23 mai 2016. Sur une petite scène montée dans le stationnement derrière l’église de Saint-Constant, le chanteur Alexandre Belliard entonne une chanson sur Louis-Joseph Papineau devant une maigre foule de sympathisant-es souverainistes cherchant à se cacher du soleil brûlant tout en appréciant le spectacle.
Le grand succès de l’événement : avoir attiré la quasi-totalité de l’état-major du Parti Québécois (PQ), avec la présence de Sylvain Gaudreault, d’Alexandre Cloutier, de Véronique Hivon, de Mathieu Traversy et, bien sûr, de Pierre Karl Péladeau, chef démissionnaire du PQ.
Pendant ce temps, dans les médias, on se gratte la tête d’incrédulité : «La fête à qui?» titre La Presse, «Fête des patriotes 2016 : fête des Patriotes, de la Reine ou de Dollard?» s’interroge le Huffington Post Québec. Et le site de Radio-Canada International de conclure : «Quel est ce jour férié du mois de mai?»
La population, elle, s’inquiète surtout de savoir si le Maxi est ouvert ce jour-là.
Nous sommes loin de l’objectif initial d’Alcide Clément et de Rachel Girouard, ce couple de Sherbrooke qui après 15 ans de représentations auprès des divers gouvernements a réussi à convaincre celui de Bernard Landry de promouvoir les patriotes au rang de Journée nationale. «Ce qui était important pour nous, explique Alcide Clément, joint au téléphone, c’était de faire découvrir notre histoire. Puis aussi, de partager l’idéal démocratique des patriotes.»
Difficile naissance d’une fête qui dérange
La Journée nationale des patriotes avait quelques prises contre elle avant même de voir le jour en 2002. Car on parle ici d’une commémoration visant à souligner une révolution ratée, brutalement écrasée par les autorités britanniques en 1837 et 1838. Le tout dans un contexte où la figure même du patriote a été redécouverte par les Québécois-es en octobre 1970, avec la publication du manifeste du Front de libération du Québec (FLQ).
«Au départ, Bernard Landry était très hésitant à instaurer cette journée…», confie Gilles Laporte, professeur d’histoire au cégep du Vieux-Montréal et infatigable promoteur de l’héritage des patriotes. «On a dû le brasser un peu», confirme Alcide Clément. Tout de même, Bernard Landry signe le décret. Mais perds les élections. La première Journée nationale des patriotes a donc lieu sous le gouvernement libéral de Jean Charest, qui ignore la commémoration initiale et refuse tout financement pour l’événement pendant ses dix années au pouvoir.
«Le gouvernement n’accusait même pas réception de nos demandes!» s’exclame Myriam D’Arcy, responsable des commémorations au Mouvement national des Québécois (MNQ). «Depuis le début de la Journée nationale des patriotes, ajoute la présidente Martine Desjardins, nous n’avons reçu que deux enveloppes : en 2013 et en 2014, quand le gouvernement Marois était au pouvoir.»
Conséquence de ce refus initial d’accorder du financement : la Journée se polarise et devient l’exutoire de la grogne envers le gouvernement Charest. Le point culminant de cette contestation survient pendant la grève étudiante de 2012, lors d’un spectacle patriotique de Loco Locass et d’Alexandre Belliard, devant une foule de «quelques milliers de personnes» arborant le carré rouge.
«On doit tout de même rappeler que le gouvernement libéral n’a jamais remis en question l’idée que ce soit la fête des Patriotes», proteste au bout du fil l’ancien ministre Benoît Pelletier, un rare député libéral à s’être impliqué dans ce dossier. Il avait, en 2011, défendu la décision du maire Marc Bureau de hisser le drapeau vert-blanc-rouge à la Maison du citoyen de Gatineau pour souligner la Journée nationale des patriotes.
«Si je l’ai fait à l’époque, c’était pour rappeler que les patriotes, au départ, ce qu’ils voulaient, c’était un gouvernement responsable… Ils ont donc défendu, dans les faits, des principes liés au parlementarisme britannique. Ils ont littéralement sacrifié leur vie pour appliquer ici des principes d’origine britannique. Il ne faut quand même pas l’oublier!»
L’ancien ministre Pelletier a raison sur une chose. En Chambre comme ailleurs, toute la classe politique québécoise s’entend aujourd’hui pour saluer le combat des patriotes. Sauf que, dans bien des cas, il s’agit surtout de s’en approprier le sens.
