Manon Massé annonçait dimanche qu’elle briguera le poste de porte-parole de Québec solidaire, une décision qui ne surprendra personne. Après tout, médiatisée jusqu’au bout des ongles, elle n’aura jamais été aussi visible au petit écran québécois, visible et carrément incontournable sur une brochette d’enjeux qui s’allonge.
Gerry Sklavounos l’a appris à ses dépens. De toutes les réactions politiques à ses ratés, c’est le coup du «mononcle cochon», tellement franc, que l’on retient. La prise de parole de Manon Massé comportait son lot de risques politiques, mais nous ne sommes plus dans les années 90, et avec la franchise qu’on lui connaît, elle a su décrire une situation qu’à peu près toutes les femmes ont déjà vécue.
À Paris, pas encore tout à fait à l’aise dans ses souliers de parlementaire – les députés solidaires, à peine conjugués aux pluriel, n’ont guère le luxe de se donner une période d’adaptation – Manon se démenait pour faire entendre une note dissonante au pow-wow des formules creuses de la COP21. Pas facile de se faire entendre quand on vient casser le party des premiers ministres québécois et canadien. Encore là, on lui a donné raison un an plus tard.
D’autres se souviendront longtemps du geste posé par la députation solidaire – une idée de Manon – au moment de voter contre le projet de réforme de l’aide sociale, ignominie du gouvernement Couillard. Tourner le dos à la réforme leur aura valu une réprimande du Président de l’Assemblée nationale et du reste de l’opposition, visiblement plus scandalisée par cette petite entorse au décorum que par les graves implications du projet de loi. Ainsi que l’admiration d’à peu près tous ceux et celles qui ne sont pas abonnés au canal parlementaire.
Du wedge politics accidentel, Manon, elle en fait tout le temps.
En novembre, elle passait à Tout le monde en parle et le Québec redécouvrait Manon Massé. Une lune de miel qui n’en finit plus de durer, couronnée par cette victoire éclatante face au redécoupage de la carte électorale.
Manon Massé est une solidaire de la première heure. Elle était l’une des figures en vue du mouvement Option Citoyenne, dont le mariage avec l’Union des forces progressistes (UFP) a accouché de Québec solidaire. Même si elle a côtoyé Françoise David dans le mouvement féministe, les deux femmes ont des trajectoires différentes, jusqu’à la genèse de leur implication politique. Françoise David était cadre d’une organisation marxiste-léniniste, En lutte; Manon Massé voulait devenir prêtre.
Elle le dit librement : «avec moi, ça va être le parti populaire». Cette formule a fait son apparition timide dans le parler solidaire il y a plusieurs mois. Quand Manon parle de parti populaire, elle donne un sens à un mot presque désuet ici, à un océan du «peuple de gauche». Elle parle de son monde, ce monde dont l’expression politique se résume au mouvement communautaire, seul à rappeler l’existence des vanupieds aux puissants. Quand on se promène dans les rues de Centre-Sud avec Manon, quand on croise les laissés pour compte, les travailleurs à la petite semaine, le «fier monde» du quartier, on ne s’étonne plus de la force de la mobilisation pour sauver la circonscription. La communauté naturelle de Centre-Sud a trouvé sa députée naturelle.
Elle a fait beaucoup pour leur donner une voix à l’Assemblée nationale depuis son élection, à sa cinquième tentative d’emporter Sainte-Marie-Saint-Jacques. Mais si on aime astreindre les solidaires aux pauvres – la diatribe de Falardeau sur «mère Teresa David» me vient à l’esprit – Manon Massé défie toute catégorisation.
On parle d’une femme lesbienne de Montréal, qui ne cache pas qui elle est et qui parle de ses «frères et sœurs autochtones». On aurait pu croire que son identité la rendrait antipathique aux yeux du «Québécois ordinaire», figure rabâchée quotidiennement par les radios poubelles. Or, c’est tout le contraire qui se produit: la chimie opère instantanément.
Autre anecdote: nous sommes dans un bar de sports en périphérie de Québec. Même là, chez les auditeurs de CHOI Radio X, dans une région qui donne des cauchemars aux solidaires, il ne lui faut qu’une poignée de minutes de conversation avec une table animée et l’audience est sous le charme.
N’empêche que la députée de Sainte-Marie-Saint-Jacques n’est pas sortie du bois. Si elle est élue porte-parole au Congrès de Québec solidaire, elle héritera d’un certain nombre de patates chaudes, en premier lieu la fameuse question des convergences avec le Parti québécois et Option nationale. Le parti a exclu d’emblée le modèle d’alliance, préférant parler de «pactes de non-agression», mais les avances persistantes de Jean-François Lisée – formulées de bonne foi ou non – doivent l’obliger à trancher rapidement.
La question sous-jacente est toute simple: en 2018, Québec solidaire sera-t-il prêt à constituer un parti de gouvernement? À 18 mois des élections générales, les solidaires doivent ruminer leur réponse. La relève est une chose – et elle promet, alors que la candidature annoncée de Gabriel Nadeau-Dubois dans Gouin se confirme. Le positionnement, les moyens financiers et une machine bien huilée en sont d’autres; pour emprunter une formule chère à Québec solidaire, le parti doit réussir son renouveau politique toutes catégories confondues s’il souhaite répondre par l’affirmative.
On the record, nous n’avons guère vu la fin de Manon Massé, ni de son option politique. Si j’étais journaliste, je parlerais plutôt d’un début.