La jeune travailleuse sociale, qui vient de décrocher un contrat après une recherche acharnée des lieux de travail accessibles, pointe du doigt certains organismes communautaires. «Il y a des organismes qui reçoivent des fonds fédéraux, et qui ne sont pas accessibles aux personnes en chaise roulante. Il y a aussi encore des bâtiments qui sont construits de façon inaccessible. Je trouve que ça n’a pas de bon sens», constate-t-elle.

Il y a des organismes qui reçoivent des fonds fédéraux, et qui ne sont pas accessibles aux personnes en chaise roulante.

Elle n’est pas seule à déplorer cette situation. «Comment va-t-on financer [la mise en accessibilité], et qui va faire comprendre au grand public les barrières auxquelles on fait face?» se demande le militant montréalais Julien Gascon-Samson, qui utilise également une chaise roulante. «On ne peut pas seulement dépendre de la bonne volonté des autres.»

Une lueur d’espoir

Mme Roy et M. Gascon-Samson espèrent que ces barrières deviendront bientôt chose du passé pour eux, comme pour les 1,4 million d’autres canadien-ne-s vivant avec un handicap. Dès l’arrivée au pouvoir du gouvernement libéral, le premier ministre Justin Trudeau s’est engagé à réglementer l’accès aux services fédéraux pour des personnes vivant avec un handicap. Il a confié à Carla Qualtrough, la ministre des Sports et des Personnes handicapées, elle-même née avec une déficience visuelle, le mandat de développer une loi-cadre sur l’accessibilité.

La Constitution canadienne interdit la discrimination basée sur le handicap, mais pour beaucoup de personnes en situation de handicap, cela ne suffit plus. Si une personne estime que ses droits ont été violés, elle doit s’adresser à la Commission des Droits de la Personne de la juridiction responsable, ce qui pourrait prendre plusieurs années. «Presque aussi longtemps que saisir la Cour Suprême,» explique Julien Gascon-Samson. Par la suite, un jugement de la Cour est nécessaire pour qu’un organisme soit obligé de modifier son plan d’accessibilité.

La ministre Qualtrough elle-même considère que l’actuel système basé sur les plaintes n’est pas suffisant. «Le système des droits de la personne au fédéral est très fort, mais une personne doit avoir subi une violation de ses droits pour porter plainte!» explique la ministre. «Donc, on doit aller cas par cas au lieu de s’attaquer aux problèmes systémiques. Avec cette nouvelle loi, les gens n’auront pas besoin d’attendre que leurs droits soient violés, pour pouvoir les revendiquer.»

La législation proposée sera un projet d’envergure, touchant tous les domaines sous juridiction fédérale. «On parle du secteur bancaire, des trains et des avions qui traversent les frontières provinciales, du service civil, de l’immigration…il y a tout un spectre d’enjeux qui pourraient être adressés,» dit Mélanie Benard, avocate spécialisée en droit du handicap. De l’affichage dans les aéroports au financement des programmes d’accès à l’emploi, en passant par la place des langues des signes par rapport aux langues officielles parlées, aux lois qui interdisent aux personnes avec certains handicaps d’immigrer au Canada et les lois qui excluent les personnes handicapées de nombreux rôles dans les forces armées; tout est à repenser.

La ministre Qualtrough a passé les derniers mois sur la route, participant à 17 consultations publiques avec des personnes handicapées et des groupes communautaires, de Vancouver à Halifax. «Les consultations ont été une validation de tout ce qu’on faisait. Les personnes en situation de handicap ont toujours eu besoin de s’adapter pour vivre dans un monde qui n’était pas construit pour elles. Maintenant, il est temps pour nous de prendre notre place et d’appuyer ces personnes,» dit la ministre. «Le financement fédéral est notre levier principal…si le fédéral refuse d’investir dans des programmes ou des infrastructures inaccessibles, on pourrait changer la culture.» Elle espère que la loi sera passée au début de l’année 2018.

Les personnes en situation de handicap ont toujours eu besoin de s’adapter pour vivre dans un monde qui n’était pas construit pour elles.

Des groupes de défense des droits des personnes handicapées attendent le passage de cette loi depuis des décennies. «Il faut nous donner une loi avec des dents. Cette loi [fédérale] devrait mettre la pression sur les provinces pour appliquer ou développer leurs propres lois,» dit la militante montréalaise Laurence Parent. «L’Ontario et le Manitoba ont leurs propres lois sur l’accessibilité; des lois sont en cours de développement en Nouvelle-Écosse, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. Le Québec a sa propre législation, mais comme aucune pénalité financière n’est imposée sur les organismes qui ne sont pas en règle, des militant-es considèrent qu’elle a peu de mordant. Le transport interprovincial, les banques et la poste tombent sous la juridiction fédérale, mais il faut aussi que les provinces agissent,» dit Laurence Parent.

Barry McMahon, du Conseil des Canadiens avec déficiences, explique que l’accès à l’emploi, l’hébergement et le transport restent compliqués pour les canadien-nes avec handicap. «On a déjà pensé que la Charte des droits et des libertés était suffisante pour assurer l’accessibilité,» dit-il. «Maintenant, le fédéral a l’occasion de mettre en place un standard pour les provinces et pour tout visiteur ou entrepreneur qui collabore avec le gouvernement fédéral.»

«Si cette loi est bien faite, des murs pourraient tomber,» conclut Barry McMahon. Et idéalement, des rampes pourraient être construites.