«Vous écoutez Les inégalités sont parmi nous avec votre animateur Alex-Y et aujourd’hui on se demande — et surtout, on VOUS demande — pourrait-on libérer les PDG qui, de l’autre côté de leur plafond de verre, font, avouons-le, terriblement peine à voir avec leur domination ostentatoire, en interdisant, tout simplement, le port de la cravate? Parce que si on suit la logique des nationalistes identitaires, la liberté est une marque de vêtement. Je reçois aujourd’hui en studio Simon-France Etcetera du collectif Québec Égal, pour répondre à vos appels. Bonjour Simon-France!

— Bonjour Alex-Y, merci de me recevoir aujourd’hui!

— Tout le plaisir est pour moi. Entrons dans le vif du sujet, si tu le permets, parce que si je comprends bien, c’est une de vos revendications, ça, l’interdiction du port de la cravate en milieu de travail, au collectif Québec Égal, c’est bien ça?

— Oui, en fait, on essaie de déterminer les causes derrière les inégalités hommes-femmes, en particulier sur les lieux de travail. On parle ici d’un véritable fléau qui s’étend à l’ensemble de la performativité du genre masculin. On voit des petits garçons entraînés dès le plus jeune âge à performer des comportements dominants qui, s’ils devaient performer un autre genre seraient jugés COMPLÈTEMENT inacceptables, et on est bouche bée. On se dit, mais comment peut-on faire pour les aider? Comment sortir les hommes de la domination? Et nous, chez Québec Égal, on pense qu’il est important de remettre de l’avant les personnes qui ont déjà toutes les tribunes, question d’équité.

— Hum… oui, merci Simon-France, c’est logique, ce sont d’excellentes observations. Et que suggérez-vous pour mettre fin à la domination?

— Bon, nous, au collectif, on pense que l’interdiction du port de la cravate serait déjà un bon début. Ça fait partie d’un plan d’orientation plus global, bien sûr, visant l’abolition du complet veston cravate d’ici 2018.

— Pourquoi le complet?

— Le complet est le symbole même de l’autorité. Le bourgeois, le patron, le PDG, l’État, le 1%, Wallstreet, toute personne en position de pouvoir, tout lieu du pouvoir, sont figurés par le port du complet. Le complet recouvre tout le corps : du cou à la cheville. Une vraie burka capitaliste. Mais il ne faut pas s’y tromper, il transformerait l’homme le plus frêle en monstre assoiffé par le désir de dominer autrui. Quand l’homme enfile son complet, il enfile un rôle social, une position inégalitaire, toute une structure historique et culturelle qui l’avantage. C’est une négation de l’égalité. Nous ne croyons pas qu’un homme puisse choisir librement de porter le complet, on accepte pas librement de cracher sur les femmes et de hiérarchiser ses relations de travail, on accepte pas librement de mettre à la porte plusieurs milliers de collègues au nom du capital, on ne plonge librement pas ses travailleurs dans la misère ni dans la précarité, on n’est pas libre de délocaliser ses entreprises pour exploiter le travail des enfants dans des conditions inhumaines, non non, clairement, cette domination leur est imposée et il faut que ça cesse.

— Mais alors pourquoi passer d’abord par la cravate? Pourquoi ne pas libérer les hommes de la domination radicalement, ici et maintenant, en visant le complet tout de suite?

— On pense que c’est mieux d’y aller par étapes. On peut pas, du jour au lendemain, leur demander de s’habiller comme Safia Nolin et d’être aussi sympathiques, ça n’arrivera pas; on aimerait ça, mais ça n’arrivera pas. Et puis, la cravate est véritablement le symbole de l’étranglement que le pouvoir exerce sur l’individu. On pense que déjà, en arrêtant de porter la cravate, les hommes vont arrêter de se faire offrir des salaires plus élevés que les femmes et qu’ils n’auront pas l’autorité pour le négocier. La parité salariale, c’est un gros coup dans les genoux de la domination, ça. Ça va faire mal. On va même jusqu’à poser l’hypothèse que, sans cravate, le complet n’exercera plus sa fascination et que plus aucun homme en position de pouvoir ne pourra en abuser sans passer pour ce qu’il est : un prédateur. Et c’est ça, le changement qu’on veut voir.

— C’est bien beau tout ça, Simon-France Etcétéra, mais qu’en est-il de la domination ordinaire? Mon cousin me confiait, pas plus tard que la semaine dernière, à quel point il vit une torture quotidienne parce qu’il ne peut pas se raser tous les jours. Il doit, pour correspondre aux critères de virilité, avoir continuellement une barbe de trois jours. Paraît que la barbe de trois jours pique et que c’est franchement désagréable. Chaque fois qu’il perd le contrôle et qu’il rase: il vit dans la misère affective. Les filles l’ignoreraient. Que comptez-vous proposer pour ces hommes-là? Des hommes de tous les jours qui ne portent pas nécessairement la cravate ou le complet, mais qui vivent tout autant de dominations? Un autre exemple. Juste pour le plaisir. Encore mon cousin. Le pauvre voulait s’épiler le poil pubien pour que son sexe ait l’air plus grand. Mais personne ne lui a jamais expliqué comment faire. Ne sachant plus où s’arrêter, il s’est épilé jusqu’au milieu du dos! Je l’ai retrouvé qui pleurait en p’tit boule dans le bain. À quand l’éducation populaire et le bris des tabous persistants?

— Horrible. D’abord, il faut reconnaître que la plupart des stéréotypes qui définissent les comportements masculins découlent de deux grands archétypes: le pourvoyeur et le libertin. On le voit dans les dichotomies comme l’homme d’affaire et l’homme à tout faire, le patriarche et le cow-boy, le père de famille et le coureur de jupon, le représentant de la loi et le hors la loi… Comme si on avait le choix entre Francis Reddy ou Roy Dupuis et rien d’autre. Tous ces stéréotypes sont porteurs de régimes de domination et si les hommes veulent performer leur genre, ils n’ont pas d’autres choix que d’adopter des comportements dominants. L’exemple de ton cousin, Alex-Y, montre qu’on s’attaque bien aux stéréotypes issus du pourvoyeur, mais qu’il faudra effectivement viser le binôme lui-même si on veut libérer les hommes. Il va INDÉNIABLEMENT falloir viser la chemise à carreaux aussi, un moment donné, de même que les v-nek et les bagues en or. Mais bon, les femmes ont bien brûlé leurs brassières, créons un momentum avec les cravates et on verra jusqu’où ça va aller. Imagine une pluie de cravates tombant des buildings en plein cœur de Montréal, ça te fait pas rêver toi? On rêve de charte pis de valeurs aussi. On veut défendre le progressisme qui nous tient, comme nation, jusqu’au bout.

— Oui, superbe, Simon-France Etcétéra. Au tour de notre auditoire de se saisir du micro. Après la pause, je vous demande: pour ou contre le port de la cravate? Et on prend vos appels!»

[Alors que les annonces publicitaires pour des cafés autogérés et des ateliers de kombucha non-mixtes défilent, la clochette de l’autocritique soupire en pensant qu’il n’y a rien de mieux qu’une guillotine, lorsqu’il s’agit de faire de la gestion de classe.]