D’emblée, une telle appréhension découle du lourd climat politique international qui sévit actuellement. Si 2016 a comporté son lot d’événements déroutants, force est de constater que son crépuscule ne signifie pas pour autant l’interruption de leurs impacts réels, qui se matérialiseront plutôt, dans certains cas, dès l’aurore de 2017. On pense notamment à l’entrée en fonction officielle de Donald Trump ou aux démarches pour concrétiser le Brexit. Toutefois, au-delà de tous les épisodes marquants que nous pourrions également mentionner – le coup d’État en Turquie, la destruction d’Alep, les attentats terroristes, etc. –, l’héritage le plus crucial à retenir de cette année consiste davantage en un phénomène global : l’érosion sans précédent de l’ordre mondial tel que nous le connaissons depuis les années 1990.

Si 2016 a comporté son lot d’événements déroutants, force est de constater que son crépuscule ne signifie pas pour autant l’interruption de leurs impacts réels, qui se matérialiseront plutôt, dans certains cas, dès l’aurore de 2017.

Un passé glacial qui ressurgit

Au moment d’écrire ces lignes, l’administration Obama vient d’annoncer de sévères mesures au relent de guerre froide visant à châtier le gouvernement russe pour son ingérence alléguée dans la campagne électorale de 2016. En revanche, le président Vladimir Poutine a affirmé avoir écarté la possibilité de réciproquer les sanctions et se dit enthousiaste à l’idée d’un nouveau départ pour les relations russo-américaines dès l’inauguration présidentielle de Trump. Ce dernier, rejetant catégoriquement les conclusions des services secrets américains sur les cyberattaques russes, a applaudi cette paisible réaction. Toutefois, derrière ces délicatesses diplomatiques, le portrait de la situation est nettement plus alarmant.

D’une part, si un président Trump voulait renverser les sanctions, il se heurterait irrémédiablement à une levée de boucliers de la part de son propre parti, les sénateurs républicains John McCain et Lindsey Graham ayant même promu un durcissement des mesures punitives. En outre, les 35 diplomates expulsés et les 2 sites fermés par la Maison-Blanche étaient, selon elle, liés aux services secrets russes et donc potentiellement nuisibles à ses intérêts sécuritaires. Considérant également les manifestations inédites des Américains après son élection, comment Trump pourrait-il sérieusement songer à faire marche arrière une fois au pouvoir? Il paraît ainsi évident que le risque politique d’une telle initiative surpasserait les bénéfices espérés sur la relation entre Washington et Moscou. Décidément, Obama a préparé un accueil des plus épineux à son successeur.

D’autre part, fruit de son indignation contre les dernières activités militaires de l’OTAN en Europe de l’Est, Poutine a déclaré, le 22 décembre, son intention de renforcer son arsenal nucléaire pour le rendre apte à percer n’importe quel bouclier antimissile. Cette fois-ci, Trump n’a pas hésité à s’opposer au chef du Kremlin, laissant entendre que les États-Unis emboîteront le pas dans la course à l’armement. Que faut-il en penser? D’un point de vue réaliste, les installations antimissiles atlantistes compromettent la capacité de dissuasion nucléaire des Russes. Cette surenchère nucléaire était donc relativement prévisible. Il ne s’agit pas ici de condamner l’un ou l’autre des empires, chacun réagissant aux provocations de son adversaire. Or, nul besoin d’étudier les relations internationales pour saisir à quel point est redoutable la possession mutuelle d’une arme d’annihilation aussi absolue qu’impossible à contrer, et ce, par deux grandes puissances aux antipodes et reconnues pour leur politique étrangère musclée. D’autant plus que le dirigeant de Moscou a démontré une imprévisibilité agressive à maintes reprises, tandis que le caractère impétueux du prochain occupant de la Maison-Blanche n’est guère plus rassurant, au contraire.

Cela dit, ne nous confondons pas pour autant dans le pessimisme à outrance. Le scénario d’une guerre nucléaire demeure et demeurera longtemps hautement improbable. L’objectif poursuivi en discutant de cette crispation symptomatique de la relation bilatérale est plutôt de faire état d’une des facettes majeures de l’effritement de l’ordre mondial en place. Cette désagrégation ne peut toutefois être comprise sans discuter d’un autre acteur incontournable qui, à l’instar de la Russie, profite du désengagement international des États-Unis d’Obama pour proposer une vision alternative du système global.

Le troisième pôle asiatique

Forte de sa croissance spectaculaire depuis sa libéralisation économique des années 1980, la Chine jouit désormais d’une influence dominante sur la scène internationale, en raison notamment de son modèle diplomatique sans attaches qui suscite un intérêt général grandissant. Celui-ci consiste, par opposition au modèle occidental et libéral, à faire affaire avec des gouvernements – surtout du tiers monde – sans conditions préalables ni jugements de valeur sur leurs politiques intérieures. Qu’il s’agisse d’un État dictatorial ou oligarchique, petit ou grand, sous-développé ou industrialisé : tous sont de potentiels candidats aux yeux de l’Empire du Milieu. Sa position prépondérante sur l’échiquier mondial semble d’ailleurs durablement consolidée avec ses projets titanesques que sont la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures – rivale du FMI dominé par l’Occident – et la Nouvelle route de la soie.

