Je n’aurais jamais imaginé abandonner les combats tant que la guerre n’était pas terminée. C’était la crise diplomatico-familiale quand ma mère me répétait de passer à table pour le repas. La guerre, c’est du sérieux. On ne l’interrompt pas au milieu des combats.
Protéger les civils ou les tuer?
Le rapport sur l’intervention militaire en Libye du Comité des affaires étrangères de la Chambre des communes de Londres a été rendu public, il y a peu de temps. Quelle intervention en Lybie? Celle à laquelle l’armée canadienne a participé, en 2011, avec sept avions militaires qui ont effectué 10% des «sorties aériennes» de l’OTAN, au rythme de six par jour. La Libye était alors dirigée par Mouammar Kadhafi, un dictateur parfois considéré comme un terroriste international, d’autres fois comme un ami par les chefs d’État des régimes d’Occident. Le président français Nicolas Sarkozy l’avait reçu à Paris en 2007, avant de vouloir sa perte quelques années plus tard.
Brutal envers les dissidents, Kadhafi a aidé son pays à se classer en première position des pays africains en matière de santé, d’éducation et des revenus personnels. Cela n’a pas empêché le vent du Printemps arabe de souffler sur le pays. En quelques mois, Kadhafi a perdu le contrôle de la moitié pays, passée sous l’emprise de rebelles armés.
Le 19 mars 2011, l’OTAN a lancé une guerre contre les troupes de Kadhafi. Le premier ministre britannique David Cameron, l’un des initiateurs de cette guerre, avait promis à la Chambre des communes que l’objectif était de protéger les populations civiles et non de renverser Kadhafi. C’est pourtant ce dernier objectif qui a été retenu quelques semaines plus tard, avec l’accord de Barak Obama et de Nicolas Sarkozy. L’intervention militaire a duré de longs mois.
Il est difficile de connaître le nombre exact de civils tués en Libye uniquement par les bombardements de l’OTAN. Le chiffre 1000 a circulé. L’équivalent en quelques mois de plus de dix attaques contre le Bataclan à Paris, en 2015. Bravo, l’OTAN!
Guerres à l’aveugle
Le rapport de la Chambre des communes rappelle que le choix de se lancer dans cette aventure meurtrière ne s’appuyait pas sur des informations et des renseignements exacts. Le risque que représentaient les troupes de Kadhafi pour les civils a été exagéré et la force des rebelles islamistes, sous-estimée.
Rien n’était prévu pour l’après-Kadhafi. Résultat : un effondrement politique et social suivi d’une crise économique, l’élargissement de la guerre civile, une catastrophe humanitaire, une vague migratoire. Le pays a chuté de la 53e à la 94e position mondiale dans le classement de l’indice de développement humain. Enfin, des armes des troupes vaincues ont été récupérées par des islamistes en Algérie, en Égypte, au Mali, en Tunisie et par les milices de Boko Haram. Bravo, l’OTAN!
D’autres options que la guerre n’avaient même pas été envisagées pour chasser le dictateur du pouvoir, à savoir des sanctions et des négociations. Pourtant, quelques semaines avant l’attaque, l’ancien premier ministre britannique Tony Blair s’entretenait au téléphone avec Kadhafi pour discuter d’une possible abdication et d’un exil au Venezuela.
Bref, une fois de plus, les gouvernements occidentaux n’avaient qu’une idée en tête, une véritable obsession : la guerre, la guerre, la guerre. Mais une guerre menée à l’aveugle, lancée sans penser comment elle devrait se terminer, ni quels seraient ses effets à moyen et long termes sur le pays et la région. Bref, les chefs d’État sont bien moins responsables que les petits garçons, quand vient le temps de faire la guerre.
C’est ce que nous apprennent les guerres menées par l’Occident depuis presque deux générations (sans doute bien plus longtemps). L’Occident a fait la guerre contre l’Irak en 1990-1991, sous prétexte que Saddam Hussein avait envahi le Koweït. Cette guerre finie, les aviations des États-Unis et de Grande-Bretagne ont bombardé l’Irak toutes les semaines. L’Occident a envahi l’Afghanistan en 2001 et l’a occupé une dizaine d’années avant de se retirer sans que rien n’y soit réglé. La guerre civile fait toujours rage. Entre-temps, l’Occident a encore fait la guerre à l’Irak, en 2003, cette fois sous prétexte d’y chercher des armes de destruction massive qui n’existaient pas. Et puis voilà la Libye, puis maintenant la Syrie et encore l’Irak, et le Yémen.
On aurait pu espérer que les dirigeants occidentaux soient plus prudents, après tant de guerres bâclées, si l’on peut dire, car toujours lancées sur des coups de tête. Mais ces vampires qui vivent du sang des peuples ne semblent pas près de s’arrêter. C’est qu’ils y gagnent souvent à court terme, côté popularité dans les sondages, sans oublier qu’il s’agit là d’une manière de subventionner les compagnies nationales d’armement, de consolider des alliances, de contrôler les flux pétroliers, etc.
Ces vampires qui nous gouvernent vont donc sans doute continuer à lancer des guerres qui ne règlent rien, qui enveniment la situation, qui ravagent des pays entiers et provoquent des désastres socio-économiques. Des guerres qui laissent sans vie, estropiés ou orphelins des centaines de milliers d’êtres humains et qui creusent donc les fossés entre les peuples.
En moins de trente ans, soit une génération, c’est au moins sept guerres que l’Occident a menées contre des pays à majorité musulmane (sans compter les attaques de drones armés, un peu partout). L’Occident ne mène pas des attaques «terroristes» à la mitraillette, au camion ou au couteau. Non. L’Occident attaque avec de véritables armées qui sèment la mort et la dévastation à grande échèle. À quoi bon alors se vanter d’avoir ici des valeurs universelles et la démocratie, si nos armées massacrent à l’aveugle là-bas? Il faudrait aussi se demander : qui terrorise qui? Et quelle civilisation menace les autres? Et, surtout, quelle civilisation est fondamentalement violente et guerrière?