Mise en détention le 30 mars, le temps que la justice sud-coréenne complète son enquête à son sujet, Park Geun-hye devra finalement répondre de ses actes. Le rocambolesque scandale politique ayant déjà fait tomber la meilleure amie de l’ex-présidente, Choi Soon-sil, et l’héritier de Samsung, Lee Jae-Yong, n’a donc pas fini de faire couler de l’encre.
Pour bien comprendre la chute de la présidente Park, il faut commencer à ses débuts à la Maison Bleue, palais présidentiel sud-coréen. C’était en 1961. La future présidente avait neuf ans et son père, le général de l’armée sud-coréenne Park Chung-hee, venait de prendre le pouvoir de force via un coup d’État.
Dans les 18 années séparant sa prise de pouvoir de son assassinat, en 1979, le dictateur Park a jeté les bases de la Corée du Sud du futur. Les bases d’un miracle économique moderne qui ferait d’un des pays les plus pauvres de la planète après la guerre de Corée, au début des années 60, une puissance économique mondiale 35 ans plus tard.
En Corée du Sud, on réfère à cette période comme le «miracle du fleuve Han», du nom du cours d’eau traversant Séoul. En campagne électorale en vue du scrutin présidentiel de 2012, Park Geun-hye ne se gênait pas pour capitaliser sur l’héritage du paternel décédé, annonçant «le 2e miracle du fleuve Han».
Le «2e miracle» a plutôt viré au cauchemar.
Chamanisme et pots-de-vin
La descente aux enfers de Park Geun-hye est liée à son obscure meilleure amie, confidente et guide spirituelle, Choi Soon-sil. En novembre, la justice sud-coréenne a formellement accusé cette dernière d’avoir utilisé sa position privilégiée auprès de la présidente pour exiger de diverses grandes entreprises des versements totalisant près de 100 M$ à des fondations qu’elle contrôlait.
Première, mais pas la dernière, à tomber dans ce scandale, Choi a été décrite par les partis d’opposition comme une «Raspoutine sud-coréenne» et une prétendue chamane sur qui la présidente Park s’appuyait pour prendre les décisions importantes.
Même si elle n’avait pas de rôle officiel dans le gouvernement, Choi Soon-sil a bel et bien été consultée sur divers enjeux, notamment la rédaction des discours présidentiels, a éventuellement reconnu la présidente Park Geun-hye dans un message à la nation, cet automne, espérant calmer le crescendo de la crise s’abattant sur son administration.
Le tout sans succès, la cote de popularité de la présidente glissant à un minuscule 4 %, fin novembre, alors que des millions de Sud-Coréen-nrs prenaient les rues d’assaut pour exiger son départ.
Au moment de valider la décision de l’Assemblée nationale de destituer la présidente, le 9 mars dernier, la Cour constitutionnelle de la Corée du Sud a jugé que, bien qu’elle ne pouvait prouver l’implication de Park Geun-hye elle-même dans le trafic d’influence orchestrée par son amie, la chef d’État a à tout le moins trahi son peuple en laissant Choi Soon-il s’ingérer dans les affaires de l’État.
L’enquête entamée par la suite a cependant mené à des accusations plus graves.
Victoire pour qui?
Si quelques milliers de personnes continuent de manifester chaque semaine dans le centre-ville de Séoul en soutien à l’ex-présidente Park Geun-hye, elles ne représentent qu’une infime minorité de la population sud-coréenne. La vaste majorité se réjouit de la destitution du mois de mars et des procédures judiciaires entamées depuis. En questionnant des Sud-Coréen-es de diverses régions du pays, ces dernières semaines, les réponses ont abondé dans ce sens.
«C’est une preuve que la démocratie sud-coréenne fonctionne. Avant, le pouvoir était aux dirigeants. Maintenant, le pouvoir est vraiment au peuple», se réjouit Sun-soo, un homme retraité de Séoul.
«La présidente Park est simplement une mauvaise personne», explique une étudiante croisée dans un café de Gangneung.
«Park Geun-hye est démoniaque. Elle a grandi dans l’opulence à la Maison Bleue. Elle est complètement déconnectée du peuple», assure Joohoon, un travailleur social dans la mi-trentaine originaire de Gwangju.
Difficile de nier que la démocratie sud-coréenne, qui souffle ses 30 bougies cette année, fonctionne efficacement. Mais en tant que première femme élue présidente de la Corée du Sud, Park Geun-hye a-t-elle emporté avec elle les espoirs des femmes sud-coréennes d’accéder à des positions importantes en politique?
«La recherche académique démontre que les gens ont un biais implicite envers les femmes. Ils ont de la difficulté à faire un lien entre femmes et leadership», explique Hye Young You, assistante-professeure et chercheuse en science politique à l’Université Vanderbilt. «C’est pourquoi nous avons moins de femmes en position de leadership. C’est particulièrement vrai dans des pays comme la Corée du Sud, où le fossé entre les deux genres est très imposant. En politique, mais encore plus dans le milieu des affaires», poursuit la spécialiste de la politique sud-coréenne.