Si la politique étrangère du dragon chinois fut longtemps passive pour permettre son réveil, l’intensification récente de ses velléités territoriales controversées en Mer de Chine ainsi que ses investissements militaires substantiels suggèrent, entre autres indicateurs, une volonté claire de durcir son action internationale. À quoi faut-il s’attendre en 2017? Rien n’est moins sûr. Un incident en Mer de Chine, somme toute probable en regard des nombreux exercices militaires multiétatiques qui s’y donnent, pourrait potentiellement déclencher une dégringolade armée si les dirigeants concernés perdent leur sang-froid. Un simple accident suffit. Il est permis de douter que la Chine privilégierait une réponse violente advenant un tel scénario. Le pacifisme constitue un des piliers de sa politique étrangère depuis des décennies. Cependant, qui donc, déjà, s’apprête à gouverner un acteur étatique de premier plan dans ce conflit territorial et qui détient la plus puissante armée de l’Histoire? Prodige d’un destin à l’humour sombre, Trump est déjà à couteaux tirés avec Pékin dans la foulée d’un certain appel téléphonique en provenance de Taïwan. La patrouille récente du porte-avion chinois à quelques kilomètres seulement de l’île de Formose est lourd de sens quant aux tensions actuelles.

Et ailleurs?

Enfin, histoire d’enrichir par rafales ce portrait préoccupant, mentionnons également l’appui inconditionnel et réactionnaire de Trump envers Israël, qui contribuera vraisemblablement à l’enlisement des conflits sanglants au Moyen-Orient. Quant au dénouement de la tragédie syrienne, il signifie non seulement une victoire prestigieuse pour la Russie et l’Iran, mais aussi un nouvel échec cuisant des Nations Unies. Plus localement, les mouvements d’extrême droite auront encore le vent dans les voiles, surtout en Europe où ils continueront de voguer sur les eaux troubles de l’euroscepticisme et de la xénophobie.

Plus localement, les mouvements d’extrême droite auront encore le vent dans les voiles, surtout en Europe où ils continueront de voguer sur les eaux troubles de l’euroscepticisme et de la xénophobie.

Perspectives finales

Si 2016 fut une année consternante, ses événements affligeants sont, par-dessus tout, le prélude plausible d’une nouvelle ère. La pérennité du système international libéral et unipolaire, consolidé sous l’égide des États-Unis depuis quelques décennies, semble de plus en plus compromise. En témoigne particulièrement l’élection par les Américains d’un pourfendeur résolu des principes libéraux tels que le respect du droit international, la coopération interétatique, le recours aux institutions multilatérales pour gérer les conflits, etc. Jamais ces valeurs, pourtant instituées pour protéger l’humanité d’elle-même en réaction aux massacres des grandes guerres, ne furent autant contestées soit de l’intérieur, par le chauvinisme occidental, soit de l’extérieur, avec la montée en puissance d’États réfractaires.

Deux certitudes se dégagent de cette réflexion. Premièrement, bien que le bouleversement discuté soit indéniable, la forme, le modus operandi et le moment exact de son aboutissement sont fort nébuleux. Une transition pacifique, quoique improbable, n’est certainement pas exclue. Deuxièmement, le système international libéral, malgré le fait qu’il repose sur un idéal vertueux qu’il ne faut jamais écarter, est tout sauf une apogée. Les multiples exactions de ses promoteurs – pensons notamment au fiasco en Irak –, ses dysfonctions telles que les déconvenues onusiennes, ou encore le succès du modèle chinois en attestent. Tout empire finit inévitablement par s’effondrer. Or, comment se réjouir du changement lorsque celui-ci est incarné, d’un côté, par des régimes reconnus pour leur conception particulière des droits de la personne ou, de l’autre, par les promoteurs de l’isolationnisme?

Or, comment se réjouir du changement lorsque celui-ci est incarné, d’un côté, par des régimes reconnus pour leur conception particulière des droits de la personne ou, de l’autre, par les promoteurs de l’isolationnisme?

Sous un autre angle relativement plus optimiste, peut-être qu’il serait dans l’intérêt du Canada d’éviter de diaboliser les régimes éloignés de ses valeurs comme le veut la tradition libérale, une pratique qui semble antagoniser davantage les États entre eux plutôt que de favoriser le bien commun. Sans renier ses précieuses alliances occidentales, une diplomatie aussi neutre que possible lui permettrait, face aux futurs conflits potentiels, d’exercer à nouveau son rôle internationaliste de médiateur qui était tant sollicité pendant la Guerre froide. Certes, une telle retenue pourrait être considérée comme immorale. Mais pour la puissance moyenne qu’est le Canada, quel autre choix que le compromis peut-elle vraiment envisager face à l’horizon orageux qui se dessine?

Alexandre Lévesque complète un baccalauréat en études internationales à l’Université de Montréal.