Si chacun.e des 17 000 enseignant.e.s de la CSDM donne un maigre 3$ – un café, illustre M. Gagné, rappelant une figure fétiche des libéraux –, la Fondation pourrait récolter jusqu’à 50 000$. Desjardins s’engageant à égaler les dons jusqu’à concurrence de 50 000 $, la Fondation pourrait alors récolter jusqu’à 100 000$ avec cette campagne. Cet argent servirait à financer les projets de la Fondation dans les champs des arts et culture, de l’environnement, de l’équité et de la persévérance scolaire.
Des champs «particuliers», souligne M. Gagné, qui ne remet pas en question le rôle de l’État de «financer les programmes d’enseignement et d’entretien des écoles». Voilà le rôle de l’État pour l’école publique selon M. Gagné : un bon patron qui paie nos salaires et un bon propriétaire de bâtiments. Si Desjardins tient à faire sa part pour nos écoles, que l’institution financière s’engage à remettre ces 50 000$, peu importe le montant récolté préalablement par la Fondation de la CSDM. Mais, me dira-t-on, elle ne fonctionne pas comme ça, cette culture philanthropique si chère à M. Gagné.
Catherine Renaud, présidente de l’Alliance des professeur.e.s de Montréal, a publiquement dénoncé l’initiative de la Fondation de la CSDM. Pourtant, souligne M. Gagné, les enseignant.e.s donnent 1000$ en cotisations syndicales seulement pour défendre leurs conditions de travail. Mille!
Quand les acteurs extérieurs au milieu de l’éducation comprendront-ils que les conditions des travail des profs sont aussi les conditions d’apprentissage de nos enfants? Que lorsque les profs exigent des baisses de ratio, des heures de formations et plus d’heures de travail reconnues, c’est pour défendre la qualité de l’école publique?
L’Alliance des professeur.es «insensible aux mieux-être des enfants»
M.Gagné soutient que la réaction de l’Alliance des professeur.es face à cette campagne de dons dénote une «étonnante insensibilité à la cause et au mieux-être des enfants».
Il oppose une réaction corporatiste des enseignant.e.s à la générosité et à la bonne foi philanthropique. À la «culture philanthropique» dont M. Gagné déplore l’absence au Québec au profit d’«une culture de dépendance à l’État», les enseignant.es opposent leur culture de l’engagement et de la solidarité. Le «3$ de café», ça fait bien longtemps qu’il est dépensé à même nos poches en matériel pour nos élèves, sans compter tout le temps de travail supplémentaire non payé que nous faisons chaque semaine.
Nous sommes payé.e.s 32h par semaine, dix mois par année. En moyenne, nous devons pourtant en faire 40, comme la majorité des travailleurs et travailleuses d’ailleurs. Je dis bien en moyenne, car j’en fais souvent 50 et je connais plusieurs collègues qui en font autant et plus encore. À la moitié de notre échelle salariale, je gagne environ 40$ brut de l’heure. Multipliez ce montant par un 8h excédentaire et je donne autour de 320$ en temps bénévole par semaine, 1280 $ par mois, 12 800$ par année. C’est beaucoup de café, il me semble. Pensez-vous que Desjardins accepterait d’accoter mon don personnel de 12 800$ par année?
Évidemment, peu importe notre emploi, nous nous engageons souvent tou.te.s au-delà de nos heures payées. M. Gagné lui-même a dû donner en temps beaucoup de café en conseillant bénévolement la Fondation de la CSDM.
La culture de la dépendance à l’État
Au-delà de la logique comptable, le vrai scandale dans la proposition de M. Gagné, c’est sa dénonciation «d’une culture de dépendance à l’État dans laquelle baigne l’Alliance de professeurs». Il invite l’Alliance «à contribuer à changer cette mentalité de dépendance de l’État-providence.»
Culture de dépendance à l’État? M. Gagné est-il dans une autre dimension et il nous parle en fait de Bombardier et des généreux crédits d’impôts aux entreprises? Des subventions à l’industrie gazière et minière, peut-être? Nous parle-t-il par expérience du milieu de l’édition? Scandale, l’école publique est dépendante des subventions de l’État! Opposer l’école publique à l’État-providence est un sophisme très préoccupant. Dans le projet de société juste et équitable que nous nous sommes donné, l’école publique, c’est l’État qui la finance. C’est à l’ensemble de la société d’en assumer les coûts par l’entremise des taxes et des impôts… lesquels sont de plus en plus minés par les incitatifs fiscaux à la charité.
La culture de la philanthropie est une nécessité dans toutes les sociétés, soutient M. Gagné. Permettez-moi de soutenir que cette culture, surtout dans sa structure actuelle avec ses incitatifs fiscaux, est là pour pallier le manque de justice sociale et le défilement de l’État face à ses responsabilités. Vous êtes «sensible au sort de nos enfants», M. Gagné? Accepteriez-vous de gagner le salaire d’un prof à son entrée dans l’échelle salariale, soit 36 000$ annuellement, et de donner le reste à l’État pour financer nos services publics? Il n’est pas anodin que ce soit toujours les plus choyé.e.s qui se lèvent pour défendre haut et fort la culture philanthropique, qui ferait «défaut» au Québec. Peut-être parce qu’elle est un doux prix à payer pour les élites en comparaison de celui de l’implication fiscale qui serait nécessaire à une véritable équité.
Avec l’ajout du cours de finances personnelles au détriment d’un cours de sciences sociales, c’est une bien mauvaise semaine dans le milieu de l’éducation. Vivement le 23 décembre 15h30 qu’on aille… corriger et planifier en pantoufles et pyjama.