C’est vous dire le choc, quand ma sœur a accepté de joindre l’armée canadienne à l’invitation d’agents recruteurs, en mission à l’Université de Montréal. Depuis, ma sœur a été «déployée» en ex-Yougoslavie et en Afghanistan. Elle est aujourd’hui quelque part au Moyen Orient.

J’ai donc rigolé quand j’ai lu qu’un Centre de la petite enfance (CPE) en Estrie proposait de «[c]réer un environnement propice à la construction de l’identité masculine», ce qui signifie d’«[a]ccueillir de manière positive les jeux de guerre et les jeux de bataille».

Il n’y a pourtant rien de drôle.

Toujours les mêmes clichés

Déjà en 2003, l’école secondaire La Ruche, à Magog, avait invité des policiers et des soldats pour une journée spéciale pour garçons (les filles se baladaient en ville). Il y a quelques semaines, la directrice de l’école primaire du Boisé, de Sept-Iles, déclarait qu’il faut que «les garçons puissent prendre la place comme de jeunes chiots qui aiment se bousculer, qui aiment se chicaner». Du secondaire au primaire, on passe à une CPE en Estrie. Le jovialiste ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a déclaré : «Je suis très à l’aise avec cette vérité qu’il faut laisser les garçons être des garçons […] il y a une réalité, il faut travailler différemment avec nos garçons et à leur réussite, et il ne faut pas les empêcher d’être ce qu’ils sont».

Cette vision stéréotypée se fonde, selon la mode du moment, sur les comportements des primates ou des chiots, le mythe de l’âge des cavernes, les hormones, le cerveau ou l’anatomie génitale. Les conclusions justifient toujours les mêmes stéréotypes sexistes, indépendamment de la variable retenue. Qu’importe, tout cela nous pousserait à l’action, à l’agressivité, à la compétition, à la conquête et… à la réussite scolaire. Pourtant, des études démontrent que l’identité stéréotypée masculine est un facteur de risque scolaire. Penser que «la lecture, c’est pour les filles», et que les vrais gars préfèrent se battre, ça ne semble pas aider à l’école.

Pourtant, des études démontrent que l’identité stéréotypée masculine est un facteur de risque scolaire.

Aider sérieusement les garçons

Le taux moyen provincial de décrochage est de 23% pour les garçons et 14% pour les filles, mais les résultats des garçons se sont améliorés de manière spectaculaire en 30 ans. Le taux était alors de 43%. Or, la variable la plus importante pour expliquer le décrochage n’est pas le sexe, mais les facteurs socioéconomiques. Sur la Côte Nord, le taux de décrochage des garçons est passé de 35% en 2001-2002 à 20% en 2008-2009. Dans le Nord-du-Québec, ce taux est de 66%! Ces très fortes variations n’ont rien à voir avec le sexe, les primates ou les hormones. Des épées en plastique n’y changeront rien.

Or, la variable la plus importante pour expliquer le décrochage n’est pas le sexe, mais les facteurs socioéconomiques.

Si une guerre a un impact sur la réussite scolaire des enfants, c’est la guerre économique. L’écart entre classes sociales est bien plus important qu’entre les sexes. Les garçons des milieux riches ont un taux de décrochage de 16%, ceux des milieux pauvres de 36%, soit 20 points d’écart. À noter que les filles des milieux pauvres décrochent plus que les garçons des milieux riches (écart de 10 points).

Enfin, les garçons décrochent deux fois plus que les filles pour se consacrer à un travail rémunéré, en particulier dans des métiers bien payés identifiés à la masculinité stéréotypée, comme la construction. Encore une fois, l’identité masculine stéréotypée est un facteur de risque scolaire…

Plutôt que d’encourager «les garçons [à] être des garçons» par des jeux de guerre, le ministre de l’Éducation devrait s’excuser publiquement pour des années de coupes de dizaines de millions de dollars dans les écoles. S’il prend au sérieux les difficultés scolaires, il doit investir massivement dans l’école, assurer un budget substantiel pérenne, et demander à son premier ministre de réduire les écarts de richesse au pays et entre les écoles (y compris privées et publiques). C’est évidemment plus engageant auprès de nos jeunes et de leurs familles que de prétendre que se chamailler est une solution pédagogique.

Plutôt que d’encourager «les garçons [à] être des garçons» par des jeux de guerre, le ministre de l’Éducation devrait s’excuser publiquement pour des années de coupes de dizaines de millions de dollars dans les écoles.

Jouer sérieusement à la guerre

Tout ça alors que Malala Yousafzaim, prix Nobel de la paix de 19 ans, s’adressait à la Chambre des communes à Ottawa. À la sortie de son école au Pakistan, elle avait été criblée de balles par des Talibans, qui prétendent savoir ce que sont les «vrais hommes» et les «vraies femmes». D’ailleurs, les jeux de guerre dans les CPE et les écoles d’ici sont-ils pensés en fonction des enfants ayant migré de pays en guerre?

Ces enfants pourraient expliquer au «vrais p’tits gars» du Québec que l’armée canadienne a participé depuis près de 30 ans, de près ou de loin, à des guerres dans une demi-douzaine de pays : Irak (1990-1991), Somalie (1992), Rwanda (1994), Afghanistan (2001-aujourd’hui), Lybie (2011), Syrie et encore Irak (aujourd’hui). Les troupes canadiennes n’ont jamais vraiment réglé quoique ce soit à long terme dans ces pays, où les enfants sont victimes de bombardements aériens, d’attaques chimiques, de mines qui explosent sur le chemin de l’école (quand elle existe encore), de torture et de viols (y compris par des Casques bleu jamais traduits en justice). Les enfants se retrouvent dans des camps de réfugiés, souvent orphelins, puis sur des barques qui chavirent en pleine mer, au milieu de la nuit.

C’est ainsi que le petit Syrien Aylan Kurdi s’est échoué sur une plage de la Méditerranée. Il ne jouait pas à la guerre. Mais c’était un vrai garçon. D’ailleurs, il est mort pour de vrai.