NDLR: La version originale de cette lettre ouverte a d’abord été publiée dans l’édition anglophone de Ricochet.

Récemment, la peur est aussi venue dominer la vie sur les campus universitaires sud-africains. Dans le contexte de la reprise des manifestations contre les hausses des frais d’inscription, cette peur n’est plus celle de l’échec. Les militants étudiants ont plutôt peur d’être arrêtés par les forces de sécurité introduites pour contenir les manifestations et essayer de faire en sorte que les universités restent ouvertes. Et ils ont peur de ce qui pourrait leur arriver pendant qu’ils sont détenus.

Cette crainte n’est pas sans fondements. Les médias sociaux ont rapporté l’histoire d’Arthur Muhamelwa, un leader étudiant à l’Université de Witwatersrand à Johannesburg. Ce dernier aurait été «enlevé» par la police. Ses collègues l’ont recherché dans les postes de police locaux, sans succès.

Muhamelwa est réapparu un jour après son arrestation. Il allègue que la police l’aurait chassé de Johannesburg et amené jusqu’à la frontière provinciale du Limpopo, avant de l’abandonner dans la brousse.

Comme la majorité des étudiants protestataires, Muhamelwa est noir. Certes, les manifestations contre les frais universitaires (#FeesMustFall) visent l’accès à l’éducation pour tous les Sud-Africains. Mais la vérité, dans l’Afrique du Sud d’après 1994, c’est que ceux qui ne peuvent se payer les frais de scolarité sont surtout issus de la majorité noire, pas de la minorité blanche.

D’ailleurs, la dimension racisée des protestations se double d’une dimension racisée dans la réaction de police et des services de sécurité privés envers les manifestants. Pour un Muhamelwa blanc, l’expérience et les craintes auraient sans doute été tout à fait différentes.

La réponse aux manifestations étudiantes à l’Université de l’État libre à Bloemfontein (anciennement réservée aux blancs) illustre l’aspect racisé des interventions de la police. Ces événements rappellent aussi que la race et la peur sont entremêlés.

Des manifestations pacifiques ont dégénéré le 10 octobre, à la réouverture de l’université, suite à une suspension de deux semaines des activités académiques (dont l’une était déjà prévue au calendrier). Plus d’une douzaine d’étudiants ont été arrêtés ce matin-là pour avoir violé une ordonnance de la Cour contre la perturbation des activités académiques et non-académiques sur le campus. L’interdit avait été publié en Janvier 2016, suite aux manifestations #FeesMustFall ayant eu lieu dans les derniers mois de 2015.

L’administration universitaire a insisté pour maintenir le campus ouvert et pour poursuivre les cours, en dépit des affrontements sporadiques et des confrontations qui ont eu lieu au cours la journée. Certains cours et examens réguliers ont été dispensés dans des salles de classe gardées par des hommes en tenue anti-émeute et armés de fusil à balles en caoutchouc.

Certains professeurs sont restés dans leurs bureaux, craignant que des actions de perturbation soient commises par les militants étudiants (majoritairement noirs). D’autres ont essayé d’enseigner, comme ils avaient reçu l’ordre de le faire. Un environnement hautement militarisé n’est cependant pas propice à la tenue de telles activités.

Une confrontation finale entre la police et des étudiants a eu lieu en fin de journée. Alors que les étudiants lançaient des pierres et des briques, comme ils l’avaient fait auparavant, les forces de sécurité ont déclenché des grenades assourdissantes, tiré des balles en caoutchouc sur les manifestants, et ils ont arrêté ceux qu’ils pouvaient attraper.

À la fin de la journée, environ 50 étudiants ont été appréhendés.

Tous noirs.

Bien que certains avaient probablement participé à l’interruption de cours dans les salles de classe, déchiré des examens ou jeté des pierres sur les forces de sécurité, beaucoup d’autres semblent avoir été arrêtés simplement parce qu’ils étaient noirs, comme la plupart des manifestants.

Des étudiants noirs ont indiqué avoir été pourchassés et arrêtés même s’ils n’avaient pas été impliqués dans les manifestations, tout simplement parce qu’ils couraient pour s’échapper. La solution était alors de marcher loin des grenades et des balles, le plus calmement possible. Pourtant, même dans ces cas, ils pouvaient être arrêtés. Certains ont marché à l’écart des confrontations, lentement, mais avec une peur manifeste sur leurs visages : la peur de se faire tirer dessus ou de se faire arrêter, simplement parce qu’ils étaient noirs.

Les étudiants blancs ont peur, eux aussi. Comme les étudiants noirs qui savent qu’ils seront sans doute détenus pour avoir essayé de fuir les balles, les étudiants blancs ont une certitude. Ils savent qu’ils ne seront pas détenus par les forces de sécurité. Ils savent que leurs privilèges les protègent des arrestations, tout comme ils les protègent de tant d’autres choses… Ils savent, par exemple, qu’ils peuvent faire leur jogging de l’après-midi en toute sécurité, sans craindre d’être appréhendés par les forces policières. Car ils ne courent pas tout en étant noirs. Ils font leur simplement leur jogging, sans danger et sans souci.

Mais leurs privilèges blancs ne les protègent pas, eux ou leurs voitures, contre les hommes noirs «en colère» lançant des pierres. Voilà ce dont ils ont peur.

Dans le contexte de ce mouvement social, étudiants noirs et étudiants blancs ont donc des peurs bien distinctes.