On peut effectivement observer, dans plusieurs pays occidentaux, que l’alternance de deux partis au pouvoir – l’un de centre-gauche et l’autre de centre-droite – s’essouffle actuellement. Des courants politiques plus jeunes, avec des idées souvent plus tranchées, prennent alors tranquillement la place.

Cette crise est le résultat d’une convergence des politiques adoptées par les partis de centre-gauche et de centre-droite à travers le monde, sous la pression du néolibéralisme et de la discipline financière qui l’accompagne. La convergence s’est accélérée suite à la crise de 2008, l’austérité devenant le nouveau mot d’ordre pour la gestion des fonds publics. La distinction entre les partis traditionnels, au regard des politiques adoptées une fois au gouvernement, est de plus en plus floue, ce qui encourage la recherche de solutions de rechange par l’électorat.

Cette crise est le résultat d’une convergence des politiques adoptées par les partis de centre-gauche et de centre-droite à travers le monde, sous la pression du néolibéralisme et de la discipline financière qui l’accompagne.

La crise du bipartisme, un phénomène international

Une première forme de cette crise est représentée par des pays tels que la France et la Grande-Bretagne, où l’introduction d’un troisième parti venant rompre avec la logique bipartisane a été menée essentiellement par des formations d’extrême-droite. Dans les deux cas, ces partis – le Front National (FN) et le United Kingdom Independence Party (UKIP) – n’ont pas encore formé un gouvernement national. Cependant, ils ont tout de même influencé considérablement le débat public, en normalisant entre autres une posture négative à l’endroit de l’immigration et des minorités culturelles. Dans le cas de la France, l’accession occasionnelle du FN au deuxième tour a contribué à l’établissement d’une logique du moindre mal. L’électorat se range alors massivement derrière un parti de centre-droite, souvent moins par conviction que par crainte que l’extrême-droite ne prenne le pouvoir.

Les États-Unis représentent un deuxième cas de figure, avec un modèle bipartisan très rigide. Ce modèle favorise les stratégies d’entrisme dans les deux partis dominants plutôt que la création d’une alternative. Que les États-Unis soit la seule économie capitaliste avancée sans parti travailliste a longtemps préoccupé les politologues et activistes de gauche. Les dernières élections américaines ont vu pour leur part la montée de deux figures qui ne correspondaient pas aux standards de chaque parti, soit Bernie Sanders et Donald Trump, ainsi qu’un nouvel intérêt pour la constitution d’un parti à gauche des Démocrates.

La crise du bipartisme au Québec

Le Québec, où quatre partis luttent présentement pour se maintenir au pouvoir ou s’en emparer, représente une troisième configuration possible. L’alternance bipartisane traditionnelle entre fédéralistes et souverainistes a effectivement laissé place, depuis 15 ans, à une série presque ininterrompue de victoires électorales pour le PLQ. Derrière cette situation se profile une question cruciale: lequel des quatre partis s’épuisera en premier?

Des sondages récents indiquent que les intentions de vote pour le PQ sont en chute libre et que la CAQ ressort largement gagnante de cette débâcle. Devant le refus d’un pacte électoral et les difficultés du PQ à rajeunir son électorat, on peut se demander vers quel parti les électeurs et électrices péquistes se tourneront. Assisterons-nous à une convergence entre le PQ et la CAQ, telle que supposée par Jonathan Durand-Folco? QS intégrera-t-il un nombre croissant d’ex-péquistes parmi ses rangs?

Devant le refus d’un pacte électoral et les difficultés du PQ à rajeunir son électorat, on peut se demander vers quel parti les électeurs et électrices péquistes se tourneront.

Il importe de souligner que, dans tous les cas étudiés ici, la droite est l’option politique qui tire les plus grands bénéfices de la crise du bipartisme. Cela ne veut pas dire que la gauche est impuissante face à cette situation, mais plutôt qu’elle doit s’organiser en conséquence, ce qui suppose d’élargir sa base tout en assumant jusqu’au bout sa rupture avec les partis d’establishment. En prenant ses distances à l’endroit du PQ, QS pourra notamment s’adresser avec beaucoup plus d’aisance à un électorat déçu, voire franchement troublé par les projets de loi mis de l’avant durant le court intermède péquiste de 2012-2014 (maintien des politiques d’austérité, Charte des valeurs québécoises, etc.).

Les dernières élections fédérales illustrent bien qu’une gauche mal assumée – comme celle du NPD sous Mulcair – ne parvient pas à rejoindre un électorat qui, quatre ans auparavant, avait pourtant voté avec enthousiasme pour les néo-démocrates. Contre toute nostalgie de l’ordre ancien bipartisan, il faut donc s’assurer que la gauche intègre cette nouvelle configuration politique à sa grille d’analyse afin de s’y tailler réellement une place.

Élisabeth Béfort-Doucet est étudiante en anthropologie à Université de Montréal et Emanuel Guay est étudiant en sociologie à Université McGill