Les chiens domestiques, petits cousins des grands canidés et du loup gris, accompagnent les humains depuis plus de 15 000 ans.
Les chiens domestiques sont le produit d’une sélection visant à isoler certaines caractéristiques utiles aux humains pour la chasse, l’élevage ou la défense du territoire notamment. En à peine 200 ans, nous avons créé des centaines de variétés de chiens aux propriétés franchement différentes, du Daschund au Husky Sibérien, dont nous avons la responsabilité historique. Aujourd’hui, les chiens domestiques répondent toujours à certains de ces usages, mais sont également souvent choisis à titre de joyeux compagnons de l’humain.
Or, ces compagnons à quatre pattes ont de nombreuses restrictions territoriales en zone urbaine au Québec. Contrairement à plusieurs grandes villes telles Seattle, Portland ou même Chicago, qui se situent à l’avant-garde en matière d’infrastructures canines, les zones urbaines québécoises possèdent des installations canines désuètes. Par chez nous, les chiens ne sont souvent pas les bienvenues ni dans l’espace public, ni dans les espaces privés et commerciaux. Nos espaces canins publics sont mal entretenus et chroniquement sous-financés. Ces lieux publics sont pourtant d’une importance capitale pour le développement et l’éducation des chiens en milieu urbain.
En effet, alors que les humains ont des gueules qui font souvent beaucoup de bruit pour rien, les chiens, eux, ont des gueules équipées de solides mâchoires et de longues dents. Chez le chien, le mordillage est un comportement complètement naturel. Pour se divertir, le chien mordra un jouet, un os un autre compagnon à quatre pattes. Ce comportement doit être contrôlé et suivi avec attention. Le mordillage ne doit toutefois pas être condamné, mais plutôt être associé à des périodes d’amusement canin. Comme chez l’humain, la socialisation, l’environnement et l’éducation permettront de faire d’un chien un ami sans risque pour quiconque, nonobstant le type de chien. On peut faire d’un Caniche toy un chien de garde, comme d’un Rotweller une patate de salon.
Je suis moi-même propriétaire d’un jeune chien à très haute énergie. Très très haute énergie disons. Je sors mon chien chaque jour et le laisse s’exercer un minimum de deux heures. C’est ce que ça me prend pour faire de ma petite terreur de Lulu, une grande Weimaraner de 11 mois, un chien obéissant et docile plutôt qu’un chien têtu et agité. L’accessibilité aux parcs en milieu urbain est déterminante pour moi comme tant d’autres. Les chiens plus énergiques doivent être stimulés et non simplement contrôlés, attachés, muselés.
Les caractéristiques particulières de chaque race ou type de chien ne supplantent en aucun cas la possibilité de travailler avec eux. Il y a un consensus évident dans la communauté scientifique sur cette question. Plutôt que de condamner un type de chien à l’extinction, nous avons plutôt la responsabilité collective de donner les moyens aux éleveurs, propriétaires ou futurs propriétaires de chien de prendre des décisions éclairées au sujet de l’animal qu’ils ou elles souhaitent se procurer.
Ce ne sont pas que les chiens de type pitbull qui font les frais de la dérive de ce débat, mais l’ensemble des chiens comme leurs propriétaires. Demandez à un propriétaire de chien ces jours-ci et vous aurez votre réponse. À l’image de notre société en pleine dérive sécuritaire, on priorise le renforcement du contrôle sur des solutions qui permettraient de réellement s’adresser aux fondements de l’insécurité. Suite à la campagne de désinformation lancée par le gouvernement au sujet des chiens dits «de type pitbull» une confusion grandissante semble s’installer dans la population au sujet des différentes races de chiens. La population est désormais amenée à se questionner prioritairement au sujet du niveau de «dangerosité» des chiens plus que sur n’importe quel autre de leurs attributs.
Certains propriétaires de chien m’ont rapporté s’être fait injurier par des passants au sujet de leurs chiens. Une autre m’a affirmé voir fréquemment des gens changer de trottoir pour éviter d’être en contact avec son chien. Un autre encore m’a même confié avoir reçu des menaces par un automobiliste alors qu’il se promenait accompagné de son petit pitbull, pourtant attaché avec un harnais et une muselière. Il y a quelques semaines, un chien est mort à Montréal des suites d’un empoisonnement causé par un humain. Du poison avait été mélangé à de la nourriture laissée aux abords d’un parc canin. Plus tard, on a rapporté l’empoisonnement d’un autre chien par un passant qui se tenait en marge d’un parc canin. En terme de sécurité publique, on a vu mieux.
En vérité, l’arbitraire qui enrobe ce débat sert tout sauf la sécurité publique. De plus, l’imposition du harnais et du licou pour les grands chiens est contreproductive. Les harnais ont tendance à faire tirer les chiens alors que les licous renforcent l’identification et le profilage des chiens qui les portent en tant que chiens «dangereux». Quant à la muselière, en plus de donner des allures dangereuses à tout chien qui la porte, elle ne prévient statistiquement pas significativement les accidents reliés à des morsures, celles-ci se produisant généralement au domicile. Pire encore, son imposition jusque dans les espaces canins publics empêche tout simplement le chien de jouer et de dépenser son énergie. Ceci ne peut au final que conduire à une certaine détresse et à l’augmentation du stress chez le chien qui se la voit imposée. Faut-il rappeler au gouvernement qu’un chien stressé et qui joue moins aura beaucoup plus tendance à adopter un comportement turbulent? Ironie, quand tu nous tient.
Le projet de loi gouvernemental propose également de laisser la population participer au signalement des chiens de «type-pitbull» et à l’identification des chiens «déclarés, signalés, ou réputés dangereux». Dans un avenir pas si lointain, le simple signalement d’un voisin malveillant pourrait rendre tout chien dangereux. «Big brother is watching you.» Les services de police devront compiler de lourdes informations au sujet des chiens avec tous les frais que ça implique. Tout chien considéré comme «de garde» pourra également être soumis aux mêmes contrôles qu’un chien de « type pitbull ». Notre bon gouvernement a cependant cru bon d’insérer une belle exception à sa règlementation, au sujet des chiens policiers. L’État pourra donc continuer librement d’élever les chiens de garde de sa cour alors que la population devra en être empêchée. Finalement, tout signalement d’un chien «réputé dangereux» ou désormais «interdit» et non enregistré ou détenu par une personne avec un antécédant judiciaire pourrait mener à son euthanasie. Quel beau projet de société.
Des alternatives existent et seraient disponibles si notre gouvernement s’intéressait un tant soit peu aux chiens comme aux humains. Pourquoi ne pas mettre en place des mesures concrètes qui permettraient de véritablement contrôler l’élevage et la vente des animaux. Pourquoi ne pas investir dans la formation canine, dans les espaces canins ou les organismes de gestion animalière? Pourquoi ne pas créer un guide public à l’intention des propriétaires et futur.e.s propriétaires de chiens. Pourquoi ne pas imposer des peines sérieuses aux propriétaires de chiens fautifs ou abusifs? Plutôt que de cibler certains chiens de les qualifier de chiens «dangereux» et de les condamner à le devenir dans le regard public, pourquoi notre gouvernement ne cherche pas à suivre les recommandations pourtant claires de la SPCA et de l’ordre des vétérinaires du Québec à ce sujet?
À l’heure où le Québec est une des capitales mondiales de l’euthanasie chez les animaux domestiques, nous considérons que des comportements dangereux peuvent survenir d’un côté de la laisse comme de l’autre.