Les mots très durs qu’avaient eu le directeur de Greenpeace International, Kumi Naidoo, lors du Sommet Rio+20 en 2012 illustrent très bien cette réalité. Il avait alors parlé d’«échec de proportion épique». Il ajoutait : «Nous n’avons pas eu « Le futur que nous voulons » à Rio parce que nous n’avons pas les leaders qu’il nous faut. Les dirigeants des pays les plus puissants ont appuyé l’ordre du jour du business as usual, privilégiant de façon éhontée le profit privé aux dépens des peuples et de la planète.»
En effet, les élites mondiales étaient restées prises dans les contradictions du concept de «développement durable», mises en évidence par l’impossibilité de «durabiliser» un capitalisme mondialisé reposant sur une croissance infinie dans une biosphère finie. Au fil des conférences et sommets, ces élites ont refusé de se soumettre à des politiques risquant de porter atteinte à des taux de croissance déjà fragilisés depuis la crise de 2008.
Puis vint Paris et sa nouvelle modalité de départ. Plutôt que de chercher à ce que différents pays se conforment à des engagements contraignants dictés par un accord, les organisateurs de la Conférence de Paris ont privilégié la méthode des contributions prévues déterminées au niveau national (CPDN). Celles-ci donnent toute la latitude aux États de proposer leurs propres cibles de réductions d’émissions, ainsi que leurs propres échéanciers. De plus, il n’y a pas d’obligation légale de respecter ces engagements, bien que différents modes de transparence et de responsabilité fassent partie de l’accord, notamment un mécanisme de révision par les pairs tous les cinq ans. Des mécanismes d’aide sont également prévus pour les pays qui peineraient à atteindre leurs objectifs. Finalement, les États disposent aussi d’une certaine marge de manœuvre pour revoir leurs engagements et leurs échéanciers au fil du temps.
La communauté internationale n’exerce donc aucune véritable pression envers les signataires sur le choix des cibles et des échéanciers à court terme, ce qui bien sûr fait en sorte que les différents gouvernements sont beaucoup plus enclins à accepter de ratifier un tel accord. L’architecture technico-légale et les modalités de la participation de l’Accord de Paris expliquent sans doute en partie cet immense succès politique : il s’agit bel et bien du premier accord universel sur le climat.
Paris n’est pas une panacée
Toutefois, il faut résister à la tentation de fétichiser l’Accord de Paris, comme s’il s’agissait d’une véritable solution aux changements climatiques. Malgré l’apparente avancée politique qu’il représente, cet accord est en fait largement insuffisant sur le plan environnemental, ce qui remet en perspective l’agaçant kumbaya politique international qui sonne plutôt creux lorsqu’on l’écoute de près.
Il est vrai que l’Accord entérine le but commun de garder la montée des températures «nettement en dessous de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels», allant même jusqu’à suggérer la cible de 1,5 degré. Bien que tous s’entendent sur ce point, la somme des engagements individuels, jusqu’à maintenant, est très loin de mener à un résultat qui puisse même s’approcher de cette cible collective. Selon les estimations récentes du Programme des Nations Unies pour le développement, si absolument tous les engagements individuels pris par les États signataires sont respectés, nous nous dirigeons vers une augmentation des températures se situant entre 2,9 et 3,4 degrés Celsius en 2100.
Il s’agit là d’un terrain climatique extrêmement dangereux et le célèbre climatologue James Hansen n’a pas hésité à qualifier l’accord « d’imposture ». C’est un peu comme si dix amis se mettaient d’accord pour partager la note de 200$ au restaurant, mais qu’ils ne contribuaient chacun que 10$, pour ensuite s’autocongratuler d’avoir atteint un niveau inédit de coopération . Conjugué à l’absence de mécanisme contraignant pour les grands pollueurs, cet accord apparait au final davantage comme une façon pour les élites de verdir leur image publique, de se donner bonne conscience et d’apparaître de bonne foi.
