En effet, ces mesures s’inscrivent en droite ligne avec les discours alarmistes que des politiciens de droite – voire aussi d’une certaine gauche – ont tenu ces dernières années au lendemain de chaque attentat jihadiste perpétré dans une ville occidentale.
Nous sommes en guerre, disaient-ils, et nos ennemis, les adeptes fanatisés de l’islam radical, nous font cette guerre parce qu’ils détestent nos modes de vie et nos libertés. Et comme pour rassurer, ils ajoutaient à chaque fois que leur riposte sera impitoyable, bombardant des contrées lointaines et durcissant ici même les mesures sécuritaires ciblant les citoyens musulmans.
En écho à ces effroyables cris de guerre, des pacifistes rappelaient inlassablement que ces dirigeants se trompaient. Que, face au terrorisme, la voie de la réaction et de la confrontation meurtrière était une erreur stratégique. Puisque Daesh cherche à nous diviser et que l’inclusion des musulmans d’ici demeure le meilleur rempart à la violence jihadiste.
Paradoxalement, la véritable erreur se trouve du côté de ces pacifistes bien intentionnés. Ce sont eux qui errent lorsqu’ils laissent croire que nos dirigeants, en abusant de solutions guerrières et policières, commettent des fautes. Les discours va-t’en-guerre de ces derniers, comme leurs actions belliqueuses et liberticides, découlent au contraire d’une démarche longuement réfléchie et soigneusement exécutée depuis au moins deux décennies.
La théorie de la contre-insurrection
Ainsi, suite à l’effondrement du bloc soviétique et au démantèlement de l’URSS à la fin des années 80, nos dirigeants ont d’abord clairement affirmé que la civilisation musulmane représentait à leurs yeux la nouvelle menace planétaire. Conscients de la grossièreté de cette rhétorique, ils l’ont ensuite remplacée par la notion de la «guerre au terrorisme», à l’occasion des attentats du 11 septembre 2001. Cette dernière notion a elle-même été remise en question par les stratèges militaires américains qui, dès 2004 – mais cette fois loin de l’indiscrétion médiatique – lui ont préféré les théories de la contre-insurrection comme cadre stratégique pour leurs opérations.
Depuis lors, le jihadisme est appréhendé comme une insurrection globale que l’on doit contenir par une contre-insurrection tout aussi globale. Le problème avec cette vision est que le jihadisme émerge dorénavant de l’intérieur même de nos sociétés. Aussi, dès le milieu des années 2000, les États occidentaux se sont retrouvés face à une interrogation difficile : comment mener une guerre contre-insurrectionnelle dans le contexte des démocraties libérales, avec tout ce que cela implique d’intrusion sécuritaire dans la vie des citoyens (musulmans)?
Éviter de s’attaquer aux causes de la violence
La réponse à cette interrogation est rapidement apportée par des spécialistes en études sur la sécurité et le terrorisme, qui vont promouvoir la notion de «radicalisation» et une conception qui fait de ce phénomène un problème essentiellement – sinon exclusivement – religieux. Or, cette conception encourage les autorités à tenter de contrer la violence jihadiste sans aborder ses causes politiques. On fait ainsi en sorte que l’interminable débat sur la radicalisation religieuse remplace la nécessaire discussion sur les facteurs qui lui ont donné naissance.
Grâce à ce discours idéologique sur la radicalisation, donc, la militarisation des politiques étrangères occidentales pouvait aller de l’avant. Il suffisait de laisser croire que la solution pour en gérer les conséquences, sur le plan interne, était toute trouvée. Mettre en place une surveillance de masse ciblant en priorité les communautés musulmanes d’Occident et particulièrement leur jeunesse, au nom de la prévention contre une radicalisation entendue comme processus théologique.
Voilà pourquoi personne ne doit aujourd’hui s’étonner des politiques proposées par des politiciens comme Trump, notamment au Canada et au Québec. Encore une fois, ces politiques trouvent leur racine dans les discours islamophobes et guerriers de leurs prédécesseurs. De même, personne ne devra s’étonner si, à l’avenir, ces mesures en viennent à se transformer en violence étatique à l’encontre des musulmans d’ici. Car elles pourraient en effet n’être à cet égard que le sombre prélude.