Mon péché ne m’empêche pas d’être attentif à ce que les médias rapportent des partis politiques et des élections. C’est le plus souvent affligeant, mais aussi très divertissant, voire hilarant. Prenons, par exemple, le tir de barrage en réaction à l’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois à QS.

Alain Dubuc, chroniqueur à La Presse, y est allé d’un texte intitulé «Avez-vous lu le programme?». Il expliquait que QS est «attaché aux valeurs démocratiques» et n’est donc «pas communiste, mais il est profondément anticapitaliste». Ah bon!? Il a aussi comparé Gabriel Nadeau-Dubois à Hugo Chavez, ancien militaire et président autoritaire du Venezuela. Dans une chronique publiée par le Journal de Montréal, Denise Bombardier se vantait elle aussi d’avoir lu le programme de QS. Elle associait tout de même QS à Castro, Mao et Staline. Et pourquoi pas Hitler, Dracula, Sauron, ou simplement le DIABLE?

Denise Bombardier se vantait elle aussi d’avoir lu le programme de QS. Elle associait tout de même QS à Castro, Mao et Staline. Et pourquoi pas Hitler, Dracula, Sauron, ou simplement le DIABLE?

Si l’on suit cette logique tordue, Jean Lessage et René Lévesque étaient des clones de Staline, puisqu’ils ont nationalisé l’électricité!

Cette rhétorique permet d’éviter de considérer l’essentiel : QS ne propose pas d’abolir le capitalisme. En 2012, le manifeste de la CLASSE, intitulé «Nous sommes avenir», proposait «une démocratie directe sollicitée à chaque instant. C’est celle d’un Nous qui s’exprime dans les assemblées: à l’école, au travail et dans les quartiers.» Voilà un projet digne du communisme non pas stalinien, mais libertaire, car reprenant le modèle des conseils ouvriers et des communes autogérées. Le passé est avenir. Mais QS n’est pas la CLASSE, même si les deux organisations s’échangent leur porte-parole vedette.

Et la démocratie?

La soirée de nomination de Gabriel Nadeau-Dubois comme candidat de Gouin se déroulait à trois coins de rue de chez moi, à l’École Père-Marquette. J’ai décidé d’y assister.

À l’entrée de l’amphithéâtre, des militantes et militants cherchaient à faire signer des cartes de membre et encourageaient à se porter volontaire pour l’élection partielle de juin, pour poser des affiches, distribuer des dépliants, faire du pointage téléphonique, effectuer de l’entrée de données. Je n’ai rien signé et je n’ai pas non plus pris le fanion aux couleurs de QS qu’on distribuait à l’entrée. Quelle tâche militante curieuse, d’ailleurs…

Dans la foule, j’ai reconnu des visages connus d’ex-grévistes de 2012 – y compris plusieurs qui ont joué des rôles importants à la CLASSE comme négociateurs, attachés de presse, conseillers de l’ombre… Autant de personnes intelligentes, aguerries et très efficaces politiquement. Gabriel Nadeau-Dubois n’arrive pas seul : il s’installe avec sa cour et ses troupes.

Je suis finalement entré dans l’amphithéâtre bondé, mais je n’ai volé de place à personne ; j’étais coincé derrière le technicien de son, dans le fin fond d’une salle surchauffée.

La foule impatiente a scandé «Québec solidaire! Québec solidaire!» et agité les fanions. Le comédien Emmanuel Bilodeau est monté sur scène, pour animer la soirée. Il nous a confié certaines réflexions : «C’est correct de chialer contre le système […]. Mais il faut mettre l’épaule à la roue. Votez pour qui vous voulez, mais de grâce votez!» Quelqu’un lui avait-il dit qu’un abstentionniste s’était glissé dans la salle? Il a aussi ouvert son cœur : «J’ai envie plus que jamais de démocratie!» Moi aussi, mais j’ai senti que ce n’est pas ce qu’on nous proposait pour cette soirée…

Quelqu’un lui avait-il dit qu’un abstentionniste s’était glissé dans la salle?

Les discours se sont succédé en attendant la vedette de la soirée. L’ex-députée de Gouin, Françoise David, a bien souligné le travail de ceux – et surtout de celles – qui, depuis des décennies, luttent dans la circonscription contre la pauvreté et pour la dignité et l’inclusion de tous et toutes.

La députée Manon Massé a annoncé que les membres avaient choisi Gabriel Nadeau-Dubois comme candidat pour l’élection de juin. Pas surprenant : il n’y avait aucune concurrence. Applaudissements à tout rompre ; agitation de fanions.

Le président de QS, Andrés Fontecilla, a expliqué que Gabriel Nadeau-Dubois avait été «investi» pour porter notre parole. Le président s’est même permis une référence au verbe ancien «oindre», qui désigne un sacrement, soit l’action d’une personnalité religieuse —prophète, cardinal — qui touche un roi avec de la sainte huile. Il s’agissait donc bel et bien du couronnement, du sacre de Gabriel-Nadeau Dubois.

Enfin, le roi, le messie est monté sur scène. Applaudissements ; agitation de fanions. Son verbe s’est fait entendre. Applaudissements ; agitation de fanions.

Certes, QS est plus démocratique à l’interne que les autres partis, mais quel sens donner à cette mise en scène?

Je repensais à un débat auquel j’avais assisté, à Paris, sur les liens et les oppositions entre le marxisme électoraliste et l’anarchisme. C’était à l’occasion de la sortie du livre Affinités révolutionnaires : nos étoiles rouges et noires (Olivier Besancenot et Michael Löwy, (Mille et une nuits, 2011). Un militant expliquait avoir été anarchiste avant de rejoindre le Nouveau parti anticapitaliste (NPA), par espoir d’influencer les décisions de l’État et de ne plus se cantonner dans la contestation. Or, il s’était senti aliéné au NPA, constatant que toute l’énergie militante était canalisée en fonction de calculs électoraux – y compris les calendriers de mobilisation, les tâches à accomplir, etc. Il est revenu chez les anarchistes.

Quand le verbe du roi s’est tu, j’ai quitté les lieux comme tout le monde et j’ai longé le parc Père-Marquette. S’y tenait en 2012 l’assemblée populaire autonome du quartier Rosemont-La Petite-Patrie. L’espace était maintenant désert et recouvert d’une neige sale. Que ce printemps me semble loin.