Qu’il s’agisse d’Amir Khadir qui, en 2015, déclare que pour «être conformes à l’esprit des patriotes», il faut une «réforme immédiate du mode de scrutin», ou encore Philippe Couillard qui, en 2016, attribue l’obtention des «institutions démocratiques» au gouvernement subséquent de Baldwin et La Fontaine, en passant par Bernard Landry qui, lorsque rencontré pour cet article, rappelle les mots de Thomas Chevalier de Lorimier : «Vive la liberté, Vive l’indépendance» pour expliquer la lutte des patriotes; plusieurs politiciens adaptent le discours patriotique à leur guise.
La réponse américaine
«Ce que disent les politiciens à propos des patriotes n’est pas d’un grand intérêt, croit Gilles Laporte. Leurs déclarations ne servent qu’à une chose, c’est d’utiliser l’aura et le prestige de cette fête historique à des fins partisanes», affirme-t-il.
Pour redorer le blason de cette journée, l’historien pointe vers ce qui se fait au sud de la frontière, avec le Martin Luther King Day. «C’est une journée qui avait un potentiel sulfureux et qui aurait pu tourner à la traditionnelle émeute… Pourtant non. Les Américain-es ont une politique de commémorations claire, qui évacue la partisanerie. Même Trump doit s’y soumettre! Car ça ne dépend pas du bon vouloir du gouvernement en place.»
Un des promoteurs de cette idée est le MNQ. La présidente Martine Desjardins explique : «Une politique de commémorations permettrait au gouvernement d’encadrer des évènements comme la Journée nationale des patriotes, mais aussi le jour du Drapeau, qu’on oublie tout le temps. Ça permettrait aussi de régler les débats qui entourent les funérailles nationales», dit-elle.
Le principe a été documenté par le chercheur Charles Philippe-Courtois, dans le rapport Les commémorations historiques nationales au Québec. Recommandations pour une politique d’envergure. Reprise par le MNQ, la proposition a été soumise au ministre de la Culture et des Communications lors de la consultation sur le Renouvellement de la politique culturelle du Québec.
«Le ministre Luc Fortin est très ouvert à l’idée», affirme Martine Desjardins. Cette impression se confirme au bureau du ministre : «Le sujet sera abordé dans la nouvelle politique culturelle […] Il s’agit toutefois d’un projet à long terme qu’il faut envisager sous l’angle global des commémorations (Fête nationale, Jour du drapeau) plutôt que sous l’angle seul de la Journée des patriotes.»
L’autre chantier se trouve dans les écoles. De l’avis de plusieurs, c’est par l’éducation que l’on parviendra à revaloriser la mémoire des patriotes. À cet égard, les nouvelles sont bonnes, dit Gilles Laporte : «La refonte du programme en 3e et 4e secondaire permet désormais aux enseignants de passer plus de temps sur ce chapitre de l’histoire.»
«Ce qui fonctionne, ajoute-t-il, c’est lorsqu’on explique que la lutte des patriotes s’inscrivait dans un contexte plus large de luttes révolutionnaires ayant cours partout dans le monde. Avoir cette conscience-là qu’il y a eu ici un mouvement libéral, ouvert sur la diversité, c’est très porteur chez les jeunes. On mise sur la solidarité nationale, tout en admettant que le Québec est une terre d’immigration ouverte sur le monde.»
Le printemps aux citoyen-nes
Les changements dans les cours d’histoire demeurent lointains et hypothétiques. Le ministère de la Culture et des Communications parle d’un projet «à long terme». De son côté, Gilles Laporte ne perçoit pour le moment «aucun signe avant-coureur de nouveau souffle» pour la Journée nationale des patriotes.
C’est pourquoi il vaut la peine de revenir à Saint-Constant, pour comprendre l’état actuel de la fête. Au-delà du stationnement, entre l’arbre et le cimetière, des bénévoles attendent patiemment à leurs kiosques, vêtus avec le capot, la tuque et la ceinture fléchée. Ces gens, ce n’est pas la souveraineté qui les motive, mais la passion de l’histoire, du folklore et du patrimoine.
C’est grâce à eux et elles que s’organisent des marches, des conférences, des visites guidées, des levées du drapeau patriote devant les mairies du Québec. «Certaines initiatives citoyennes peuvent paraître maladroites, voire dérisoires, convient Gilles Laporte, mais elles sont courageuses, faites en toute bonne foi et elles méritent d’être saluées». À l’heure actuelle, ce sont précisément ces initiatives citoyennes qui donnent vie à la fête.