Dès le lendemain de l’élection du nouveau président, une manifestation pour préparer les luttes futures prend place dans les rues de Paris, à l’appel du collectif Front social issu de plusieurs sous-groupes de syndicats. Un long cortège dense est visible sur plusieurs centaines de mètres entre la place de la République et la place de la Bastille, encerclé par une imposante présence policière.
«Bienvenue Macron, on aura ta peau», prévient une banderole portée par un groupe de jeunes du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). Arthur, 21 ans, étudiant en histoire à la Sorbonne, motive son groupe muni d’un mégaphone. Les jeunes du NPA seront «dans la rue contre toutes les régressions sociales qu’il [le nouveau président] voudra imposer, que ce soit la loi travail XXL [une loi travail amplifiée], casser les régimes de retraite ou l’assurance chômage. On s’y opposera de la façon la plus déterminée possible», assure-t-il. Selon lui, le gouvernement qui arrive au pouvoir est «un gouvernement de combat contre les jeunes et les travailleurs».
Plus loin derrière, Murielle et Valérie, toutes deux enseignantes, accompagnées de la fille de Valérie qui les suit à trottinette, sont venues se joindre aux milliers de manifestant-es. «Après avoir été contre le FN, on manifeste maintenant contre Macron», déclarent-elles. Elles déplorent que l’injonction à faire barrage au FN pendant l’entre-deux-tours ait rendu inaudible le discours contre la politique de Macron.
Si Valérie a voté blanc dimanche, Murielle avoue avoir voté pour le président élu, de peur de voir Marine Le Pen au pouvoir. «Mais j’aurais dû avoir le courage de suivre mes positions jusqu’au bout», regrette-t-elle. Elle espère que cette première manifestation n’est que le début d’un mouvement plus grand pour défendre les intérêts des travailleuses et des travailleurs.
Élu par défaut
Comme Murielle, nombreux électeurs et électrices de gauche ont voté pour le candidat d’En Marche non par conviction, mais «par devoir contre l’extrême-droite». Porté au pouvoir par une majorité dimanche (66,1 % contre 33,9 % pour Mme Le Pen), le projet libéral du nouveau président inquiète. Notamment sa vision du travail, et son refus de reconnaître la réalité de la souffrance qui en découle. «Quand il dit qu’il ne peut pas accepter le burn-out parce que ça veut dire que le travail est une souffrance, j’ai envie de lui envoyer dans la tronche mes boîtes vides d’antidépresseurs», a écrit par exemple un de ces électeurs à Libération. «Son programme profondément antisocial ne fera qu’aggraver la fracture actuelle», écrit un autre.
Selon le sondage Ipsos/Sopra Steria, 43 % des électeurs et électrices de Macron ont voté «par défaut». Le même sondage montre que 33 % ont voté pour le renouvellement qu’il représente, tandis que seulement 16 % ont voté pour son programme et 8 % pour sa personnalité. Le second tour a également été marqué par une forte abstention : 25,44 % des inscrit-es ne sont pas allés voter, un record depuis 1969. Des chiffres qui en disent long sur la réelle popularité du nouveau président.
«La victoire est claire et nette, mais n’a rien d’un triomphe. Le score d’Emmanuel Macron (66,1 %) face à Marine Le Pen, au second tour de l’élection présidentielle, dimanche 7 mai, cache plusieurs faiblesses auxquelles le nouveau président risque d’être confronté très rapidement», signe le journaliste Ilan Caro pour France info.
En outre, une majorité (61 % des Français-e-s ne souhaitent pas que son parti obtienne une majorité absolue à l’Assemblée lors des élections législatives. Les citoyen-nes souhaitent plutôt le voir gouverner avec d’autres groupes politiques. Le premier tour des élections législatives aura lieu dans cinq semaines, et toutes les configurations sont encore possibles. Un gouvernement de coalition, voire de cohabitation (la coexistence entre un chef d’État et un premier ministre issus de deux partis opposés), est même envisageable.
Le code du travail dans la cible de Macron
La loi travail (nommée «loi El Khomri» du nom de la ministre du Travail), adoptée de force par l’ancien gouvernement, a provoqué un mouvement social sans précédent durant l’année 2016. Or, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, en était l’un des principaux instigateurs, en proposant préalablement une réforme qui donnait beaucoup plus de pouvoir aux entreprises que celle finalement adoptée.