Le retrait américain et la démagogie populiste
Le retrait américain, en ce sens, est surprenant. D’une part, le gouvernement américain avait tout le loisir de réviser les cibles proposées par l’administration Obama. Trump avait d’ailleurs mentionné auparavant qu’il souhaitait renégocier les termes de l’entente. Il aurait été fort simple, pour lui, de se distinguer de son prédécesseur de cette façon. Dans tous les cas, les CPDN américaines, qui visaient d’ici 2025 une réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 26 à 28% en deçà des niveaux de 2005, étaient tout sauf ambitieuses. Les États-Unis sont déjà environ à mi-chemin de rencontrer cet objectif. Il est permis de croire qu’il était largement à leur portée.
D’autre part, il semble par ailleurs y avoir très peu de crédibilité à l’argument de Trump selon lequel l’accord était «injuste» pour les États-Unis ou qu’il aurait pu enrayer la croissance américaine. Les obstacles à la croissance américaine dans les dix dernières années sont davantage venus du côté d’une crise majeure déclenchée par une sphère financière hypertrophiée, que Trump s’affaire d’ailleurs à déréguler davantage, plutôt que de régulations environnementales.
L’argument de Trump pour l’emploi semble également relever de la rhétorique nationalo-populiste à laquelle il nous a déjà habitués. Même le Financial Times, qu’on ne peut soupçonner de grandes sympathies pour la justice climatique, l’a pris en défaut sur ce point en notant qu’environ trois fois plus d’Américains travaillent dans le secteur de l’énergie solaire et éolienne que dans l’industrie du charbon, que Trump semble méprendre pour une locomotive de croissance. Mettons de côté le fait que ces formes d’énergie dites «renouvelables» présentent elles aussi des limites importantes sur le plan environnemental; le calcul de Trump en termes d’emploi semble défier l’arithmétique la plus élémentaire. Il apparait clair que cette décision relève davantage d’une démagogie populiste, visant à consolider une base électorale nationaliste et climato-sceptique, que d’un véritable souci pour la souveraineté ou la relance économique américaine.
Il semble également que l’Accord de Paris, loin d’être «injuste», ait en fait été plus avantageux sur certains plans pour les États-Unis que le Protocole de Kyoto. En effet, ce protocole ne comprend pas de cible pour les pays ne faisant pas partie de l’Annexe 1 – comme la Chine, le Brésil et l’Inde – et comporte des cibles contraignantes ainsi que des sanctions légales et économiques pour les pays développés qui ne rencontrent pas leurs objectifs. Si les États-Unis se sont également retirés du Protocole de Kyoto en 2001, l’Accord de Paris semblait plus prometteur puisque moins contraignant pour eux, en plus d’exiger des cibles de leurs compétiteurs émergents.
Un impact limité
Aux États-Unis même, la décision de Trump, au-delà de la poudre aux yeux démagogique, pourrait somme toute avoir un impact assez limité. Le système fédéral américain laisse en effet une grande marge de manœuvre aux États pour légiférer en matière environnementale. Par exemple, la Californie a mis en place certaines mesures environnementales parmi les plus avancées du monde. Le retrait de l’Accord de Paris ne change strictement rien aux législations des États en cette matière. Les États-Unis pourraient même de facto atteindre leurs objectifs de Paris grâce aux mesures proactives de plusieurs États et ce, malgré les obstructions de l’administration fédérale. Sur le plan international, les leaders chinois, français, allemands et autres ont déjà signifié leur souhait d’aller de l’avant avec l’accord.
Sans doute, Donald Trump est un véritable danger pour la lutte aux changements climatiques. Mais il ne faut pas se leurrer : le greenwashing des élites économiques et politiques de même que l’incapacité systémique du capitalisme mondial de se réformer en profondeur sont aussi dangereux pour la planète et la justice climatique.
Défendre l’Accord de Paris comme une panacée risque de faire oublier la nécessité d’une mobilisation démocratique pour une transition écologique. Or, la lutte aux changements climatiques ne peut faire l’économie d’une mobilisation citoyenne visant à mettre en place des solutions sur le plan local , à transformer les bases de notre vie socio-économique ou à tout le moins à faire pression sans relâche sur les élus pour qu’ils augmentent les objectifs de réduction des émissions. En ce sens, le retrait de la mobilisation environnementale citoyenne est beaucoup plus dommageable que celui des États-Unis de l’Accord de Paris. Pendant que nous espérons des solutions en provenance d’accords internationaux insuffisants et fragilisés, la réalité climatique, elle, n’attend pas.