Loin d’être une personne rancunière, je suis quelqu’un qui reste profondément attaché au bon vieux principe chrétien de rédemption – la damnation éternelle me vient très difficilement, bien qu’elle reste fort possible.

De la même façon, je crois aussi au principe tout aussi judéo-chrétien de repentance.

Cela dit, il est fascinant de constater à quel point il en faut peu, chez certains, pour se refaire une virginité politique, principalement dans les plus hautes sphères de l’activité publique. Une poignée de main filmée et analysée sous tous les angles possibles. Un tweet ou deux en soutien à une communauté fortement ostracisée. Pour trop de gens se réclamant du progressisme, cela aura suffi à oublier que, s’il y avait moindrement de justice en ce bas-monde, des politicien-ne-s pourtant élevés sur des piédestaux médiatiques se trouveraient plutôt traduits en justice pour crimes contre l’humanité ou, du moins, seraient exposés sous leur vrai jour.

On pourrait s’éterniser sur le sujet tant on recense de cas, mais celui de Madeleine Albright demeure un des plus grossiers. Fin janvier, elle déclarait qu’elle était prête à se déclarer musulmane si l’administration Trump allait de l’avant avec son abominable succession d’ordres visant les musulmans-e-s. Dans plusieurs médias et sur les réseaux sociaux, on s’est mis à saluer son courage et sa grandeur d’âme : voilà une ex-politicienne de haut niveau qui se disait solidaire envers les musulman-e-s, tout en déclarant que l’interdiction d’entrée des ressortissants de sept pays musulmans était profondément «anti-américaine».

Comment décrire, alors, le massacre d’un demi-million d’enfants irakiens morts affamés et sous les bombes américaines durant les années 1990? Faisons devoir de mémoire : «Ça valait le coup», avait-elle déclaré en entrevue à l’émission 60 Minutes.

Rappelons aussi que la philosophie du Département d’État américain sous Albright – de même que sous Hillary Clinton (qui elle aussi s’est attiré un cortège d’éloges avec une série de tweets anti-Trump) – est demeurée sous l’influence de faucons comme Henry Kissinger et Zbigniew Brzezinski. Ces chantres de l’hégémonie américaine comme vecteur de paix mondiale auront été «punis» par d’innombrables contrats de consultation et des apparitions sur le fort lucratif circuit de conférences fréquentés tant par les actuels tisserands du pouvoir que par des universitaires ébahis et désireux d’obtenir leur place dans le corps diplomatique.

Plus près de chez nous, les médias ont montré sans cesse les images de ce match de je-te-tiens-par-la-barbichette entre Justin Trudeau et Donald Trump, louangeant le premier ministre pour avoir semblé tenir tête au locataire de la Maison-Blanche. Apparemment, c’était suffisant pour nous faire oublier que Justin Trudeau a, en septembre 2011, voté pour la poursuite des opérations militaires canadiennes en Libye – celles qui ont plongé le pays dans un état de chaos qui perdure encore à ce jour. Il a appuyé, au printemps 2015, le projet de loi C-51 – probablement un des plus liberticides et dangereux héritages législatifs du régime Harper. Il a endossé la vente de matériel militaire à l’Arabie saoudite, qui se livre actuellement à des crimes de guerre au Yémen. En janvier dernier, il a salué la relance du projet de pipeline Keystone XL. Sa ministre des Minutes du patrimoine a pu se livrer à une intense séance de javellisation historique sans le moindre reproche. Il a renoncé à sa promesse de réforme électorale. Son gouvernement poursuit la tradition libérale de cracher sur les anciens combattants et il cherche encore désespérément une destination où des soldats canadiens iront crever, cette fois avec un casque bleu, pour on ne sait trop quel objectif, sinon que de rendre probablement un pays d’Afrique un peu plus sécuritaire pour les pilleurs d’ici.

Plus près de chez nous, les médias ont montré sans cesse les images de ce match de je-te-tiens-par-la-barbichette entre Justin Trudeau et Donald Trump, louangeant le premier ministre pour avoir semblé tenir tête au locataire de la Maison-Blanche.

Mais il n’en serait pas moins progressiste, selon certains, et ce même si son gouvernement poursuit les mêmes politiques de fond que son prédécesseur.

La rédemption? Pas sans repentance.

Si Donald Trump, Marine Le Pen, Kellie Leitch et Kevin O’Leary deviennent une espèce d’étalon-or pour définir ce qui est comparativement progressiste, des démons se transfigurent en anges. Corollairement, comment peut-on réclamer de meilleurs politicien-e-s, plus intègres, plus soucieux du bien commun, si nous nous contentons collectivement de si peu?

Notre petite confrérie des mercenaires médiatiques fait régulièrement ses choux gras de la propension de notre coquet premier ministre au selfie et autres photo-ops, rappelant que ces gestes relèvent d’un opportunisme crasse.

La gauche ferait bien, elle aussi, de ne pas l’oublier.