Non, nous ne pardonnons pas «la comparaison triviale» de M. Rioux. Nous déplorons qu’un quotidien comme Le Devoir souscrive à de tels propos sous couvert de la liberté d’expression de ses chroniqueurs. Nous refusons de banaliser le racisme qui teinte les relations sociales au Québec.
À l’instar de ces thèses racistes qui reviennent sempiternellement, permettons-nous de répéter ceci : que ce soit au sein des groupes majoritaires ou des groupes racisés, les compétences et la qualité sont toujours des données qui sont hautement variables. La méritocratie, qu’on ne cesse d’opposer aux demandes de diversité et de parité, est un concept qui ne peut pas exister indépendamment des diverses oppressions systémiques qui traversent nos sociétés. Ainsi, aussi bien dire que la vraie méritocratie n’existe pas.
De qui parle M. Rioux lorsqu’il désigne ces «humoristes ethniques» qui ne sont que de «pâles copies des stands-up américains»? Parle-t-il de Mehdi Bousaidan, un humoriste de la relève qui brille par son talent? D’Uncle Fofi et Dorothy Rhau, qui enrichissent la scène alternative montréalaise? De Mariana Mazza, une humoriste qui réussit à ébranler des tabous tenaces et à rejoindre des milliers de femmes, racisées ou non? De Sugar Sammy et Rachid Badouri, deux des humoristes les plus en vue de leur génération, au Québec comme ailleurs? D’Adib Alkhalidey, qui, tout en rejoignant un public large, de la scène à la télévision, a été choisi comme la nouvelle image du Devoir? Alors que 5% seulement des premiers rôles à la télévision reviennent à des personnes racisées et que seuls cinq des 125 députés de l’Assemblée nationale sont issus de communautés minoritaires, il semble que la diversité qui menace la société québécoise dont parle Christian Rioux tienne de toute façon de l’utopie.
Par ailleurs, M. Rioux illustre le double standard qui existe lorsqu’il est question des personnes racisées, qu’elles soient issues de l’immigration, nées de parents immigrants ou adoptées. Dans le cas des «humoristes ethniques», on se permettra de juger négativement leurs performances et de présumer qu’elles et qu’ils ont du succès et sont connus parce qu’ils sont issus d’une minorité. Pourtant, M. Rioux ne se demande pas si d’autres remportent des Olivier parce que ce sont des personnes blanches. La question est rarement posée en ces termes, tant ce genre de milieu est un milieu de privilégiés. Dès lors, tout individu dérogeant à ces critères est soumis à un examen pour le moins injuste. Pourquoi ne pas remettre en question la qualité du travail de François Morency, de Martin Matte, de Peter Macleod, de Mike Ward, de Mario Jean, de Jean-Michel Anctil? Sont-ils tous, contrairement aux «humoristes ethniques», complètement détachés d’influences américaines et de très grande qualité?
Monsieur Rioux dénonce un souci outrancier de la diversité qui serait nuisible à l’identité et à la méritocratie. Or, il se trouve que cette diversité dont on parle beaucoup est loin d’être effective. Malheureusement, l’intégration des personnes qui ont été adoptées, des immigrant.e.s, de leurs enfants ne se fait pas toujours naturellement sur quelques générations, comme le prétend M. Rioux, non par la faute des immigrants ou de leurs progénitures, mais parce que la racisme systémique se déploie sur plusieurs générations et que le simple fait de porter un nom qui ne sonne pas québécois continue à pénaliser les personnes racisées même si elles sont nées au Québec.
Revenons sur le faux concept qu’est le «racisme inversé» évoqué par l’auteur. Le racisme, par définition, implique de croire en la hiérarchie entre différents groupes d’humains ou d’adopter une attitude hostile et discriminatoire à l’égard de groupes minoritaires, qu’ils soient visibles, religieux, culturels, géographiques ou linguistiques. L’appel au «racisme inversé» sert généralement à celles et ceux qui, se sentant acculés au pied du mur par les demandes de reconnaissance plus que légitimes des groupes racisés, adoptent un discours victimaire.
Les sociétés occidentales modernes sont pourtant le fruit de rapports de force inégaux qui survivent à l’épreuve du temps, mais également à l’éclatement des frontières. Le système se reproduit constamment, permettant toujours aux mêmes de s’épanouir sans trop d’efforts aux dépens de ceux qui maintiennent la structure en place, tout au bas de la pyramide sociale.
Nous nous demandons pourquoi Christian Rioux ressent-il systématiquement le besoin de mettre en opposition le désir d’inclusion des groupes minoritaires et la défense de sa propre identité? Sommes-nous vraiment à blâmer pour la fragilité de cette dernière?
Le danger ne vient pas de l’extérieur, il ne vient pas de l’autre. Il provient de quiconque brandit la menace de l’immigrant comme venant ébranler et détruire l’identité du pays qui l’accueille. Nous sommes racisé.e.s, nous sommes aussi le Québec.