«Nous devons nous mobiliser à travers le pays et il faudra se battre chaque jour où Trump est président», lance d’emblée Drew St. Lawrence, 27 ans, rencontré au McPherson Square où se tenait un rassemblement en marge de l’investiture du nouveau président. Éducateur noir à Brooklyn depuis six ans, Drew forme tous les jours ses jeunes à être des citoyen-nes informé-es et proactif-ves. C’est surtout dans la dernière année qu’il s’est mobilisé, devant la montée en popularité du mégalomane. «Donald Trump est dangereux, ce qu’il représente est oppressant pour les personnes de couleurs, pour les femmes et toutes les minorités. Mes jeunes sont au courant, et mon travail est de les équiper adéquatement pour les années à venir,» explique l’éducateur. «Je pense que nous nous dirigeons vers un plus grand mouvement social. On était endormi pendant trop longtemps», poursuit celui qui soutient maintenant le mouvement Black Lives Matter.

«Je pense que nous nous dirigeons vers un plus grand mouvement social. On était endormi pendant trop longtemps»

Arthur Gauthier

Au McPherson Square, l’ambiance est à la mobilisation. Un homme prend la parole au micro pour motiver la foule : «Etes-vous prêts pour la révolution?», scande-t-il au public applaudissant, tandis qu’un hélicoptère survole les rues encore habitées de manifestations. «Il faut être prêt à la désobéissance civile, à une résistance pacifique mais proactive. Il faut des gens au front à Standing Rock, à se tenir pendant des semaines dans le froid, à prier pour protéger les eaux contre le pétrole».

Les militants de #DisruptJ20 ont convergé de plusieurs villes américaines et même de Montréal (dont plusieurs refoulés à la frontière) pour perturber la journée d’investiture vendredi. Plusieurs manifestations se tenaient à différents endroits de la ville en même temps, donnant du fil à retordre aux forces de l’ordre. «La dernière fois que la ville de Washington a utilisé du gaz lacrymogène c’était il y a 10 ans», avance un membre de CopWatch, réseau d’associations de surveillance des violences policières, rencontré plus tard dans une pizzeria où nous nous sommes abrités au moment où la police tentait de disperser la foule.

Plusieurs militant-es se réchauffent autour d’un feu allumé au milieu de la rue, après une longue journée de manifestations.
Arthur Gauthier

Les droits reproductifs et des LGBT dans la ligne de mire

En quelques heures, la nouvelle administration avait déjà modifié le site internet de la Maison Blanche en supprimant les pages consacrées aux LGBT et à l’environnement. Une préoccupation de plus pour Ruby, une artiste et activiste queer de Chicago, rencontrée le lendemain à la marche des femmes avec son groupe d’amies. «Les LGBT sont déjà vulnérables, et nous serons encore plus en danger avec cette nouvelle administration, c’est terrifiant», explique-t-elle. Rassurée de voir autant de slogans queer et trans scandés à la marche des femmes, l’artiste de Chicago croit que si le mouvement féministe est intersectionnel, il pourra être une force de lance pour contrer les attaques du nouveau gouvernement sur les femmes et les minorités.

«Les LGBT sont déjà vulnérables, et nous serons encore plus en danger avec cette nouvelle administration, c’est terrifiant»

Ruby a déjà pris part à plusieurs marches à Chicago pour les droits reproductifs dans les derniers mois. Le nouveau vice-président Mike Pence est un ennemi de longue date du Planned Parenthood, le plus grand programme de planification familiale du pays, qui offre des services de détection du cancer, de contraception et aussi d’avortement. «C’est important qu’on se tienne debout aujourd’hui en si grand nombre. On dépasse largement ceux qui ont participé à la cérémonie d’inauguration, c’est significatif».

Ruby et son groupe
Adrienne Surprennant

Femmes autochtones et environnement

Nellis Kennedy-Howard, directrice du Equity Department du Sierra Club, une association écologiste fondée à San Francisco, est venue de la Californie pour participer à la marche des femmes. Militante à Standing Rock en novembre pour s’opposer à la construction du controversé Dakota Access Pipeline, une expérience qui a «changé sa vie», elle s’inquiète des objectifs du nouveau gouvernement. «Trump a un agenda hostile qui menace les intérêts et les droits des Premières Nations. Depuis trop longtemps, nous souffrons des impacts de la dégradation de l’environnement pendant que les industries s’enrichissent sur notre souffrance», explique-t-elle. «Les activistes sont prêts à retourner sur le site de Standing Rock, et le chef des Nations de Sioux a promis de continuer le combat, malgré les nouvelles actions de Trump.»

«Trump a un agenda hostile qui menace les intérêts et les droits des Premières Nations. Depuis trop longtemps, nous souffrons des impacts de la dégradation de l’environnement pendant que les industries s’enrichissent sur notre souffrance»

C’est surtout pour défendre les droits des femmes autochtones et dénoncer les violences sexuelles dont elles sont trop souvent victimes que Nellis s’est rendue jusqu’à Washington. «Une femme autochtone sur trois est violée, et 80 % des agresseurs ne sont pas autochtones. Ce sont des enjeux et des faits que les gens ne connaissent pas,» insiste-t-elle. «Trump ne nous aidera évidemment pas avec cette situation puisque lui-même promeut la culture du viol.»

Nellis
Adrienne Surprennant

Préparer la résistance

Au lendemain de la marche des femmes, le site officiel de l’organisation annonce plusieurs actions à entreprendre, spécialement pour les 100 premiers jours du gouvernement. Écrire des lettres à ses élus, appeler le congrès, plusieurs marcheuses ont enregistré le numéro sur leur téléphone portable et n’ont pas prévu chômer dans les prochaines semaines.

L’élection de Donald Trump pourrait bien engendrer une nouvelle génération d’activistes, plus mobilisés que jamais. «Mon rêve est que Trump et tout ce qu’il représente puisse inspirer une nouvelle génération de féministes et une grande coalition de la gauche», confie Drew St. Lawrence en entrevue après la marche. «Beaucoup de travail nous attend. Écrire des lettres à ses élus ne sera pas aussi sexy que de participer à une grande marche. Il y aura des portes auxquelles frapper, des dialogues à avoir, et oui, encore plus de rues à prendre.»

«Mon rêve est que Trump et tout ce qu’il représente puisse inspirer une nouvelle génération de féministes et une grande coalition de la gauche»

Nellis Kennedy-Howard va dans le même sens. «La seule façon dont les progressistes peuvent espérer résister à Trump est de s’unir dans la solidarité,» soutient-elle. «Les 2,7 millions de membres du Sierra Club seront là pour bloquer les attaques contre l’air, l’eau et le climat, mais nous serons aussi prêts à nous enchaîner aux bus de déportations s’il le faut.» L’association écologiste a monter un site web, le digital command center, pour documenter les attaques du nouveau gouvernement sur l’environnement et les droits humains, et pour offrir une opportunité de s’impliquer en ligne et en personnes.

Des millions de personnes aux États-Unis s’opposent au nouveau gouvernement, remettent tout en question, et s’inquiètent pour leur avenir. Alors que Trump s’attaque déjà à l’avortement, qu’il vient d’approuver le projet d’oléoduc Keystone XL en plus de prévoir donner le feu vert à la construction du Dakota Access Pipeline traversant des terres ancestrales à Standing Rock, la résistance semble plus nécessaire que jamais.

Texte : Raphaëlle Corbeil
Photos : Adrienne Surprennant et Arthur Gauthier