Je souhaite comme plusieurs un renouvellement de la gauche politique, et je suis consciente qu’au-delà du projet d’élaborer des propositions concrètes pour la population, un des chantiers centraux demeure celui de l’occupation de l’espace médiatique. Il y a trop longtemps que des personnages politiques charismatiques ont occupé les ondes – et aujourd’hui les réseaux sociaux – de manière à susciter de l’enthousiasme pour un projet social cohérent, intelligent, foncièrement démocratique et ambitieux.

J’ai pourtant senti toute la journée un malaise sur lequel j’arrive difficilement à mettre le doigt. Bien sûr, il y a d’abord ce fait dérangeant : encore une fois, il n’y a qu’à un homme qu’on peut faire porter le chapeau de messie politique. Je suis bien sûre déçue – au lendemain du 8 mars – de devoir faire face au constat inévitable du travail encore à faire quant à l’état de la situation des femmes au Québec, autant en ce qui concerne la façon dont on les perçoit que la façon dont elles se perçoivent elles-mêmes. Je doute très fortement que les qualités qui font de Gabriel Nadeau-Dubois une personnalité publique aujourd’hui pourraient se transposer aisément à une femme.

Bien sûr, il y a d’abord ce fait dérangeant : encore une fois, il n’y a qu’à un homme qu’on peut faire porter le chapeau de messie politique.

Toutefois, au-delà de cette constatation, j’ai aussi un malaise plus diffus quant à ce que j’espérerais voir naître d’une vie politique réellement émancipatrice.

L’ayant porté plusieurs heures durant la journée, après avoir fait défiler mon fil Facebook beaucoup trop de fois, j’ai commencé à comprendre mon inconfort alors que j’étais au volant de ma voiture. J’écoutais une balado des Chemins de la philosophie de France Culture qui, cette semaine, étaient consacrés au cinéaste américain Frank Capra. Je me suis plongée avec délice dans l’analyse des subtilités de ses scénarios qui, s’ils pouvaient paraître manichéens, portaient une réflexion profonde sur le sens de la vie en société et sur la moralité. Les personnages principaux des films de Capra représentaient toujours l’homme honnête au cœur pur, qui finit par l’emporter sur les hommes cupides et puissants. Et ce héros au cœur d’or gagne grâce à l’appui du peuple qui, lorsqu’il a accès à sa sincérité, se laisse inspirer par ses prises de position.

On se désole aujourd’hui du cynisme de la population et on invoque à tous vents une «crise de confiance» dans les institutions. En parallèle, on observe dans la culture populaire, depuis au moins une dizaine d’années, une domination très claire des fictions mettant en scène des personnages principaux antipathiques, voire immoraux (House of Cards en tête de liste). Il relèverait du débat entre la poule et l’œuf que de déterminer celui des deux qui a fait naître l’autre, mais les deux phénomènes me semblent dériver du revirement post-religieux qui tend à faire de l’éthique personnelle un concept ringard et dépassé. Il y a pourtant certainement quelque chose à dire sur l’importance de l’éthique individuelle, sans nier pour autant les déterminismes sociaux. Dans l’action publique, le sens éthique ou moral est un contrepoids indispensable à l’exercice du pouvoir. Toutes les précautions institutionnelles visant à établir une balance des pouvoirs ne peuvent se substituer à l’engagement des personnes détenant une forme de pouvoir, quel qui soit, d’agir non seulement de manière juste, mais bonne.

C’est une des raisons pour lesquelles Barack Obama a eu l’influence qu’on lui a connue : il incarnait pour une grande majorité d’Américains (et de populations du monde entier) ce sens moral profond. Ce faisant, il a construit une relation de confiance forte avec la population américaine, comme le démontre entre autres sa popularité en fin de mandat. À écouter ses discours, on a pu penser qu’il était dans l’erreur, que son optimisme était naïf. À faire le bilan de sa présidence, on peut critiquer maintes décisions ou postures d’immobilisme. Je ne suis pas particulièrement fanatique de ses accomplissements politiques, mais je dois avouer que je suis encore et toujours entièrement séduite par sa personnalité publique. En étant de bonne foi, il est difficile de douter de sa sincérité, de sa volonté absolument pure de travailler au bien de sa communauté et de son pays, de son humanisme profond. En l’écoutant, on sent qu’on a devant nous un homme aimant et d’une intelligence à la fois pragmatique, théorique, mais surtout émotionnelle. La popularité de Bernie Sanders et d’Elizabeth Warren tiennent du même phénomène. Si le Québec est en mal de quelque chose, c’est probablement de figures comme celles-là.

La popularité de Bernie Sanders et d’Elizabeth Warren tiennent du même phénomène. Si le Québec est en mal de quelque chose, c’est probablement de figures comme celles-là.

Je crois que plusieurs personnes voient en Gabriel Nadeau-Dubois cette figure pour le Québec. J’aimerais sincèrement adhérer sans réserve à ce point de vue.

Cependant – et je crois qu’il s’agit d’un point majeur sur lequel je ne suis pas la seule à accrocher –, malgré ses cinq années dans la mire médiatique, je réalise que je ne suis pas bien certaine encore de saisir la nature la personne qui se présente devant nous aujourd’hui. Bien que j’admire le contenu de ce qu’il livre avec intelligence et passion, je me frappe à un mur quand je tente d’anticiper ce qui s’en vient. Même en ayant participé à certains événements en sa présence, j’ai toujours l’impression d’avoir à faire à une image d’abord et avant tout médiatique, avec laquelle je ne me sens pas toujours capable de connecter. Je regarde Manon Massé parler (ou Françoise David), et je sens qu’elle partage mes sensibilités, qu’elle ressent au plus profond d’elle de l’empathie pour les autres et de l’indignation pour l’injustice. À travers des discours articulés, argumentés, étayés, on comprend d’où vient la motivation d’agir. Je me garderai bien d’essayer de deviner ce qui se passe sincèrement au fond de son cœur – peut-être est-il mu par le même humanisme –, mais chose certaine, je ne ressens pas la même chose en écoutant Gabriel Nadeau-Dubois. Je me sens, à tort ou à raison, méfiante.

On pourrait penser qu’il s’agit d’un commentaire purement personnel, fondé sur des sensibleries féminines, mais je crois que si l’actualité politique nous a appris une chose, c’est que les émotions, c’est au fondement de la politique.

Peut-être bien que l’expérience de Faut qu’on se parle aura changé la donne, peut-être que l’image se transformera et que l’on aura accès à une différente partie de sa personnalité publique, dans les prochains mois. Je le souhaite sincèrement. Mais j’ai du mal à m’extirper de l’inquiétude de ne voir se construire qu’un profil de politicien sur un modèle usé. Le danger est d’autant plus grand en raison de son jeune âge, et je serais bien triste de n’assister qu’au début de la carrière d’un autre politicien de carrière. Cela dit, son discours articulé et toujours pertinent mérite pleinement sa place dans la joute politique québécoise. Et mes réticences ne m’empêchent pas d’avoir envie d’embarquer dans le projet qu’il porte.