Gagner une course à la chefferie d’un parti municipal comptant 3000 membres est une chose, mais remporter une lutte électorale pour la mairie d’une ville de 2 millions d’habitant-e-s est une tout autre affaire. Durant les 11 mois qui nous séparent du scrutin, trois défis de taille se dressent pour Valérie Plante sur cette «route de la victoire».
1. Ressouder le parti
Les partis municipaux étant le plus souvent des coalitions hétéroclites au plan idéologique servant à soutenir une figure-vedette, la course à la chefferie de Projet Montréal qui vient de se terminer est inédite à deux niveaux. D’abord parce qu’il y a eu élection, chose qui n’est pas arrivée dans l’histoire de la politique montréalaise moderne. Ensuite, parce qu’une candidate bien identifiée à gauche a été élue. Cette course a été marquée, surtout après le retrait de François Limoges, par une nette ligne de partage entre deux camps – et cela s’est traduit par un résultat très serré : 998 votes contre 919. Guillaume Lavoie, le candidat défait, n’a pas attendu longtemps avant de féliciter son adversaire et de déclarer qu’«il y avait deux camps, il n’y a maintenant qu’un seul @projetmontreal.»
Cependant, par-delà les politesses de fin de course, une certaine tension demeure au sein du parti, notamment chez certain-e-s élu-e-s qui ont appuyé Lavoie. Quelques personnes pourraient être tentées de se retirer de la politique municipale, de se joindre à Denis Coderre ou bien de lancer un nouveau parti. À cet égard, les gestes du candidat défait seront à surveiller dans les prochaines semaines et les prochains mois. Il est donc primordial pour la nouvelle cheffe de montrer que tout le monde a sa place dans le parti, du moment où l’on respecte certains principes fondamentaux (qui sont ceux de Projet Montréal depuis sa fondation, auxquels il faudrait probablement ajouter l’inclusion, thème central de la campagne de Plante).
2. Se faire connaître
Le principal argument contre la candidature de Valérie Plante durant la course était celui de son manque de notoriété. En réalité, la nouvelle cheffe souffre d’un double déficit à cet égard.
D’une part, elle est relativement moins connue médiatiquement que son ancien opposant (un habitué des caméras de Radio-Canada, dans sa vie passée d’analyste politique). Surtout, elle n’a pas l’aura de Denis Coderre, l’homme à battre en 2017, qui tweete plus vite que son ombre et qui est passé maître dans l’art du stunt (pour le meilleur et pour le pire). Bien que sa force première soit d’être une femme de terrain (d’où sa victoire contre Harel en 2013), il n’est pas réaliste d’espérer qu’elle puisse sillonner toutes les rues de Montréal en 11 mois. Son potentiel médiatique demeure incertain, car elle n’a pas la même habitude des plateaux et des micros que d’autres élus de son parti comme François Croteau ou Luc Ferrandez.
D’autre part, c’est en tant que femme en politique que Valérie Plante doit remonter la pente de la notoriété. La démonstration n’est plus à faire : pour recevoir autant d’attention et de considération qu’un homme en politique, une femme devra travailler deux ou trois fois plus fort. Elle a été et sera probablement encore l’objet de commentaires sexistes ; on questionnera beaucoup plus sa compétence qu’on ne l’a fait avec le maire actuel – pourtant un inconnu de la politique municipale – lors de la dernière campagne municipale ; peut-être même posera-t-on la question de la compatibilité de son engagement politique avec sa vie familiale. Toutefois, il est aussi possible que cela lui serve : déjà habituée de questionner Denis Coderre aux séances du Conseil d’arrondissement de Ville-Marie, elle connaît bien le personnage et ses tendances «mononcle», qui pourraient facilement se retourner contre lui.
3. Sortir Projet Montréal de sa zone de confort
La principale force du message de Guillaume Lavoie pendant la course à la chefferie était cette idée que, pour gagner, Projet Montréal doit sortir de sa zone de confort. Autrement dit, il faudra déployer des efforts considérables pour gagner des voix à l’extérieur des arrondissements «centraux» du Montréal pré-fusions, d’une part, et, d’autre part, pour s’adresser à un public plus large que «la gauche». Cependant, la façon dont il comptait s’y prendre n’était pas tout à fait claire, mise à part l’adoption d’un discours économique technophile axé sur l’«expertise». De plus, par ses omissions, il semblait indiquer que Valérie Plante ne représentait pas la voie d’un tel élargissement.
Or, rappelons à nouveau que Valérie Plante a fait de l’inclusion un thème central de sa campagne à la chefferie. De cette façon, elle est allée chercher des appuis en dehors des cercles traditionnels (relativement «blancs») de Projet Montréal. De plus, sa proposition de nouvelle ligne de métro, empruntée au conseiller Sylvain Ouellet, a réussi un tour du chapeau : elle mise sur la force première de son parti (le transport en commun) pour proposer une solution à un problème actuel (l’engorgement de la ligne orange) en cohérence avec son principe d’inclusion (relier Montréal-Nord, arrondissement fortement multiethnique, au centre-ville). Mais le «Montréal excentré», c’est aussi Lachine, Lasalle, Pierrefonds, Pointe-aux-Trembles : la nouvelle candidate à la mairie saura-t-elle proposer des projets aussi emballants pour les autres arrondissements?
Rien ne sera facile en 2017, mais peut-être est-ce la condition même pour ce genre de victoires auxquelles la nouvelle cheffe semble être abonnée. Si «Valérie Plante Coderre», pour reprendre le slogan d’un t-shirt lancé par la Mercerie Roger dans les heures qui ont suivi son couronnement, cela aura été le résultat d’un parcours patient et passionné, où chaque défi aura été pris au sérieux, sans complaisance ni pensée magique.