projet-pilote similaire ayant eu lieu dans les années 1970 à Dauphin, au Manitoba.
Le RBG, plutôt que de décourager les individus à travailler, leur avait plutôt fournit la stabilité nécessaire pour se trouver du travail ou pour créer leurs propres revenus. Les seuls individus qui ont vu leurs heures de travail diminuer étaient de nouvelles mères utilisant ce revenu supplémentaire comme congé de maternité et de jeunes hommes que le RBG avait encouragés à faire un retour aux études.
Des chercheurs du Mowat Centre de l’Université de Toronto ont déterminé que le projet de RBG au Manitoba avait incité les gens à travailler «différemment», mais pas nécessairement «moins». Une autre étude indépendante, réalisée suite à un projet de transferts monétaires de la part du gouvernement ougandais, a quant à elle démontré que les heures travaillées par les récipiendaires avaient augmenté de 17%.
Argument fallacieux no 2 : Augmentation des dépenses frivoles
Une seconde crainte est que les récipiendaires dépensent «mal» l’argent du RBG. Certaines études argumentent en effet que les individus à moindre revenu ont de moins «bonnes» habitudes de consommation. Mais rien ne prouve qu’un RBG incite les récipiendaires à flamber leur argent dans des dépenses frivoles. En fait, les dépenses frivoles sont davantage quelque chose que l’on pourrait reprocher aux classes aisées…
Bon nombre des candidats du projet-pilote ontarien sont prestataires du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées ou d’autres formes d’aide sociale et ont de la difficulté à rejoindre les deux bouts. Ils sont loin de pouvoir se procurer une voiture de luxe, le dernier iPhone ou des pichets de sangria tous les vendredis après-midi.
L’IRIS argumente dans un récent billet que le RBG ontarien ne représente même pas une couverture complète des besoins de base si on se fit au seuil de la «mesure du panier de consommation» estimé à 18 715 $. L’institut de recherche note que, pour 2017, ce seuil «suppose en moyenne un revenu après impôt de 20 025 $ (soit 7 % de plus) pour tenir compte des dépenses non incluses dans le panier (soins de santé non assurés, frais professionnels, frais de garde).»
Bien que les contextes dans le Nord et le Sud diffèrent, des entrevues réalisées au Kenya démontrent aussi que les récipiendaires d’un RBG ne le dépensent pas pour de l’alcool, du tabac ou dans le jeu, mais pour des dépenses essentielles comme des frais de scolarité, des articles pour la rénovation de leur habitation ou de la nourriture.
Argument fallacieux no 3 : On ne peut pas se le permettre
Un sondage de Ipso Affairs dévoilait la semaine dernière que, si 44 % des Canadiens sont d’accord avec l’idée du RBG, 52 % trouvent qu’une telle politique augmenterait les taxes de manière insoutenable.
Bien sûr, les programmes sociaux ont toujours un coût. Mais l’auteure d’un rapport de l’Institut des Politiques du Nord, Evelyn Forget, assure que le montant estimé pour un tel programme, autour de 15 milliards de dollars, corresponderait à seulement 5 % des dépenses fédérales. Instaurer le RBG au Canada est un choix politique certes, mais pas un choix utopique.
Un seul bon argument contre le RBG
Le seul risque majeur est que le RBG incite les gouvernements à réduire leurs politiques sociales. Si l’État se désengage de ses responsabilités sociales, donner un montant forfaitaire pourrait augmenter la responsabilité individuelle des citoyens et soutenir le principe d’utilisateur-payeur.
Le RBG pourrait permettre au gouvernement de justifier l’arrêt, la réduction ou la tarification de programmes comme l’aide sociale, le soutien aux aînés, les services de garderies, les logements sociaux ou les prestations pour contraintes à l’emploi. De nombreux intervenants communautaires craignent que le projet serve d’excuse au gouvernement pour justifier un désinvestissement dans les programmes sociaux.
Un récent rapport de l’OCDE, pourtant un club sélect de pays riches, affirme que le RBG risque même d’augmenter la pauvreté de 1%. Leur calcul vient d’un scénario où les gouvernements des 35 pays membres de l’OCDE remplaceraient les bénéfices sociaux et les réductions d’impôts pour les moins de 65 ans par le RBG.
Sans un renforcement parallèle des politiques sociales, le RBG pourrait se retrouver à n’être qu’une subvention détournée au privé. En effet, si la mesure ne s’accompagne pas d’une hausse du salaire minimum (comme adopté dans le dernier budget de l’Ontario), les entreprises perdront tout incitatif à augmenter le salaire de leurs employés, puisque le revenus seraient comblés de toute façon par le gouvernement.
Très souvent, les gouvernements réduisent (ou pourraient réduire) la pauvreté plus efficacement et de manière plus ciblée en instaurant des politiques sociales et un système de redistribution plus progressif.
En résumé, le RBG est une bonne politique seulement s’il remplace avantageusement l’aide sociale et s’il s’accompagne d’une hausse du salaire minimum à 15$, de restructuration du système de santé, de construction de logements sociaux et d’une gratuité scolaire, comme proposé, par exemple, par Québec solidaire.