L’actuelle précipitation avec laquelle le Gouvernement du Québec s’empare du dossier de la violence sexuelle en milieu universitaire a en effet de quoi irriter quiconque s’efforce d’y voir davantage qu’un exercice de relations publiques. Rien ne sert de courir, il faut partir à temps, comme le professait la fable bien connue du Lièvre et de la tortue.

Une consultation dans le tourbillon de la fin de session

En contraste absolu avec l’exaspérante lenteur de certaines universités dans ce dossier, comme la tortue UQAM – dont on peut se demander si elle arrivera à destination, alors qu’elle révise depuis presque trois ans sa Politique 16 sur les violences à caractère sexuel et a cavalièrement supprimé le poste d’intervenante spécialisée en intervention auprès des victimes d’agression sexuelle –, la ministre demande aux universités et aux cégeps d’organiser en quelques jours une consultation auprès de leur communauté sur cette problématique. À moins d’un mois du congé des fêtes, c’est-à-dire en fin de session, avec la charge de travail exponentielle que cette période suppose pour toutes les personnes qui étudient ou travaillent dans les institutions d’enseignement postsecondaire… Sans compter que la ministre attend des directions qu’elles transmettent le bilan des consultations avant le 6 janvier 2017! Rappelons qu’il s’agit notamment de savoir, «quelles seraient les pratiques exemplaires à mettre en place dans les établissements d’enseignement supérieur» en matière de prévention et sensibilisation, de «sécurité des personnes» et «de gestion des plaintes ou des signalements ayant pour objet des violences à caractère sexuel», ainsi que «les conditions de succès de l’implantation de ces pratiques». Peut-on réellement espérer du travail de qualité dans les conditions de dernière minute imposées par la ministre?

Se hâter avec lenteur

Est-il acceptable de bâcler des consultations sur des questions aussi cruciales? Toujours dans l’objectif «d’appuyer les établissements afin que le Québec devienne un chef de file en matière de prévention et de sensibilisation, de sécurité des personnes, de gestion des plaintes liées à des violences à caractère sexuel», la ministre David lancerait ces différentes consultations en vue de développer une politique ou une loi-cadre. L’enjeu est donc d’importance et le processus mériterait d’être réalisé dans une respectueuse collaboration avec les organismes qui soutiennent les survivantes d’agression sexuelle, avec le milieu de la recherche dans ce domaine, sans oublier les associations étudiantes et les syndicats qui se mobilisent, à des degrés divers, pour contrer les violences sexuelles en milieu universitaire. Une telle dynamique implique, pour paraphraser La Fontaine, qu’on se hâte avec lenteur, c’est-à-dire que la ministre mette en place des conditions adéquates de consultation et un échéancier réaliste. Dans le même ordre d’idées, la ministre David a aussi annoncé cinq journées de consultation à Montréal, Québec, Saguenay, Gatineau et Sherbrooke, entre janvier et mars 2017. On attend que les dates précises soient communiquées suffisamment à l’avance pour assurer une pleine participation des personnes concernées, au premier chef celles des intervenantes, travailleuses, étudiantes, enseignantes ou chercheures dont l’engagement a favorisé l’inscription de la violence sexuelle en milieu universitaire à l’agenda politique.

Une approche tantôt attentiste, tantôt à la va-vite

De fait, le gouvernement en place inspire une paradoxale impression d’attentisme et de va-vite dans sa réponse au problème persistant de la violence faite aux femmes. Par exemple lorsqu’il nous convie, la veille pour le lendemain, au lancement de sa nouvelle Stratégie pour prévenir et contrer les violences sexuelles, comme en témoigneront plusieurs collègues des secteurs universitaire et communautaire. Réclamée depuis plus de trois ans, la Stratégie gouvernementale est ainsi sortie sans crier gare le 28 octobre dernier, moins de deux semaines après les terribles événements à l’Université Laval. Certes, on peut considérer qu’il y a ces temps-ci un momentum sur la question des violences sexuelles, incluant en milieu universitaire, mais demander aux directions d’orchestrer à la va-vite une consultation apparaît d’autant plus aberrant que leur réponse institutionnelle dans ce dossier pose problème au moins depuis les années 1990. L’attentisme des institutions face au problème des violences sexuelles n’est certes ni l’apanage de l’UQAM, ni une attitude récente, non plus que le problème lui-même. Les médias rapportent ainsi une série d’agressions commises sur différents campus au Québec à la fin des années 80. Dans une édition de mars 1992 du journal du Comité femmes de l’UQAM, des étudiantes déploraient que le problème du harcèlement ne soit pas suffisamment pris au sérieux dans leur université et que les procédures restent trop souvent inefficaces. C’est aussi à cette époque que l’UQAM a adopté sa Politique 16 sur le harcèlement sexuel qui fait l’objet d’une révision depuis 2013, suite aux pressions d’étudiantes et d’enseignantes.

Consulter ET investir pour contrer la violence

Dans la foulée de ces mobilisations collectives à l’UQAM, une recherche indépendante réunissant une quinzaine de chercheures a vu le jour, l’enquête ESSIMU. Visant à établir un portrait aussi bien quantitatif que qualitatif de la violence sexuelle en milieu universitaire, les personnes étudiant ou travaillant dans six universités ont pu être sondées sur une longue période s’étalant de janvier à mai 2015. Espérons qu’avant d’édicter sa politique ou sa loi-cadre, la ministre David prenne le temps de consulter le rapport ESSIMU, qui sera lancé le 16 janvier prochain. Il contient une série de recommandations dont la mise en œuvre suppose qu’on ne se «garroche» pas et surtout qu’on investisse suffisamment, à la hauteur des défis. Espérons également que les gouvernements Couillard et Trudeau entendent l’appel du Secrétaire général de l’ONU, lancé à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, pour que les États démontrent un réel engagement dans ce dossier, «en augmentant sensiblement leurs dépenses dans tous les domaines pertinents, y compris à l’appui des mouvements des femmes et des organisations de la société civile». Un tel appui s’avère incontournable pour lutter contre les multiples formes de violence perpétrées en milieu universitaire ainsi que dans le reste de la société, comme en témoignent les mobilisations des femmes autochtones ou la récente sortie de la Fédération des femmes du Québec. La culture du viol n’est ni une fable ni une occasion de relations publiques.

L’auteure de cette lettre ouverte, Sandrine Ricci, est chercheuse à l’UQAM et membre de l’équipe ESSIMU.