Pas plus tard que mercredi, Denis Lessard publiait dans La Presse des propos erronés et dangereux dans un article intitulé «Plainte pour inconduite sexuelle : pas d’accusation contre Pierre Paradis». Ce genre de texte est symptomatique d’une société qui peine à rattraper le droit en matière de violences sexuelles.
Le texte de Denis Lessard indique que la plaignante «n’évoque jamais de gestes violents», comme si une agression sexuelle n’était pas en soi suffisamment violente. Or, il est bien établi qu’un agresseur n’a pas à menacer ou à agresser physiquement pour qu’il soit question d’agression sexuelle. L’absence de consentement suffit. Contrairement à l’imagerie populaire, l’écrasante majorité des agressions sexuelles sont commises non pas par un inconnu menaçant la victime d’un fusil sur la tempe, mais bien par une connaissance de la victime.
Par ailleurs, tant le texte que les sources citées banalisent les agressions sexuelles en les reléguant à de simples «inconduites». Une source anonyme affirme qu’il s’agit de «gestes déplacés, pas [d’infractions] criminelles». Il va sans dire qu’on ne qualifierait jamais un meurtre ou un enlèvement d’enfant d’inconduite ou de geste déplacé : ce procédé relève bien d’un sexisme linguistique qui banalise les violences faites aux femmes. Pourtant, un contact sexuel non voulu constitue une agression sexuelle; la pénétration ou la nudité ne sont pas nécessaires. En affirmant que les gestes décrits (taper les fesses de la victime et la forcer à toucher l’entrejambe de l’agresseur) ne constituent pas des gestes criminels, on laisse entendre que la violence sexuelle est sans importance.
Finalement, il est contraire au droit et au bon sens de s’acharner autant contre la victime. On lui reproche notamment d’avoir gardé contact avec son agresseur – ce qui est presque toujours le cas pendant qu’une femme cherche à comprendre ce qui lui est arrivé – et de ne pas avoir dénoncé les agressions sur le champ. Le droit n’exige plus des victimes qu’elles rapportent le crime immédiatement, un standard irréaliste, surtout au travail. Même si la victime avait effectivement raconté les agressions à une tierce personne, cela aurait constitué du ouï-dire, un type de preuve inadmissible pour démontrer qu’un crime a eu lieu. Ces reproches infondés permettent à l’auteur de donner l’impression qu’il n’existe aucune preuve de l’agression – l’ancien ministre n’a même pas laissé de textos incriminants, nous apprend-on! Or, le témoignage d’une victime est une preuve et peut rencontrer le standard de la preuve hors de tout doute raisonnable. Faut-il vraiment s’étonner qu’un agresseur ne viole pas devant public et caméra?
Au moyen-âge, la common law anglaise s’exprimait ainsi : «lorsqu’une vierge a été déflorée par la force, […] elle doit sur le champ, pendant que l’acte est tout récent, demander réparation en soulevant une clameur publique dans les villages voisins et montrer aux hommes honnêtes le tort qui lui a été fait, le sang et sa robe tachée de sang ainsi que la déchirure de sa robe». Le droit criminel s’est modernisé pour se purger de l’héritage sexiste d’une époque où le viol était à toutes fins pratiques légal.
Or, en insistant sur l’absence de violence physique, en niant que les gestes dénoncés constituent des agressions sexuelles et en reprochant à la victime de ne pas avoir dénoncé l’agression immédiatement, le texte de Denis Lessard nous ramène à ce standard moyenâgeux de la clameur publique et de la robe ensanglantée. Il n’est malheureusement pas le seul. Quotidiennement, des articles juridiquement erronés renforcent les mythes sur le viol, contribuant ainsi à l’impunité des agresseurs et au faible taux de dénonciation des crimes sexuels.
Il est plus que temps que les médias prennent leurs responsabilités et se rangent, si ce n’est du bon côté de l’histoire, au moins du bon côté du droit.