Celles et ceux qui ont milité contre la loi travail se préparent maintenant à lutter contre les ambitions du nouveau président qui pourraient aller beaucoup plus loin que celles de François Hollande. Dans la manifestation du 8 mai, les slogans vont de «À ceux qui veulent briser nos acquis sociaux la rue répond : résistance!» à «Macron, démission!».
L’ancien banquier compte faire passer une série de réformes par ordonnance pendant les vacances d’été, malgré qu’une majorité d’électeurs et électrices n’adhèrent pas à son projet. Une tactique perçue comme anti-dialogue et anti-mobilisation par plusieurs.
Jean-Claude Mailly, secrétaire du syndicat Force Ouvrière (FO) a déclaré au lendemain de l’élection qu’«il y aura problème» si le président entend bel et bien gouverner par ordonnances dès le début de son mandat. Il a appelé ses membres à ne pas partir trop loin pendant la saison estivale.
Même le président sortant François Hollande, dans un message implicite au jeune président et à l’occasion du récent dernier Conseil des ministres de son quinquennat, a prévenu qu’«oublier le dialogue social» pouvait «coûter cher».
La mobilisation qui vient
Avant même l’élection d’Emmanuel Macron, les militant-e-s aux quatre coins de la France se préparaient déjà à faire face aux luttes qui les attendent. De nombreuses manifestations ont secoué l’entre-deux-tours avec pour slogan «Ni patrie ni patron, ni Le Pen ni Macron». L’objectif : lutter contre l’extrême droite et contre le système capitaliste en même temps, les deux s’alimentant l’un l’autre (lire l’appel à un nouveau front antifasciste par le chercheur Samuel Hayat). La plus importante, celle du 1er mai, a été marquée par des affrontements violents entre manifestant-e-s et forces de l’ordre, faisant six policiers blessés, et plus d’une centaine parmi les manifestant-e-s selon un rapport de Street Medics.
Appelé par des collectifs de lycéen-ne-s et d’étudiant-e-s, plusieurs se sont rassemblés dimanche pour un grand pique-nique au parc de la Villette à Paris afin de réfléchir à la question «Et maintenant on fait quoi?». Rachid, 23 ans, qui a fait campagne pour le boycottage des élections présidentielles, était au rendez-vous. Il fait partie de ceux et celles qui, de plus en plus nombreux, refusent de collaborer au système électoral. Inquiet des lois qui pourraient être adoptées «très rapidement et sans opposition» par le nouveau gouvernement, il souhaite que la population arrive à «s’organiser à la base, dans les cités, dans les banlieues». «Il faut créer une solidarité. La majorité des gens sont en colère ou sont résignés et ne savent pas comment faire. Nous on croit qu’il faut créer des endroits où on peut se rencontrer et discuter, comme on le fait aujourd’hui autour d’une cantine populaire», explique-t-il.
Le plus gros obstacle pour les militant-e-s sera sans doute la répression policière qui a monté d’un cran depuis le mouvement social de 2016 et le décret de l’État d’urgence en vigueur depuis les attentats du 13 novembre 2015. Le rassemblement festif a pris fin abruptement lorsqu’une quantité impressionnante de policiers est arrivée pour encercler les participant-e-s… qui ont continué à jouer au ballon, à chanter des chansons, habitués à ce genre de procédure, en attendant d’être libérés.
Une victoire au goût amer
Pour les Économistes Atterrés, un collectif de chercheurs universitaires et experts en économie, ces élections présidentielles «laissent un goût amer». Le programme du nouveau président «vise à imposer les réformes que demandent les classes dirigeantes» notamment par la «réécriture du droit du travail par ordonnances», la «baisse des impôts sur le capital financier» et la «réduction des dépenses publiques», publie-t-il sur Facebook. «Les préoccupations écologiques passeront au second plan derrière la volonté d’améliorer la rentabilité des entreprises.»
Comme ils l’écrivent dans leur publication, «cette élection a mis en évidence les défauts de nos institutions bonapartistes. Avec 24 % des voix, Emmanuel Macron et la technocratie vont pouvoir engager des réformes que refusent la majorité des Français-es. La stratégie alternative — s’engager résolument dans la transition écologique et sociale, donner plus de pouvoir aux citoyens, citoyennes et aux salarié-es — n’a pas réussi à émerger politiquement avec assez d’unité et de force. Ce sont les mouvements sociaux qui devront la promouvoir dans les années à venir par la mobilisation.»