La question des agressions sexuelles mérite amplement la place qui lui a été accordée récemment : au Québec, le taux de dénonciation des agressions sexuelles est de 5%, ce qui signifie qu’au moins 19 agresseurs sur 20 s’en tirent sans accusation.

Lorsqu’on prête attention à cette problématique, on voit rapidement à quel point nous tournons en rond : on pousse les victimes à dénoncer et, lorsqu’elles le font, elles frappent un mur – soit celui du système judiciaire et policier. 460 000 agressions sexuelles surviennent au Canada chaque année. Sur 1000, 12 mènent à des accusations et 6 à des poursuites judiciaires. La Sûreté du Québec, pour sa part, arrive au deuxième rang en ce qui concerne le rejet des plaintes comme étant non-fondées. Les chiffres parlent encore une fois d’eux-mêmes.

Ces corps qui ne nous appartiennent plus

J’ai partagé cette impression que j’avais de ne plus m’appartenir.

J’observe la situation d’un regard extérieur, maintenant. Si une autre femme avait pris la parole en octobre, si cette histoire avait été celle d’une autre victime – que j’aurais suivie comme tant de personnes ont suivi la mienne -, jamais je n’aurais osé porter plainte. Si j’avais lu les commentaires haineux, ceux qui alimentent la tolérance au viol, ceux qui m’accusent à tort d’avoir dénoncé pour les mauvaises raisons, ceux qui insultent les travailleuses du sexe, ceux qui traitent les femmes de «féminazies», j’aurais gardé le silence. Je tiens à dire, pour toutes celles qui n’oseraient pas dénoncer à la lumière de mon histoire, qu’il existe des ressources telles que les CALACS (Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel) et les autres organismes venant en aide aux victimes d’agression sexuelle.

Des manifestations sont organisées à Québec, Sherbrooke et Montréal ce soir, et on m’a prêté des intentions qui ne sont pas les miennes. Mon témoignage a été médiatisé et, certes, je suis une survivante qui a bénéficié d’une large tribune. Il reste que je me bats tous les jours et que je continuerai à me battre quand les projecteurs se tourneront ailleurs. Beaucoup d’entre nous doivent vivre avec des séquelles psychologiques et même physiques, et ce pour de nombreuses années.

Il reste que je me bats tous les jours et que je continuerai à me battre quand les projecteurs se tourneront ailleurs.

M. Sklavounos nous a démontré qu’il ne ressentait pas de remords, si ce n’est que «d’être ce qu’il est», c’est-à-dire un homme «extraverti, volubile et passionné».

Ces paroles sont violentes. Sa réponse est la définition même de ce qu’est la culture du viol: il nous invite en fait à tolérer la contrainte sexuelle, à l’excuser, à la minimiser. M. Sklavounos n’a pas présenté d’excuses formelles parce que s’excuser, c’est avouer ses torts.

Changer les choses

Des femmes ont témoigné de ce qu’elles avaient vécu. Les violences sexuelles à l’Assemblée nationale, comme partout ailleurs, doivent cesser. C’est un environnement de travail dans lequel ce qui est admis ou toléré inquiète fort probablement les femmes qui ont témoigné de leur inconfort face à M. Sklavounos. Ne plus se sentir bien, avoir l’impression que le corps des femmes appartient à tout le monde en même temps, c’est ce à quoi font face la plupart d’entre nous.

Le corps des femmes n’est pas un terrain public. Réduire ce que ces femmes ont vécu à une réaction «friendly», c’est tendre sa main et nous envoyer toute la culture du viol en pleine face. On peut changer les choses avec la force des mots, la force du nombre, la grandeur et le courage des survivantes qui se battent pour en sortir vivantes, aussi. Je le répète, le combat s’annonce long et tortueux, mais il est possible.