La chercheuse note toutefois que l’élection de Park Geun-hye, en 2013, ne résultait pas d’une poussée féministe et un désir d’élire une femme. «Elle a été élue largement en raison de son père. La génération plus âgée est encore très nostalgique du règne du dictateur Park. Or, il s’est avéré qu’elle n’était pas qualifiée.»
Avant même le scandale de cet automne, la cote de popularité de Park Geun-hye avait déjà commencé à dégringoler en raison d’un drame national: le naufrage du transbordeur Sewol. Le bateau a sombré dans les eaux de l’archipel de Jindo, au sud-ouest de la péninsule, en avril 2014, avec plusieurs centaines d’étudiants au secondaire en sortie scolaire à son bord. Ce jour-là, la présidente a pris plusieurs heures avant de réagir publiquement à la tragique disparition en mer de 304 des 476 passagers du Sewol.
Park Geun-hye ayant toujours refusé de divulguer ce qu’elle faisait durant ses longues heures, des rumeurs persistantes ont couru au sujet d’une opération pour une chirurgie plastique, un rendez-vous pour se faire teindre les cheveux ou encore une relation avec un amant.
«Cela a eu une connotation négative pour la perception des gens envers le leadership féminin. À long terme, je pense que les femmes politiciennes auront plus de difficultés à accéder à des postes importants en politique coréenne.»
En tout et pour tout, l’assistante-professeure à l’Université Vanderbilt estime qu’en politique, les femmes coréennes paieront le prix de la présidence bâclée de Park Geun-hye «pour au moins 10 ans».
«Beaucoup de personnes plus âgées qui avaient voté pour elle vont conclure qu’une femme ne peut pas être présidente. C’est différent pour les plus jeunes. Pour eux, ce n’est pas un problème lié au genre, c’est un problème lié à Park elle-même. Mais pour les plus vieux, le biais était déjà plus fort envers les femmes et le scandale renforce cela. Tant et aussi longtemps que cette génération plus âgée va former une partie de l’électorat, ce sera très difficile d’élire à nouveau une femme présidente en Corée du Sud.»
Les femmes plus faciles à destituer?
Après Dilma Rousseff au Brésil, en avril dernier, Park Geun-hye est devenue la deuxième présidente destituée dans un pays du G20 en moins d’un an.
En mars 2016, peu avant la destitution de Dilma Rousseff, ONU Femmes dénonçait, dans un communiqué, le fait que le sexe de la présidente alimentait le mouvement de contestation de plus en plus violent à son égard.
«En tant que défenseuse des droits des femmes et des filles à travers le monde, ONU Femmes condamne toutes les formes de violence envers les femmes, incluant la violence politique de nature sexiste à l’endroit de la présidente Dilma Rousseff», affirmait alors la présidente d’ONU Femmes au Brésil, Nadine Gasman.
Dans les manifestations en appui à Dilma Rousseff, à Rio, peu avant sa destitution, l’idée que le sexe de la présidente ait accéléré sa chute était également véhiculée par plusieurs manifestants.
Appelée à revenir sur sa destitution dans une entrevue accordée au Financial Times, plus de six mois après sa destitution, Rousseff en a rajouté, cet automne. «Lorsque vous êtes une femme en situation d’autorité, ils disent que vous êtes dure, sèche et insensible, alors qu’un homme dans la même position est fort, ferme et charmant.»
La destitution de Park Geun-hye vient-elle appuyer la notion qu’une femme est plus facile à destituer qu’un homme en temps de crise? Après tout, les prédécesseurs de Park Geun-hye et Dilma Rousseff à la présidence avaient eux-mêmes été impliqués dans des scandales importants de corruption, sans qu’il y ait destitution.
En 2005, au Brésil, un député révélait que le Parti des Travailleurs de Lula da Silva versait des montants mensuels à plusieurs députés en échange de votes favorables sur certains projets de loi. Le chef de cabinet de Lula de l’époque et une dizaine d’autres politiciens ont fini en prison. Lula a été réélu pour un deuxième mandat, en 2006 et s’est retiré de la vie politique avec un taux de popularité de 80 % quatre ans plus tard.
En Corée du Sud, les scandales sont généralement révélés peu avant la fin des mandats des présidents, rendant une destitution en bonne et due forme difficile. N’empêche, les prédécesseurs de Park Geun-hye à la présidence, Lee Myung Bak et Roh Moo-hyun, ont tous deux vu un membre de leur famille aboutir en prison après avoir accepté des pots-de-vin en raison de sa proximité du pouvoir. Roh Moo-hyun s’est d’ailleurs enlevé la vie, un an après la fin de sa présidence, alors que planaient sur lui de sérieuses accusations de corruption.
La chercheuse Hye Young You croit néanmoins qu’un homme dans la même position que Park Geun-hye, en Corée du Sud, aurait éventuellement connu le même sort.
«Considérant le biais implicite envers les femmes, c’est possible qu’elle ait été un peu plus facile à destituer qu’un homme. Mais, comme nous n’avons pas de cas comparables récents impliquant un homme en Corée du Sud, c’est difficile de conclure quoi que ce soit. Il y a eu des scandales politiques dans le passé, mais jamais aussi gros durant un mandat.»