Le fonctionnement de la CLASSE se fondait sur les assemblées générales de son congrès national et celles des associations locales. Loin de s’en réjouir, de nombreuses voix s’élevaient alors contre cette «démocratie étudiante» si les assemblées votaient pour la grève (mais jamais si elles votaient contre). Les assemblées étudiantes étaient contrôlées par de petites cliques, disait-on, et le vote à main levée y favorisait l’intimidation. La virulence de ces critiques n’avait pas d’équivalence à propos de l’Assemblée nationale. Ce parlement est pourtant contrôlé par une petite clique de ministres du parti majoritaire, et la députation y vote ouvertement sous la contrainte de la discipline de parti.
Mandat impératif
On reprochait aussi à la CLASSE de pratiquer le «mandat impératif», puisque ses porte-paroles devaient — en principe — s’exprimer et prendre leurs décisions en fonction de ce qu’avait décidé l’assemblée du congrès. À la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et à la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), les têtes dirigeantes pouvaient s’exprimer sans jamais consulter leur base.
Ce mandat impératif a donné lieu à des scènes médiatiques mémorables. Des journalistes n’avaient d’autre objectif que de forcer Gabriel Nadeau-Dubois à condamner la «violence», mais ce dernier n’en avait pas le mandat. Finalement, après l’émeute contre le Salon Plan Nord au Palais des congrès à Montréal, il a malgré tout déploré des «gestes qui ont visé spécifiquement des individus, surtout des citoyens, des citoyennes», «[o]n pense notamment à des pavés qui ont été lancés sur l’autoroute 720. Ce sont des actes qui ont été jugés inacceptables» (à ma connaissance, cette histoire des pavés n’a jamais été confirmée).
Le seigneur de Gouin
Entre la démocratie de la CLASSE et le parlementarisme, il y a donc des différences politiques fondamentales, à tout le moins en principe, et si possible en pratique. Le parlement, présenté comme le «siège de la démocratie», n’est que le repaire d’une aristocratie élue. C’est un fait historique. Les parlements ont été créés au Moyen Âge par les rois, tout d’abord pour y faire accepter de nouveaux impôts. Les rois convoquaient ainsi les seigneurs leur ayant prêté serment de les «protéger et conseiller».
Au Québec comme au Canada, cet enracinement dans un passé lointain est confirmé lorsque les députés jurent leur «vraie allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth II». Notre système politique reste féodal, même si les députés élus ont remplacé les seigneurs héréditaires, les logos des partis ont remplacé les blasons des familles nobles, les circonscriptions ont remplacé les fiefs. Comme au Moyen Âge, le candidat (ou seigneur) ayant les troupes les plus nombreuses emporte la bataille électorale (ou militaire). Ensuite, le député prétend protéger les résidentes et résidents de son fief électoral, comme hier le seigneur protégeait ses sujets, moyennant contribution à ses coffres.
Certaines circonscriptions sont même considérées comme des «châteaux forts» pour tel ou tel parti. C’est le cas de Gouin, «château fort» de QS, où je réside. Nous aurons bientôt un nouveau seigneur, Gabriel Nadeau-Dubois. Sa notoriété acquise en tant que porte-parole de la CLASSE, en 2012, lui permet aujourd’hui d’hériter de ce fief. Il semble d’ailleurs tout à fait cohérent qu’il porte les couleurs de QS, puisque les valeurs sociales de ce parti et de la CLASSE entrent en résonance, en ce qui a trait à la social-démocratie. Il défend aussi le respect de la diversité culturelle. C’est très bien.
Mais la CLASSE, c’était aussi une pratique de la vraie démocratie, celle des assemblées souveraines et du mandat impératif. C’est aussi dans Gouin qu’ont résonné, en 2012, les premiers appels à former des assemblées populaires autonomes de quartier, quelques jours après l’adoption de la Loi spéciale limitant le droit de manifester et les manifestations de casseroles y réagissant.
Aristocratie élective
Une fois député, l’ancien porte-parole de la CLASSE ne sera pas porteur d’un mandat impératif confié par sa communauté réunie en assemblée et conservant le pouvoir de le révoquer. Il sera un aristocrate élu, indépendant face à son électorat.
Que reste-t-il alors du projet exprimé par le manifeste de la CLASSE, par ailleurs très critique de la démocratie dite «représentative : on se demande bien qui elle représente. Elle ne se vit qu’une fois par quatre ans et ne sert trop souvent qu’à changer les visages. Élection après élection, les décisions restent les mêmes et servent les mêmes intérêts.»
Si je m’étais présenté comme candidat contre Gabriel Nadeau-Dubois, je n’aurais avancé qu’une seule proposition : abolir le parlementarisme et le remplacer par l’autogestion généralisée, c’est-à-dire la démocratie, y compris dans les écoles et au travail. Mais un tel projet ne sera jamais accepté par les autres parlementaires. Ni même le mandat impératif.
Avec Gabriel Nadeau-Dubois, ce sont donc les principes et les pratiques de la FEUQ et de la FECQ qui vont prévaloir dans Gouin. L’aristocratie primera toujours sur la démocratie. Loin de bâtir l’avenir, on nous propose de replâtrer le passé.
Nous restons donc avenir.